Mardi 16 juillet 2024

Société

Médias/Sécurité des journalistes : Des signaux rouges à la veille des élections

16/07/2024 0
Médias/Sécurité des journalistes : Des signaux rouges à la veille des élections
Les bureaux du Journal Iwacu ont été attaqués par des jets de pierres

Des actes d’agression et d’intimidation en l’encontre des journalistes et des organes de presse se multiplient de plus en plus à la veille des élections de 2025. Pour les professionnels des médias, les administratifs et les forces de l’ordre doivent comprendre que les journalistes ne sont pas leurs ennemis.

Deux femmes journalistes sont en prison. Correspondante du journal en ligne La Nova, Sandra Muhoza a été arrêtée le 13 avril 2024 en province de Ngozi puis embarquée en mairie de Bujumbura et incarcérée dans les cachots du Service national des renseignements (SNR). Le 18 avril 2024, elle a été transférée à la prison centrale de Mpimba à Bujumbura. Elle est poursuivie pour « atteinte à la sûreté intérieure de l’État et d’aversion ethnique », à la suite des échanges dans un groupe WhatsApp fait de journalistes et de communicants.

Floriane Irangabiye est écrouée à la prison de Bubanza. Cette journaliste de la radio en ligne « Igicaniro » a été condamnée, le 3 janvier 2023, à 10 ans de prison et une amende de 1 million de BIF pour « Atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat » par le Tribunal de Grande instance de Mukaza. Le 2 mai 2023, la Cour d’Appel de Mukaza a confirmé ce jugement.

Passage à tabac et intimidations

Le 6 juillet dernier, les journalistes Gaspard Ndikumazambo et Timothée Ntaconayigize de la radio Izere FM basée à Rumonge, ont été malmenés par des jeunes se réclamant du parti au pouvoir. Ces journalistes ont tenté de poser quelques questions et de prendre des photos alors que ces jeunes Imbonerakure du quartier Gihwanya à Rumonge molestaient un présumé voleur de téléphone.

Le correspondant d’Isanganiro en province de Gitega a été arrêté, le 30 juin 2024, par le commissaire communal de la Police, Jean-Prime Ndikubwayo puis conduit au cachot du Commissariat provincial. Gérard Nibigira tentait de prendre quelques photos d’une scène de policiers qui brutalisaient la population sous la supervision de Jean-Prime Ndikubwayo.

Ils l’ont arrêté, brutalisé puis conduit directement au cachot. Le commissaire communal a confisqué son téléphone. Jusqu’à maintenant, il ne l’a pas encore récupéré. Selon la RT Isanganiro, son cas a été déféré devant le parquet.

Pascal Ntakirutimana, responsable du service politique au Groupe de presse Iwacu, a été victime d’une tentative de kidnapping dans la soirée, le 5 juin 2024, par deux policiers à l’avenue des Forces armées, communément appelée « Kurya Kanyoni », dans la zone urbaine de Cibitoke, commune urbaine de Ntahangwa, au nord de la capitale économique Bujumbura. Le journaliste rentrait chez lui.

Alors qu’il descendait d’un taxi pris avec d’autres passagers, un pick-up double cabine de couleur blanche aux vitres teintées, roulant à vive allure, s’est arrêté à sa hauteur. Deux policiers sont rapidement sortis du véhicule et ont essayé de le faire monter dans leur pick-up.

Il s’est débattu et son smartphone est tombé par terre. Un des policiers s’est penché pour le ramasser et il en a profité pour entrer dans le premier portail entrebâillé pour s’y cacher. Les deux policiers sont vite remontés dans leur pick-up qui est aussitôt reparti en trombe.

Le 23 mai 2024, le correspondant du Journal Iwacu à Gitega a été brutalisé par le commissaire provincial de la Police. Accompagné par plusieurs agents à bord de son pick-up, cet officier a fait irruption dans le bistrot où ce reporter du Journal Iwacu étanchait sa soif avec ses amis. Il s’est directement dirigé vers la table où ce groupe se trouvait et a commencé à proférer des menaces contre ce correspondant du Journal Iwacu. « Nous suivons de près et nous savons tout ce que vous écrivez, vous allez voir. » Il a commencé à lui assener des gifles. Le commissaire a ordonné à ses agents de confisquer son sac qui contenait son ordinateur, son appareil photo, son enregistreur et bien d’autres objets.

