Vendredi 22 novembre 2024

Politique

Mgr Jean-Louis Nahimana : «L’administration ne va pas piloter notre travail»

Ces derniers jours, certaines voix s’élèvent pour dénoncer des tentatives de tricheries pouvant hypothéquer l’indépendance de la CVR dans la mise en place de ses démembrements. Son président lève les équivoques. Une interview exclusive d’Iwacu.

 

Mgr Jean-Louis Nahimana
Mgr Jean-Louis Nahimana

Est-ce que la CVR a déjà mis en place ses démembrements provinciaux, communaux et collinaires ?

Je voudrais d’abord lever une équivoque. Ces derniers temps, il y a des rumeurs, on entend même dans les médias des personnes qui affirment que la CVR est en train de mettre en place ses démembrements. Il y a une confusion nette à clarifier.

Nous n’avons pas encore mis en place de démembrements de la commission. Nous n’avons pas les moyens nécessaires et suffisants pour ouvrir des bureaux, pour mettre en place un personnel suffisant.

Mais, en attendant que les moyens soient réunis, nous avons opté pour un plan B et avons décidé de faire de petits pas. Nous sommes en train de faire un travail d’identification des personnes disparues ou assassinées pendant les différentes crises qui ont secoué le Burundi depuis l’indépendance jusqu’en 2008.

L’autre chantier concerne les fosses communes : nous voudrions connaître ce qui s’est passé dans le pays, combien de fosses communes existent réellement et où se trouvent-elles?

Et pour y arriver, nous avons besoin d’agents sur terrain. Car, c’est un travail sur un mois et pas plus. Nous sommes en train de recruter des personnes qui ne demandent pas beaucoup de moyens et qui peuvent nous aider dans ce travail temporel d’identification des faits réels.

Mais certains conseillers socio-culturels des gouverneurs seraient déjà désignés comme points focaux de la CVR?

Ce n’est pas vrai. Moi j’étais en voyage à l’étranger. Et jusqu’à présent, je n’ai signé aucune lettre de nomination dans ce sens. Qui pourrait alors le faire à la place du président de la commission?

Comme critères, nous avons opté pour une méthodologie très simple. Nous nous sommes d’abord déployés sur terrain. Nous avons réuni des représentants de différentes catégories de la population à savoir les confessions religieuses, les organisations de la société civile présentes sur terrain pas celles qui opèrent seulement à Bujumbura. Donc, des personnes qui connaissent le terroir.

Aussi nous avons besoin de l’administration locale, parce que nos agents ont besoin d’abord d’une reconnaissance officielle. Ainsi, il faut que les autorités soient averties afin qu’ils puissent travailler en toute tranquillité sous les auspices de l’administration publique.

Bref, nous sommes encore en train de faire le travail de terrain pour connaître les personnes avec qui nous allons collaborer. Qu’à cela ne tienne, nous ne pouvons pas travailler sans l’administration publique. L’essentiel, c’est de définir son rôle.

Pas d’immixtion possible ?

Les représentants de l’administration publique seront là pour protéger et préparer le terrain à nos agents. Dire que c’est l’administration qui va piloter notre travail, c’est une confusion, une erreur d’appréciation.

Vous avez lancé la phase des dépositions alors qu’il y a des milliers de Burundais en exil. Comment comptez-vous avoir leurs témoignages ?

Nous avons déjà fait le premier pas. Nous allons organiser une tournée, on a commencé par l’Europe, où nous avons des gens qui sont en train de travailler avec nous. Nous comptons travailler beaucoup avec la diaspora. Et pour les intellectuels, nous avons ouvert un site Web où ils peuvent nous envoyer leurs témoignages en ligne. D’autres nous fournissent leur enseignement via WhatsApp et d’autres réseaux sociaux.

Et les défis rencontrés ?

Jusqu’à présent, le personnel est insuffisant. Nous avons lancé la première expérience en mairie de Bujumbura, nous avons commencé ce travail à neuf personnes et avec un tel personnel, on doit aller très lentement.

C’est pour cela d’ailleurs que nous avons pensé à nous faire appuyer par des volontaires, ces personnes éprises de paix, d’un esprit de réconciliation afin qu’elles nous épaulent dans ce travail.

Je pense qu’il ne faut pas brûler les étapes. Nous sommes encore à l’étape préalable de la constitution d’une base de données.

Nous nous ne sommes pas vraiment au moment des discussions politiques ou interprétations ethniques et politiques de ce qui s’est passé dans ce pays. On est encore dans la phase d’observation.

Les défis sont nombreux. Il y a aussi des confusions entre la Commission nationale des terres et autres biens (CNTB) et la CVR. Certaines personnes viennent seulement pour demander des réparations, des biens perdus à récupérer via la CVR sans nécessairement se soucier de dévoiler ce qu’ils ont vu, vécu ou enduré.

