Par Franck Kaze*
Il s’appelle Kenny-Claude Nduwimana, il est journaliste, dispose d’une carte de presse régulièrement estampillée par le Conseil National de la Communication du Burundi. Il n’a jamais été inquiété. La répétition des discours du « journaliste » Kenny-Claude Nduwimana, la gravité de ses propos et l’arrogance avec laquelle il les prononce interrogent.
Tous les discours de Kenny-Claude Nduwimana ont un dénominateur commun : que les Tutsis sont mauvais, que leur unique préoccupation est d’exterminer les Hutus.
Kenny-Claude Nduwimana est un individu à multiples facettes. Tantôt, il est journaliste, ethnologue, historien, sociologue, et j’en passe. Le tout, pour tenter de rendre ses propos le plus crédible possible. Les extraits de ses discours retranscrits et traduits dans cet article donnent un aperçu du personnage. Dans une émission, qu’il présente comme étant la dix-huitième, il explique, très sûr de lui, la différence entre les Hutus et les Tutsis. Un passage qui n’est pas sans rappeler une triste époque de la colonisation pendant laquelle, pour mieux régner en divisant, les colonisateurs s’efforçaient de trouver des caractères distinctifs des deux entités. Visiblement, c’était dans la foulée de la commémoration du massacre des Hutus en 1972, donc au mois de mai cette année. Une différence qui, selon lui, explique la raison de cette ignominie : « Les Hutus sont très appliqués dans leur travail. Ils sont très intelligents. Quand ils ont l’opportunité d’aller à l’école, ils apprennent très bien, et ils aiment le développement. Quand ils ont de l’argent, ils s’empressent de construire de belles maisons, des hôtels, des usines, et beaucoup d’autres choses qui leur permettent de se développer. Sans oublier qu’ils s’habillent chic et qu’ils roulent dans des voitures coûteuses. C’est cela la nature des Hutus. Quant aux Tutsis, ce sont des paresseux qui aiment récolter sans avoir semé. Ils aiment la bière plus que tout. Pas question pour eux de construire de belles maisons comme les autres. Ne leur demande surtout pas d’effectuer des travaux d’auto développement. Ils veulent juste s’asseoir dans les bureaux. Pas question de se fatiguer. Ils aiment juste consommer. Et quand ils n’ont pas cela, la vie s’arrête. Et ils sont prêts à tuer. Chez eux, quand ils ne sont pas en train de manger ce qu’ils ne méritent pas, ils préfèrent perdre leur dignité, jusqu’à verser du sang ».
Voilà, selon le journaliste reconverti en ethnologue, la raison de la tragédie de 1972 ‘très doctement expliquée par ’ Kenny-Claude Nduwimana.
Dans un autre post audio, Kenny-Claude Nduwimana se fait pourfendeur des relations entre Hutus et Tutsis et des couples mixtes. Ainsi, du ton des plus sarcastiques, et avec des références bibliques douteuses, il va jusqu’à conseiller aux Hutus de ne jamais faire confiance aux Tutsis et de ne jamais en faire des proches. Il compare les Tutsis à des chiens qui vivent du sang, pour expliquer pourquoi ils ne sont pas aussi nombreux que les Hutus : « Même la bible dit qu’il ne faut pas s’allier avec des gens qui n’ont pas la même foi que vous. On n’a pas la même foi ! Aujourd’hui, c’est eux qui nous parlent de Dieu, mais c’est eux qui nous ont égorgés dans le passé. C’est eux qui ont fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui. Quel Hutu a vécu comme nous vivons aujourd’hui ? Si ce n’était pas de leur faute, tu penses que tu ne serais pas mieux aujourd’hui ? Mais…certains d’entre vous, quand vous avez le ventre plein, vous dites : « Ouh là là, la fille-là » ! Juste parce que tu viens d’avoir un bon boulot. Et si tu épousais une fille hutue ! Tu penses qu’elle ne conviendrait pas ? Est-ce que la Hutue n’a pas été créée par Dieu ? Savez-vous que les Hutus constituent la vraie race de Dieu ? Les Tutsis sont juste des étrangers. Mais, même s’ils nous tuent, eux ne prolifèrent pas. Savez-vous pourquoi les Tutsis restent peu nombreux alors qu’ils ont versé notre sang en nous massacrant, et qu’ils continuent jusqu’ici à nous tuer ? Les chiens ne prolifèrent pas alors qu’ils ne sont pas comestibles. C’est parce qu’ils se nourrissent de sang ! Même les Tutsis ne peuvent pas proliférer, parce qu’ils ont versé beaucoup de sang ! Et ils continuent. Et après, vous en faites des amis ! C’est honteux ! Avez-vous déjà vu une vache s’accoupler avec un chien ? » Une image digne de l’époque nazie pour fustiger et gazer les Juifs ou, plus récemment, d’avant le génocide, pour justifier la nécessité d’exterminer les Tutsis au Rwanda voisin.