Entre jets des pierres et censure

Les bureaux du Journal Iwacu, situés au quartier INSS en zone urbaine de Rohero de la commune urbaine de Mukaza ont été attaqués par des jets de pierres durant la nuit de lundi à mardi 25 juin 2024. Les projectiles provenaient des parcelles avoisinantes. L’intensité de l’attaque a culminé vers minuit pour ne s’arrêter qu’à 2 h du matin. La Police est intervenue. Le journal a décidé de porter plainte contre X pour cette attaque. Jusqu’à maintenant, aucune réaction de la justice.

Le journal Iwacu a été mis en garde par le Conseil national de la communication (CNC). Ce dernier lui reproche « des manquements professionnels graves dans le traitement des sujets. » L’organe de régulation des médias burundais donne des exemples « d’écarts » sans les préciser, et mentionne « l’interview exclusive que le professeur Julien Nimubona a accordée à Iwacu, la publication du 12 mai 2024 intitulée « En attendant l’Éden » d’Antoine Kaburahe et l’article d’opinion du journaliste indépendant Franck Kaze intitulé « Burundi ! Où es-tu ? »

Le CNC a empêché une synergie des médias Radio Bonesha FM, Radio-Télévision Isanganiro, Shima FM, Rema FM, Magazine Jimbere et le Journal Iwacu du 6 juin 2024 sur le projet de loi sur la presse, arguant que la loi n’était pas encore promulguée.

Le CNC a interdit la rediffusion des émissions débats de la radio Bonesha FM « Inkuru y’ Imvaho et Tribune Bonesha » du 11 et 12 juin 2024 sous prétexte que les invités ont exagéré.

« La loi sur la presse doit être suffisamment vulgarisée. »

Jacques Bukuru, journaliste senior et formateur en journalisme, relève quelques défis que rencontrent les journalistes burundais : des conditions de travail précaires : manque de salaires pour certains ; manque de professionnalisme ; avec internet, il y a eu éclatement du journalisme et des amateurs pratiquent le journalisme sans respecter les standards. « Il y a aussi un défi de perception négative. Depuis 2015, les journalistes et les médias burundais traînent une image négative. Ils sont considérés comme des défenseurs des intérêts qui s’affrontent et sont incapables d’être au-dessus de la mêlée. »

Quant à la sécurité des journalistes, il trouve que quelques actes dirigés contre des journalistes peuvent faire penser à l’existence d’un contexte liberticide. « De façon globale, la tension entre pouvoirs publics et médias a baissé depuis que le chef de l’Etat a dit : « jamais sans les médias ». Les actes de maltraitance de journalistes persistent, mais sont commis par des acteurs isolés qui ne sont pas au courant de la responsabilité sociale du journaliste. »

Pour M. Bukuru, la loi régissant la presse doit être suffisamment vulgarisée, car elle offre des droits de sécurité au journaliste. « Il faut que tous les acteurs étatiques reçoivent une formation sur le rôle immense d’une presse libre dans la prévention des risques. »

Ce journaliste senior souligne que ce n’est pas toute la Police qui use de la violence à l’endroit des journalistes. « Ce sont des policiers qui ont bu à la coupe des fabricants de l’image négative des journalistes et des médias burundais. Ils reçoivent régulièrement des informations négatives sur des personnes et finissent par poser des actes d’hostilité à leur égard. La solution est de mener une vaste campagne d’amélioration de l’image des journalistes et des médias burundais. »

« La police et les administratifs doivent savoir que nous ne sommes pas des ennemis. »

« Premièrement, la sécurité des journalistes commence par eux-mêmes. Il faut que les journalistes soient solidaires. Ils doivent être conscients qu’ils ont une même mission. Mais, certains professionnels des médias sont des militants des partis politiques », indique un journaliste œuvrant dans la capitale économique. Selon lui, les administratifs doivent savoir que les journalistes ne sont pas leurs ennemis. « Ils posent toujours une question : « Vous travaillez pour quel média ? Il faut bannir cette catégorisation. »

Quant aux policiers, poursuit-il, ils doivent protéger tous les journalistes sans distinction. « Avec la crise de 2015, il y a un fossé entre les policiers et les journalistes. »

Pour Claude, un journaliste, il est aujourd’hui difficile d’exercer le métier de journalisme au Burundi. « A cause du climat politique et du contexte géopolitique actuels, c’est comme si un journaliste est surveillé comme malfaiteur. Mis à part que certaines autorités ne comprennent pas le rôle des médias, les esprits commencent à s’échauffer à l’approche des élections. Les autorités commencent à se positionner dans leurs partis. Ils rivalisent par l’excès de zèle. »

