Après que le ministre de l’Intérieur a demandé aux OPJ de ne plus clôturer à leur niveau les dossiers instruits, mais de les transmettre au procureur de la République, la société civile parle d’une mesure salutaire. Mais, elle recommande au ministère public de traiter avec célérité les dossiers des justiciables.
« Je pense qu’on a voulu éviter les abus que peuvent commettre les Officiers de la Police Judiciaire (OPJ) ou qu’ils commettent de temps en temps », indique Me Fabien Segatwa, avocat au barreau de Bujumbura.
Il fait savoir que, parfois pour les affaires civiles comme les loyers, les dettes, etc., certaines personnes font recours aux OPJ pour faire une pression sur les personnes débitrices. Il arrive, déplore-t-il, que les OPJ ouvrent des dossiers et les clôturent. Ce qui est, selon l’avocat, une entorse à la loi.
« Lorsqu’on paie cet argent, on clôture le dossier et cela se termine là, alors qu’en fait, les OPJ agissent sous le contrôle du procureur de la République, plus généralement du ministère public ».
Par ailleurs, nuance Me Segatwa, lorsque l’OPJ trouve que l’infraction peut se clôturer à son niveau, il peut décider de classer le dossier. Et de donner, par exemple, le paiement d’une amende en matière d’accident de roulage.
Mais, tient-il à préciser, pour que le classement du dossier soit effectif, il faut qu’il ait l’accord du procureur de la République.
« Une fois qu’il clôture le dossier par une amende transactionnelle, il doit transmettre le dossier au procureur de la République pour qu’il donne son accord. Le procureur de la République peut dire que l’infraction ne permet pas un classement sans suite et peut même décider qu’on poursuive les enquêtes ».
Selon Me Fabien Segatwa, le ministère public est comme une institution hiérarchisée, c’est-à-dire où le supérieur hiérarchique a un mot à dire sur ce qu’est en train de faire celui qui est sous ses ordres.
Et de marteler : « C’est pour permettre à l’autorité supérieure de contrôler ce qui est en dessous de lui », avant de préciser : « Si l’OPJ outrepasse ses pouvoirs, il peut être sanctionné par le procureur de la République.»
Un léger mieux
De son côté Jean-Marie Nshimirimana, président de l’association Solidarité pour les Prisonniers et leurs Familles (SPF-Ntabariza), y voit une valeur ajoutée. Selon lui, il y a des OPJ qui abusent de leurs pouvoirs et qui emprisonnent illégalement des gens. « Il y aura un léger mieux si la mesure est respectée».
Et de rappeler qu’il existe des OPJ qui arrêtent et emprisonnent des gens les vendredis pour les relâcher les lundis après versement d’un pot de vin.
Pour ce défenseur des droits des prisonniers, il faut d’autres mesures d’accompagnement pour faire respecter celle prise par le ministre de l’Intérieur.
Et de proposer des visites des lieux de détention se trouvant dans les communes et les commissariats de police et de faire le suivi du travail des OPJ : « Chaque procureur de la République et ses substituts sont invités à faire des inspections régulières pour se rendre compte de la légalité de la détention dans les cachots des communes, de la police judiciaire des parquets et des commissariats de police.
Et d’ajouter : « Ils doivent évaluer les conditions de détention et entendre les détenus et non pas se contenter d’analyser les seuls dossiers qui leur sont transmis par les OPJ.»
Selon cet activiste de la société civile, les OPJ ne se précipiteront plus pour arrêter les gens. Ils sauront qu’ils ne vont plus clôturer eux-mêmes les dossiers.
Des appréhensions aussi
M. Nshimirimana craint le risque d’entassement des dossiers des justiciables dans les parquets et par conséquent une lenteur dans leur traitement.
Il évoque notamment les provinces judiciaires qui n’ont pas de prison. Il épingle une surpopulation dans les cachots où les détenus peuvent passer deux à trois mois. « Il risque d’y avoir une lenteur dans le traitement de leurs dossiers, ce qui peut entraîner un prolongement de détention des délinquants ».
De son côté, Me Segatwa, pénaliste, écarte le risque de lenteur dans le traitement des dossiers. Il fait savoir que l’obligation de transmettre les dossiers à la hiérarchie revient non seulement aux OPJ, mais aussi aux procureurs de la République.
« Lorsqu’un dossier commence chez le procureur de la République, il peut également classer le dossier sans suite. Mais il doit également recevoir une autorisation de son chef hiérarchique ».
Du reste, tranquillise-t-il, les dossiers ne peuvent pas traîner longtemps. Un délai d’un mois est donné au procureur de la République pour se prononcer sur le cas d’une amende transactionnelle.
« S’il accepte le classement sans suite ou s’il ne l’accepte pas, après un mois, on considère que le procureur de la République a accepté ».
Du respect de loi
Me Fabien Segatwa recommande aux OPJ et à tout citoyen de respecter la loi. Pour lui, personne ne peut se plaindre de l’application de la loi.
« Si les OPJ appliquent correctement la loi, personne ne va s’en plaindre. Pour qu’on puisse être sûr que la loi a été respectée, il faut justement se référer au chef. Mais le supérieur doit être d’accord pour ce classement ».
Interrogé si le fait que les OPJ dépendent de deux institutions n’entrave pas leur travail, Me Segatwa clarifie les choses : « Administrativement, ils dépendent de leurs chefs de la police nationale. Mais dans le travail judiciaire qu’ils sont en train de faire, ils dépendent du ministère public. C’est normal.»
En outre, tranquillise-t-il, pour exercer la profession d’OPJ, ils doivent avoir une carte d’OPJ délivrée par le procureur général de la République. Sans cette carte, rassure -t-il, on n’a pas la qualité d’OPJ.
« Lorsqu’un policier qui n’a pas la qualité d’OPJ s’octroie l’instruction des dossiers, il est sanctionné. Il a accompli des devoirs qui ne sont pas de sa compétence. La sanction est que les procès-verbaux qu’il établit sont nuls », conclura-t-il.