Mais de tous les Hutus, il en est un qui est particulièrement visé : Agathon Rwasa. Dans cet audio, Kenny-Claude Nnduwimana a commencé par s’en prendre à Pacifique Nininahazwe, une figure emblématique de la société civile burundaise, pour avoir posté des résultats qui montraient que le leader de l’opposition burundaise et président du parti CNL avait remporté l’élection présidentielle du 20 mai 2020. Il est vrai que dans cet élément sonore, Kenny-Claude Nduwimana rappelle à Rwasa le calvaire qu’ils auraient vécu ensemble dans le maquis. Et, avec une véhémence sans pareille, il interpelle l’opposant : « Franchement Rwasa, tu es fou ou tu es saoul ? Tu as été maudit ou ensorcelé ? Qu’est-ce qu’on t’a donné chez les Tutsis qui ne cessent pas de te tromper, jusqu’à te faire oublier tes origines ? Franchement, Rwasa, comment des gens qui ne font même pas 8% de la population peuvent te tromper, jusqu’à haïr tes propres frères qui t’ont caché et nourri ? Les Tutsis te trompent. Ils déciment ta famille, et ils reviennent vers toi ! Ne te fais pas piéger une deuxième fois, Rwasa ! » Reste à savoir si Agathon Rwasa a été sensible à ce lugubre appel. J’en doute.
Dans l’une de ses dernières, sorties, Kenny-Claude Nduwimana se fait cette fois expert des « origines des Tutsis ». Il précise qu’avant de se fixer au Burundi, les Tutsis sont passés par plusieurs contrées dont ils ont successivement été chassés parce qu’ils ne parvenaient pas à bien cohabiter avec leurs hôtes. Mais le but évident est de montrer que les Tutsis sont juste des étrangers. Une vraie peste, ces gens, dit-il : « Voyez-vous, ces Tutsis cohabitent tellement mal avec les autres qu’ils ne pouvaient pas rester longtemps partout où ils étaient accueillis. Ils se comportaient tellement mal avec les autres que ceux-ci les chassaient de leur pays. » Signifiant qu’il faut leur dire « ouste » du Burundi aussi !
Un ethnisme décomplexé
Une femme a été lourdement condamnée. Certes, elle avait tenu des propos inacceptables mais sans commune mesure avec ceux du « journaliste » Keny-Claude Nduwimana. Rappel.
Qu’est-ce qui peut expliquer que Kenny-Claude Nduwimana se permette de diffuser aussi régulièrement et allègrement des discours de haine sans visiblement se soucier de rien ? La question vaut d’autant son pesant d’or que ses propos en appellent à d’autres : ceux tenus une et une seule fois par une dame, Kamikazi Karerwa Gloriose, des propos, il faut le reconnaître tout aussi déshonorants.