Et d’ajouter : « Aujourd’hui, le contexte socio-économique est préoccupant. Du coup, il y a beaucoup d’injustices, des détournements, des violations des droits de l’Homme, … Tout cela attire l’attention des journalistes dont moi-même. On se retrouve alors en conflit avec certaines autorités. C’est visible qu’aujourd’hui la sécurité des journalistes n’est pas assurée. »

Pour Claude, il faut des séminaires de sensibilisation sur le rôle des journalistes à l’endroit des administratifs, de la police, des partis politiques, etc. « Il faut qu’ils sachent comment fonctionne un régime démocratique. En démocratie, par exemple, on ne peut pas empêcher un journaliste de donner la parole à un opposant politique ou à un citoyen qui veut se prononcer sur un sujet. »

Un autre journaliste trouve qu’à l’approche des élections, la sécurité des journalistes se détériore petit à petit. « Ce qui arrive aux journalistes aujourd’hui peut pousser certains journalistes à ne pas couvrir les prochaines élections convenablement. » Il conseille les journalistes de toujours respecter l’éthique et la déontologie du métier.


Interview avec Me Gérard Ntahe

« La saisie du matériel d’un journaliste est illégale »

Selon Me Gérard Ntahe, spécialiste du droit des médias, les journalistes ont droit à la sécurité de leur personne, au respect de leur dignité ainsi que de leur intégrité physique et psychique. Pour lui, le Conseil national de la communication (CNC) doit intervenir chaque fois lorsqu’il y a une maltraitance des journalistes.

Depuis quelques mois, des journalistes sont malmenés et d’autres agressés. Que dit la loi sur la sécurité des journalistes dans l’exercice de leur métier ?

Comme toutes les personnes résidant sur le territoire national, les journalistes ont droit, conformément à la Constitution, à la sécurité de leur personne, au respect de leur dignité et de leur intégrité physique et psychique.

Pour sa part, la loi régissant la presse précise que « le journaliste a droit, sur le territoire burundais, à la sécurité de sa personne et de son matériel »

Si le législateur a jugé pertinent d’insister sur ce droit, c’est que les journalistes peuvent susciter chez certaines personnes ou dans certains milieux des rancœurs et de l’hostilité en raison de ceux qu’ils publient ou diffusent, qui peuvent se traduire par des agressions physiques ou de confiscation, voire la destruction de leur matériel. Ceux qui se livrent à ce genre de pratiques violent évidemment la loi.

Quelles sont les sanctions prévues pour ceux qui exercent une violence sur les journalistes ?

Ces personnes sont passibles de poursuites conformément au Code pénal burundais. Ils peuvent, selon le cas, être poursuivis pour coups et blessures, voie de fait, ou encore pour vol ou destruction méchante de matériels de travail.

Et pour ceux qui saisissent leurs matériels ?

Les journalistes jouissent du droit à la protection de leurs sources. Celle-ci porte sur la provenance et les conditions d’obtention des informations qu’ils diffusent. Elle concerne donc l’ensemble des documents imprimés, les ordinateurs, les téléphones, les notes, les enregistrements, les prises de vue ainsi que toute information collectée et emmagasinée électroniquement.

La saisie de ces matériels est donc illégale. Le problème est que la loi régissant la presse ne prévoit pas de sanctions pour quiconque viole cette disposition. Tout au plus, il pourrait y avoir poursuite pour vol, qui est la manœuvre par laquelle un individu enlève un objet quelconque à son légitime propriétaire contre le gré de celui-ci.

Quel est le rôle du CNC dans ce cas ?

La Constitution confère au Conseil national de la Communication la mission de veiller à la liberté de la presse. La loi portant missions, composition, organisation et fonctionnement du CNC précise que celui-ci est une autorité administrative indépendante chargée de veiller à la liberté de la communication écrite et audio-visuelle dans le respect de la loi, de l’ordre public et des bornes mœurs.

En tant qu’organe constitutionnel d’un rang élevé et dont la voix porte loin, le CNC doit intervenir chaque fois que de besoin auprès des autorités compétentes pour demander que ceux qui se livrent à la maltraitance des journalistes y mettent fin et soient poursuivis en justice. Ça serait, à mon humble avis, le moyen le plus efficace pour protéger les journalistes dans l’exercice de leur profession.

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