Inexistence du manuel de procédure administrative et financière ; problématique liée à la passation et à la gestion des marchés publics ; manque d’inventaire du patrimoine, … Autant de défis relevés par la Commission permanente à l’Assemblée nationale en charge des finances lors de la présentation du rapport définitif d’audit sur la capacité de gestion budgétaire du ministère de la Justice lors de la séance plénière du 3 octobre 2024. Pour l’Olucome, il s’agit d’une porte ouverte aux malversations.
Réalisé par la Cour des comptes sur les périodes de 2020- 2021, 2021-2022 à 2022-2023, il se dégage, dans ledit rapport, plusieurs lacunes affectant le processus de gestion budgétaire et comptable au sein du ministère de la Justice.
« Le ministère de la Justice ne produit pas de document de programmation budgétaire initial conformément à l’article 8 de l’ordonnance ministère 54O/1302 du 31 juillet 2012 portant fixation des attributions des règles de fonctionnement et de l’organisation du contrôle des engagements des dépenses », épingle Nestor Ntahontuye, président de la Commission permanente en charge des finances à la chambre basse du Parlement.
Par ailleurs, fait savoir ladite commission, le ministère a opéré beaucoup de mouvements de transfert de crédits dont les ordonnances n’ont pas été mises à la disposition de la Cour des comptes. La seule ordonnance qui a été transmise n’a pas été signée par les deux ministères, lit-on dans le rapport.
En matière d’exécution des crédits du personnel, M. Ntahontuye a révélé que le contrôleur des engagements des dépenses n’exerce pas de contrôle sur les emplois conformément à l’article 33, alinéa 2 du règlement de gestion du budget public. « Le ministère n’a pas fait le remplacement des départs des 162 membres du personnel. On constate aussi le retard dans le paiement des notables collinaires », déplore-t-il.
Des erreurs, des vols et des fraudes possibles
« Les conditions de classement et d’archivage des dossiers du marché public ne sont pas bonnes. Le ministère ne dispose pas du règlement d’ordre intérieur de la cellule de gestion des marchés publics », note la commission permanente.
Elle fait savoir que la personne chargée du contrôle et du suivi du carburant ne participe pas à la préparation des bons de commande et n’est pas informée des factures émises. « Cela entraîne l’absence du rapport périodique indiquant le rapprochement entre les quantités payées par rapport aux quantités consommées et ainsi le risque de fraude » avant de préciser qu’: « Il s’observe plusieurs irrégularités dans la gestion de la caisse qui peuvent occasionner des erreurs, des vols et des fraudes ».
La commission permanente déplore aussi que le ministère ne dispose pas de livres de banque pour le compte sur lequel transitent les frais destinés aux primes pour des notables collinaires.
Concernant le processus de gestion de l’information budgétaire, indique-t-elle, le délai de deux jours prévu par le manuel entre l’engagement budgétaire et l’engagement juridique ;le visa de l’engagement juridique et l’ordre donné aux fournisseurs ;la demande de liquidation et l’établissement du projet de liquidation n’est pas respecté par le ministère pour certaines dépenses.
« Le paramétrage du logiciel de gestion des dépenses ne permet pas au ministère d’accéder aux informations de l’exécution des dépenses enregistrées par le comptable public au niveau du ministère des Finances depuis l’étape de l’ordonnancement jusqu’à l’étape de décaissement », regrette la commission permanente.
Plusieurs irréguralités
Nestor Ntahontuye fait constater que le ministère ne dispose pas de manuel de procédure formalisée de gestion de stocks. A ce niveau, fustige-t-il, plusieurs irrégularités s’observent dont l’absence de fiches de stocks constatant les entrées et les sorties ; l’absence des tableaux de bord pour suivre les mouvements des articles en stock ; l’absence d’inventaire des articles en stock à la fin de chaque exercice ; le manque de bons d’entrée et de sortie du matériel en stock.
La liste des manquements est loin d’être exhaustive. La commission révèle que le ministère ne dispose pas de procédure formalisée pour la mise en réforme des éléments du stock.
Elle donne l’exemple des éléments du stock destinés aux juridictions et services centraux du ministère qui sont mêlés avec d’autres ayant fait l’objet de saisis judiciaires tandis que d’autres sont à l’extérieur du bâtiment. Elle déplore aussi que le personnel affecté au stock soit insuffisant et semble débordé.
