Bien que le maire de la ville se soit acharné à boycotter la conférence contre la vie chère prévue cette semaine, [elle a finalement eu lieu, après avoir démontré un manque de communication dans les services de la mairie.
Mardi le 7 août, les organisations et les syndicats engagés dans la lutte contre la vie chère ont animé une conférence publique dans la salle de réunion, dite Kunama, de l’hôtel « Water Front », à Bujumbura. Un grand public, après avoir été fouillé, attend. Ceux qui sont débout sont encore plus nombreux que ceux qui sont assis. Sur les premières rangées, des représentants du peuple, majoritairement du Cndd-Fdd et des sympathisants de ce parti.
Sans oublier de remercier chaleureusement ces Bagumyabanga, Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome, annonce les points à l’ordre du jour : définir la société civile, examiner ensemble les raisons de la cherté de la vie ainsi que la hausse des prix de certains biens et services, et essayer de proposer des solutions.
Dès le début, les gens proches du parti au pouvoir annoncent la couleur, sous les rires et les huées du public : «la société civile joue le rôle des élus du peuple et se comporte comme une opposition au gouvernement.» Calmement, Pacifique Nininahazwe, délégué du Forsc, explique ce qu’est la société civile et son véritable rôle. Il s’en est suivi des interventions très passionnées et les participants ont, pour la plupart, demandé plus d’alimentation en électricité dans les quartiers populaires et le paiement de l’impôt sur les rémunérations par les hauts cadres de l’État.
« La conférence n’aura pas lieu ! »
En définitive, cette conférence aura lieu dans un climat de débat contradictoire, que beaucoup ont apprécié. Pourtant, il a fallu de peu qu’elle n’ait pas lieu, le maire de la ville l’ayant jugée illégale pour non respect des délais d’information aux services municipaux. Ce que rejettent les organisateurs. Ils s’insurgent contre ce qu’ils qualifient de « pouvoir auto proclamé du maire de la ville de Bujumbura d’autoriser toutes les réunions en violation de la Constitution de la République du Burundi et de la loi en vigueur ».
Au départ, le président de l’Olucome, adresse une correspondance au maire de Bujumbura, le 28 juillet, pour lui annoncer la tenue d’une conférence publique pour le 31 juillet. Le maire, dans sa réponse du 31 juillet, interdit cette conférence arguant que les délais exigés, pour informer ses services, n’ont pas été respectés.
Le même jour, Gabriel Rufyiri informe le maire que la conférence publique est reportée au 7 août. Ce dernier, dans sa réponse, invite le président de l’Olucome à contacter les services municipaux pour des mesures spéciales de sécurité et de lui faire parvenir le rapport y relatif.
Entre temps, Evrard Giswaswa fait parvenir une lettre à tous les gérants d’hôtel de Bujumbura leur rappelant que toutes les conférences, séminaires, points de presse et autres manifestations, non organisés par l’autorité gouvernementale, doivent être préalablement autorisés par le maire ou son délégué. Mais les organisations engagées dans la campagne contre la vie chère informent le public que la conférence du 7 août, à l’hôtel Water Front, à 15h, reste maintenue.
Des hôteliers indignés, mais prudents…
Du côté de l’association des hôteliers, ils déclarent attendre plus d’informations de la part des autorités habilitées pour pouvoir réagir, avec suffisamment d’informations. Cependant, une source à l’hôtel Water Front s’indigne déjà que la mairie leur fasse faire son travail : « Ce n’est pas à nous de vérifier que ceux qui veulent organiser des réunions sont en règle ou non. Mais si cette exigence est faite à tous les hôtels, on va s’y plier, même si ça risque de faire fuir nos clients », indique cette source.
Quant à la directrice du King’s Conference Center, où sont souvent organisées des réunions, l’injonction du maire de la ville est injuste pour les opérateurs économiques à l’instar des hôteliers : « Si la mairie doit donner sa permission à chaque fois qu’une réunion doit être tenue dans nos établissements, ce n’est pas bon pour les affaires. »
Pour Pacifique Nininahazwe, le maire de la ville n’est finalement qu’un outil utilisé par d’autres autorités membres du parti au pouvoir. Le délégué général du FORSC le déclare après qu’Evrard Giswaswa, de l’extérieur du pays, se soit acharné à interdire leur conférence jusqu’à la dernière minute.
Une mauvaise communication à la mairie?
Pour rappel, lundi le 6 août, dans la soirée, les organisateurs de la conférence rencontrent le ministre de l‘Énergie et des Mines pour le mettre au courant de leur intention. Ce dernier leur promet qu’une solution est en train d’être cherchée contre la hausse des prix des produits de la Regideso. Selon Pacifique Nininahazwa, le ministre leur promet également qu’il va s’impliquer pour que la conférence ait lieu sans heurts ni arrestations. Ce qu’il confirme le lendemain matin.
Pourtant, dans la matinée du jour suivant, le Water Front informe les organisateurs qu’il subit des pressions et leur demande de récupérer leur argent. « Mais, vers 10h, le commissaire municipal nous informe que la conférence peut être tenue sans problème », continue le délégué général du FORSC. Ce qui est étrange, poursuit-il, c’est que la radio Isanganiro lui apprend que le maire de la ville, joint par téléphone à l’étranger, déclare que la conférence n’aura pas lieu. « Pourtant, nous avons découvert que le chef de cabinet de la mairie avait reçu, vers midi, un document autorisant la tenue de la conférence. Ce qui confirme que les décisions ne sont pas prises à la mairie, et M. Giswaswa n’a pas su, apparemment, que les ordres avaient changé », conclut M. Nininahazwe.
La société civile n’a pas de prétention politique
Cette lutte ouverte du pouvoir contre la société civile avait été expliquée par le politologue Jean Salathiel Muntunutwiwe dans nos éditions précédentes. Pour lui, dans le contexte politique actuel, l’opposition n’est pas libre d’agir, alors que nous sommes dans un système dit démocratique. « Mais il y a une autre force qui, elle, n’a pas de prétention politique, puisque sa fonction est tribunitienne. C’est la société civile, qui a une fonction de porte-parole des masses qui sont en situation défavorable », indique le politologue Muntunutwiwe.
La société civile va donc, poursuit-t-il, traiter des problèmes politiques, même si sa fonction première n’est pas la politique. Cependant, rappelle-t-il, la différence entre ce qui est politique et ce qui ne l’est pas est ici très mince, car tout dépend des acteurs qui vont mobiliser ces questions.
Et par définition, souligne le Pr Muntunutwiwe, comme la société civile ne s’occupe pas des questions politiques, le pouvoir ne peut pas la museler, au risque de se délégitimer, et c’est par ce fait qu’elle s’impose.