Cette dame répondait à un message d’une de ses collègues, parlant de femmes qui participaient à un défilé. C’était l’année dernière. Le ton était badin : « Je n’ai pas vu ces criminelles. Elles se prétendent Intwari ! Ces femmes hutues qui étaient alignées comme des perdrix sur une montée ! Ne m’en parle pas, hahahahah ! Et tu me fais chanter avec ça ! Je n’ai pas vu ça. Ces pourritures ! Et tu prétends avoir envoyé quelque chose ! Moi je n’ai pas vu ça. »
Il a suffi de quelques heures après cet échange enregistré à son insu, pour que Kamikazi Karerwa Gloriose soit arrêtée, suite à une plainte de l’association de femmes Intwari qu’elle avait citée dans ses propos. Une peine de trois ans de prison et une amende de 610 millions de francs burundais, soit près de 350 mille dollars américains, ont été requises contre elle. Pendant le procès, Kamikazi Karerwa Gloriose a reconnu la gravité de propos qu’elle avait tenus, elle a ensuite même pardon. Le ton était cette fois humble, sincère : « Comme je l’ai toujours dit depuis mon arrestation, je leur ai demandé pardon à de nombreuses reprises. Autant de fois que possible ! Et elles m’ont même dit, nous sommes trop nombreuses, on ne peut pas t’accorder le pardon ici, nous t’accorderons le pardon pendant le procès. Alors, comme elles sont également des mères… Vous êtes mariées, vous avez des enfants, moi aussi je suis mariée et j’ai des enfants en bas âge, des jumeaux. Ils sont encore tout petits. Je demande avec insistance pardon à ces dames d’Intwari ! Je m’excuse beaucoup auprès de la cour, je demande même pardon à tout Burundais et à toute Burundaise que mes propos auraient blessés ! Je vous en serai reconnaissante et justice sera faite. »
Mais, malgré ses supplications, ni les plaignantes, ni la cour ne lui ont accordé le pardon.
A partir de l’exemple de Kamikazi Karerwa Gloriose qui a fauté une seule fois, qui ne se poserait pas la question de savoir pourquoi Kenny-Claude Nduwimana, lui, en a fait une tradition, une rengaine quotidienne, jusqu’à « nourrir » une chaîne youtube. Une question d’autant plus légitime que le concerné ne s’en cache pas et assume pleinement ses propos. A la fin de ses émissions, il se présente et indique comment suivre ses productions : « Kenny-Claude Nduwimana était à la présentation. Vous pouvez me suivre sur les réseaux sociaux : sur WhatsApp…. Vous pouvez aussi m’écrire sur e-mail… ou me suivre sur YouTube. » Et il y joint son identifiant, que la rédaction a pris le soin d’enlever. Que fait donc cette même justice pour s’auto saisir d’un cas aussi flagrant ?
Le CNC sait…
Après des investigations, il s’est avéré que Kenny-Claude dispose d’une carte professionnelle de journaliste qui lui a été délivrée par le Conseil National de la Communication. Or depuis pratiquement des mois, Kenny-Claude Nduwimana se prête à cette infamie au vu et au su de tous, surtout du même CNC qui, pourtant, est l’organe par excellence de contrôle du travail des journalistes et donc du respect de la déontologie journalistique. Le CNC peut-il prétendre aujourd’hui ne pas être au fait des discours de haine de Kenny-Claude Nduwimana ? On est même dans le droit de se demander comment ce même Conseil se permet de fermer les yeux sur ce fleuve d’injures et de dénigrement d’une partie de la population sans bouger un doigt, alors que c’est lui qui lui a procuré le sésame grâce auquel il se présente sous le statut de journaliste. Ignorance ou complicité ? Le temps nous le dira.
L’autre incongruité, c’est sa participation dans des activités réservées aux journalistes. L’exemple le plus récent est sa présence à la conférence de presse animée par le président de la Commission Vérité-Réconciliation le 16 juillet dernier à Gitega. Pierre-Claver Ndayicariye a répondu à sa question après l’avoir nommé et précisé qu’il travaille pour un média du nom d’Izuba. Il semble donc que Kenny-Claude Nduwimana est bien reconnu comme journaliste. Et un organe comme la CVR sensé œuvrer pour la réconciliation des Burundais ose accorder la parole à une personne qui ne fait rien d’autre que les diviser, et qui semble même mettre toute son énergie pour que des millions de filles et de fils du Burundi soient reniés, voire chassés, si pas pire.
*Franck Kaze, de son vrai nom Gérard Nzohabona, est journaliste depuis une vingtaine d’années. Détenteur d’un Master en journalisme, il a exercé ce métier au Burundi, au Sénégal et, aujourd’hui, au Rwanda où il est en exil. Franck Kaze est également consultant formateur en journalisme et en communication. Ainsi, il sillonne l’Afrique pour former des professionnels des médias, cadres d’entreprises et cadres d’Etats. Le Burundi, le Rwanda, la RDC, la Guinée, le Togo, le Mali ou encore le Tchad, sont entre autres pays où il a exercé.