A la différence du prince Louis Rwagasore que j’ai découvert par mes propres recherches et que j’ai appris à aimer et admirer, j’ai côtoyé de très près celui qui deviendra le premier chef d’Etat élu démocratiquement dans ce pays.
<doc5636|right>D’abord, Melchior Ndadaye était un homme simple voire timide. Il avait une carrure athlétique et était très fort physiquement. Il aimait rire et avait un grand sens de l’humour. Il lisait beaucoup ; il dévorait des livres sérieux, mais il ne résistait pas non plus aux bandes dessinées. Il jouait à la guitare et faisait du karaté de haut niveau.
Une des premières qualités de cet homme était, à mes yeux, son génie à rassembler des femmes et des hommes et à les mobiliser à bloc vers un même idéal. Et sa force, c’était qu’il s’y prenait avec tellement d’humanité et de conviction, que suivre ses pas devenait une évidence. Mieux, une vocation[[Dans le sens d’un certain ordre transcendant que l’on croit devoir suivre…]]…
J’ai travaillé avec cet homme nuit et jour. Je n’étais pas seul à ses côtés, d’autres plus proches encore étaient présents et peuvent l’attester : jamais je n’ai perçu en lui une once d’ethnisme ou un attrait pour la violence sous quelque forme que ce soit. Cela est vrai pour sa personne, cela est aussi juste pour sa politique. Une fois élu, il a tenu mordicus à prendre comme premier ministre une personne très proche du couple présidentiel sortant. C’était Mme Sylvie Kinigi, une Tutsi économiste, férue de politiques d’ajustement structurel. Elle fut aussi la première femme chef de gouvernement dans l’histoire de l’Afrique. Le ministre de la défense, Lt.- Col. Charles Ntakije, et son Secrétaire d’Etat, feu Lt. – Col. Lazare Gakoryo, étaient des officiers supérieurs de l’armée nationale. Ils étaient tous deux Tutsi. Le programme qu’il avait présenté à la nation sous forme de 46 propositions commençait par trois points fondamentaux[[Ntibazonkinza, R., {Biographie du président Melchior Ndadaye : l’homme et son destin}, Sofia, Bulgarian Helsinki Committee, Juin 1996, 368 pages. Je recommanderais également l’autobiographie très fouillée et très instructive du président Sylvestre Ntibantunganya : {Ntibantunganya, S., Une démocratie pour tous}, Paris, L’Harmattan, Tome 1, 1999.]] :
– Mise en place d’un Etat démocratique basé sur le principe de la séparation des trois pouvoirs (Législtatif / Exécutif/ Judiciaire) ;
– Le renforcement des droits de la personne humaine en commençant par l’abolition de la peine de mort ;
– La sauvegarde de la paix par la création de « Conseils de Sécurité » représentatifs de tous les citoyens et de toutes les tendances.
Durant les cents jours de son gouvernement, des gestes forts furent posés. Les réfugiés purent rentrer en masse de Tanzanie et d’ailleurs. Même un leader hautement craint comme le président Jean-Baptiste Bagaza revint au bercail exercer tous ses droits de citoyen jusque là lui niés totalement. Pour prouver que le pouvoir tournait le dos définitivement d’avec les harcèlements politiques, la torture et/ou les assassinats extrajudiciaires, les cachots des services secrets furent détruits devant les caméras de la télévision. Sur le plan régional, le président Ndadaye étonna le monde et ses pairs pas sa sagesse et sa sagacité. Il fit, par exemple, des propositions concrètes pour le désarmement définitif des milices qui empestaient les Grands Lacs africains lors de la 48ème Assemblée Générale des Nations unies.
Et en marge du Sommet de la Francophonie à l’île Maurice, il réussit presque le miracle de réconcilier le président François Mitterrand avec le Maréchal Mobutu Sese Seko isolé et viellissant. Ce jour-là, il démontra avec brio que lâcher le Zaïre (aujourd’hui RDC), c’était objectivement mettre en péril la sécurité des neufs Etats qui l’entourent…[[J’assistais à ce mini sommet qui rassemblait les intéressés plus le président Juvénal Habyarimana du Rwanda et le président Pascal Lissouba du Congo Brazzaville.]]
Comme Louis Rwagasore, il a voulu diriger le pays en tendant une main fraternelle à ses adversaires d’hier. Comme Louis Rwagasore, il a prôné un Burundi nouveau où tous et chacun auraient, non seulement le droit à la vie, mais aussi un plein épanouissement matériel et spirituel dans une dignité retrouvée. Comme Louis Rwagasore, malheureusement, il a eu la naïveté de croire que ses ennemis n’oseraient jamais franchir le Rubicon et l’assassiner tout en sachant très bien ce que tous nous aurions ensuite à payer comme pleurs et comme désolations pour encore fort longtemps…