L’autre défi est beaucoup plus psychologique. Il est lié à la crise actuelle où les gens sont là, traumatisés, et ne comprennent pas pourquoi le travail de la CVR doit se limiter en 2008 et ne pas s’étendre et s’occuper des violations actuelles des droits de l’Homme.

Conséquence : il y a des gens qui ne sont pas du tout encouragés à pousser les autres à venir témoigner auprès de la CVR.

Que dites-vous des critiques dirigées contre la CVR ?

Certaines personnes sont pressées et projettent leurs problèmes sur le travail de la CVR. C’est un sérieux problème. Les gens ont des attentes, des perceptions. Ils veulent nous faire endosser leurs propres peines.

Donc, au lieu que les gens se mettent à crier, à s’enfermer dans leurs fatalités ou leurs ghettos, qu’ils nous apportent plutôt leurs témoignages. Car, s’ils ne viennent pas, nous allons nous contenter de ce que nous aurions recueilli auprès de la population.

Je suis surpris de voir que les personnes qui parlent beaucoup ne sont même pas représentées dans tout le pays jusqu’à la colline.

Votre message aux victimes ?

Les CVR sont mises en place d’abord pour l’intérêt des victimes. C’est une école où les Burundais devront apprendre à écouter les souffrances des uns et des autres.

Si nous voulons mettre fin aux crises cycliques, il faut que nous ayons le courage de jeter un regard rétrospectif sur ce que nous avons fait et mettre en évidence les responsabilités personnelles des Burundais dans ces crimes.
Si les victimes ne prennent pas la place centrale dans le processus, on n’aboutira pas à grand-chose. Si ces victimes ne se lèvent pas pour venir donner leurs témoignages, crier leurs souffrances aux oreilles des Burundais, ce travail ne nous mènera à rien, nulle part.

Pour moi, la crise que nous sommes en train de vivre aujourd’hui est une conséquence grave du passé douloureux que les Burundais portent dans leurs cœurs. Un passé qui a blessé la mémoire collective. Ce qui fait qu’aujourd’hui, les gens n’ont plus suffisamment de lucidités pour gérer leurs conflits.

Si nous voulons vraiment une paix durable, c’est maintenant le temps d’affronter ce passé afin de juguler ces conflits cycliques et inaugurer une ère nouvelle au Burundi, mettre en place un nouveau projet de société.

Ces crises s’éternisent parce que les Burundais cherchent à dialoguer en occultant la vérité, en passant à côté des faits réels.

CVR

Forum des lecteurs d'Iwacu

10 réactions
  1. Mutama

    Tout travail pauvre d’amour et de compassion n’aboutit à rien. Je suis curieux de savoir ce que vous apprenez au grand seminaire. Bagorikunda a fait le grand seminaire, les anales nationales se souviendront de ses capacités en matières de sagesse. Serapion a cotoyé le grand seminaire, vous aussi. Où est la sagesse dans les agissements de plusieurs personnes qui ont cotoyé le grand seminaire
    Les êtres humains ne sont pas comme des briques qu’on assemblent. Il y a certains qui croient que les êtres humains sont des viandes animés, qu’on arrange comme on veut, qu’on peut terminer comme une poudre comme disait un certain son exellence lors son serment.
    Dans tous les cas comment est ce qu’un monseigneur peut-il semer un grain sur un terrain sec sans eau tout en sachant que le grain finira au pourrissement
    Les burundais ont souffert par le passé, dansle présent et je ne pense pas que votre rhétorique sophiste suffit pour les convaincre et les détourner de la verité réelle de leur souffrance

  2. Prudence Sekambabaye

    Nyakubahwa Musenyeri J L Nahimana. Jewe mbona wosubiza ici gikorwa, kuko ndabona ko utazogihereheza, non pas y’uko utabishoboye, mugabo ko ari mission impossible. Ntaco uzoshikako Nyakubahwa, kuko bagutegeye habi, bongera banguha gukorana n’intwaro igoye gukorana. Ngejeje aho Nyakubahwa, ariko ushatse wokwihweza neza izo mpanuro. Nahoturi argiriye mu mahoro, Murakoze Muvyeyi

  3. ntsimbiyabandi

    « Père des orphelins, justicier des veuves, c’est Dieu dans son lieu de sainteté » (Psaume 68, 6). J’ai l’impression que les bourreaux veulent maîtriser le processus de vérité et réconciliation au Burundi en lieu et place des victimes. La question est la suivante : vont-elles laisser faire ? A mon humble avis, c’est non. Depuis 1993 jusqu’aujourd’hui, spécifiquement avec les « événements » récents d’insurrections, de coup d’état manqué du 13 mai 2015 et d’attaques contre certaines localités du Burundi, ces victimes refusent d’être encore victimisées. Tout un chacun a alors l’intérêt à aider pour que la vérité et la réconciliation soient une réalité sinon les victimes risquent de se faire justice parce qu’elles ont la conviction que les bourreaux sont toujours à l’œuvre. Déjà, elles mettent en garde : «Les CVR sont mises en place d’abord pour l’intérêt des victimes ». Les victimes d’abord, les bourreaux après. Que le temps pascal 2017 leur donne encore des ailes : oui la vie renaît des cendres et c’est possible de contempler la gloire du Verbe (et non du silence fût-il d’or), parole pleine de grâce et de vérité (Jean 1,14) !