« Les entrées au stock et la distribution des articles se fait sans signature du réceptionniste. Certains bordereaux d’expédition du matériel ne sont pas datés et ne portent pas de signature du réceptionniste », souligne-t-elle, avant d’ajouter que : « Le ministère ne dispose pas d’inventaire de son patrimoine ».
Pas d’évaluation du système de contrôle interne.
« Le ministère ne dispose pas de manuel de procédure administrative et financière. Certains procès-verbaux de passation de fonction, comme les procès-verbaux de remise et reprise, quand il y a changement de responsable, font défaut », regrette le président de la commission permanente.
Il dénonce le manque de mécanisme d’identification des risques, de leur impact et du dispositif pour assurer leur maîtrise.
Il trouve que le manque du manuel de procédure administrative et financière empêche la formalisation des contrôles hiérarchiques et mutuels.
« L’organe d’audit du ministère, c’est-à-dire l’Inspection générale de la justice présente des insuffisances. Le décret régissant l’Inspection générale de la justice n’est pas appliqué de manière effective », s’alarme le président de la commission permanente.
Quant au système d’information et de communication, Nestor Ntahontuye fait constater que le contrôleur d’engagement ne réserve pas de copies de ses rapports d’activités au ministère.
Il informe que les réunions de service dans les différentes structures du ministère ne sont pas systématiquement matérialisées par les procès-verbaux.
« Le ministère ne peut pas consulter ou enregistrer sur place les données de la comptabilité budgétaire faute d’interconnexion avec le logiciel logé au ministère des Finances », révèle-t-il.
Des solutions sont envisagées
Domine Banyankimbona, ministre de la Justice, ne nie pas tous ces manquements. D’emblée, elle reconnaît le manque d’un manuel de procédure administrative et financière tout en précisant qu’avec la politique du budget programme, tout va changer.
Concernant l’inventaire du patrimoine, la Garde des sceaux dit qu’elle y travaille avec le ministère des Finances et celui des Infrastructures. « Une commission est à l’œuvre pour inventorier le patrimoine dans chaque ministère », informe-t-elle.
Quant aux conditions mauvaises d’archivage des dossiers, la ministre de la Justice promet la construction d’une maison d’archivage tout en précisant que la digitalisation des services de son ministère viendra résoudre la problématique.
Concernant la gestion des stocks et la passation des marchés publics, elle fait savoir que le ministère va faire de sorte que les fournisseurs livrent directement les articles aux utilisateurs sans constituer des stocks au ministère.
De son côté, Sabine Ntakarutimana, Première vice-présidente de l’Assemblée nationale ayant présidé la séance plénière du 3 octobre, a recommandé l’élaboration rapide du manuel de procédure administrative et financière. Elle a constaté que l’absence de ce document entrave le bon fonctionnement dans plusieurs ministères.
Une certaine d’opacité
Pour Jean Nduwimana, porte-parole de l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (Olucome), le rapport d’audit montre bel et bien que le ministère de la Justice manque d’outils pour une bonne gestion de son budget. Une situation qu’il estime anormale.
Et de s’interroger : « Comment se fait-il qu’un tel ministère ne soit pas doté d’un manuel de procédure administrative et financière ? Comment se fait-il que les gestionnaires ne connaissent pas les éléments constitutifs de son patrimoine ? C’est aussi aberrant qu’une cellule chargée de la passation des marchés publics ne soit pas régie par un texte légal ».
Il trouve que la bonne gouvernance et la transparence dans la gestion et le fonctionnement dudit ministère ont été léguées au second plan.
Dans son entendement, fait-il observer, l’absence du manuel de procédure administrative et financière signifie que l’on ne sait pas quoi faire. Cela peut causer une gestion opaque des fonds.
« Tout cela a pour conséquence des dysfonctionnements et tâtonnements dans la gestion financière au niveau de certains services dudit ministère », s’indigne le porte-parole de l’Olucome.
Par ailleurs, épingle-t-il, quand on n’a pas une cellule de passation des marchés publics bien fonctionnel avec un texte légal qui la régit, il y a risque d’opacité.
« Comment peut-on prétendre atteindre la vision 2040- 2060 avec tous ces manquements et dysfonctionnements. La bonne gouvernance doit être un leitmotiv pour chaque ministère », insiste-t-il.
Il recommande au ministère de la Justice de se doter des experts. Selon lui, ces derniers aideront dans l’élaboration du manuel de procédure administrative et financière ainsi que dans l’inventaire des éléments constitutifs de son matrimoine.