  4. Micombero

    Le Genocide contre les Hutus de 1972 doit être clarifié et les planificateurs doivent etre punis et sont déjà connus

  5. Congo

    Dans toute cette barbarie humaine,quelle a été le rôle de l église catholique ? Il faudrait qu elle nous dise aussi ses manquements en 1972, sa résistance sans limites jusqu au génocide de 1993. Mgr Jean louis, j aurai aimé que les enseignements sahwanya soient portés à la connaissance de tous les Burundais. L église catholique Rwandaise a demandé pardon mais la nôtre est juge alors qu elle est parti du conflit. On marche sur la tête. Sur de fausses bases,sans moyens, la réconciliation n est pas le souci de cette cvr.

  6. RUGAMBA RUTAGANZWA

    @Mgr Louis NAHIMANA,

    « Si nous voulons mettre fin aux crises cycliques, il faut que nous ayons le courage de jeter un regard rétrospectif sur ce que nous avons fait et mettre en évidence les responsabilités personnelles des Burundais dans ces crimes »

    Sauf que chaque jour qui passe depuis avril 2015, les victimes de la répression aveugle du pouvoir en place ne font qu’augmenter. On devrait d’abord arrêter le cycle infernal de la répression sauvage en cours avant de s’occuper des événements du passé souvent lointain.
    Je n’arrive toujours pas à comprendre la raison d’être de la CVR dans le contexte actuel où disparitions forcées, assassinats ciblés, viols, discours de la haine font monnaie courante. Les et chants populaires de la haine comme celui entonné le 3 avril au nord du pays par la jeunesse au pouvoir appelant au viol massif des femmes des opposants pour mettre au monde de petits Imbonerakure vient nous rappeler que la CVR ne sert à rien. Qu’elle ne va rien empêcher… ! En effet, le langage politique du pouvoir (Kora, ifu y’imijira, Kubegeranya..), les faits observés depuis quelques mois déjà au Burundi nous plongent dans le Rwanda du pré-génocide des Tutsi d’avril à juillet 1994. Cessons de parler de la CVR. Pour moi c’est du cinéma politico-médiatique servant à cacher les maux et les crimes du pouvoir en place. Merci.

  7. Jereve

    Je retiens quatre choses, de la bouche même du président du CVR. Un : il n’y a pas de moyens nécessaires et suffisants pour organiser cet immense chantier. Deux : la crise actuelle ne facilite pas les choses, elle traumatise les victimes. Trois : les victimes hésitent ou montrent peu d’enthousiasme à se confier. Enfin quatre : malgré tout cela, l’homme d’église annonce, un peu résigné «nous allons nous contenter de ce que nous aurions recueilli… ». On peut tirer la conclusion sans la moindre erreur : le travail sera bâclé. Les burundais vont encore une fois rater le rendez-vous avec leur histoire.

  8. Pablo

    1972 : D’abord génocide des tutsis puis répression et génocide des hutu : C’ est vraiement compliqué !!

  9. kibwa

    A la place de Jean Louis Nahimana je déposerai ma démission. C’est triste que l’église cataholique se laisse manipuler à ce point à travers ce prêtre!!!!

    Tout le monde sait ici au pays que ce travail est à refaire. On ne dit pas la vérité dans un pays terrorisé par une milice à la solde de quelques mafieux. On ne dit pas la vérité quand on prépare la guerre, quand il ya des victimes récentes dans les pays voisins.
    Les CVR fonctionnent dans des pays apaisés où les dirigeants ont décidé de mener leur peuple vers la paix .
    Le Burundi peine à avoir ces personalités et l’eglise catholique le voit et laisse faire.
    L’eglise anglicane par contre a trouvé une parade pour éloigner Ntahoturi.
    En attendant les gens continuent à disparaître dans une république qui prétend se réconcilier
    KIBwa

    • Mafero

      Comme l’écrivait récemment un éditorialiste d’Iwacu, il faut plutôt prier pour cette CVR qui elle-même reconnaît travailler dans des conditions difficiles, sans moyens financiers. Pis encore, elle reconnaît que les gens vivent dans un traumatisme sans précédent, des personnes étant retrouvées étranglées du jour ou lendemain dans un pays où l’on nous vante que la sécurité est garantie à 99,8% et même plus.

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