Me Isidore Rufyikiri, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Burundi est confiant avec [la nouvelle équipe nommée à la tête de la magistrature.->www.iwacu-burundi.org/spip.php?article2144] Même si le pouvoir judiciaire dépend encore trop de l’exécutif. <doc3228|right>{Que pensez-vous des nouvelles nominations à la tête de la magistrature ?} D’emblée, elles nous rassurent. Quand je vois les personnalités qui ont été placées à la tête de la cour suprême, de la cour d’appel, du parquet en mairie et du Tribunal de Grande Instance (TGI) de Bujumbura, quand je regarde celles qui ont été maintenues au Tribunal du commerce de Bujumbura et du Tribunal de travail, il y a lieu d’être optimiste. Il y a un léger mieux. Nous avons affaire à des gens qui ont généralement une bonne réputation d’après des rapports qui nous parviennent. C’est très important surtout quand l’on sait et entend qu’il y en a qui ont été limogés pour des raisons de corruption. {Selon vous, le système judiciaire vient d’avoir des chefs des juridictions indépendants ?} Non, rien ne permet de le dire. Nous allons les juger sur leurs actes. En effet, si ces chefs des juridictions veulent imprimer une nouvelle dynamique au sein des équipes de juges, les choses peuvent légèrement changer parce que la structure constitutionnelle légale met inexorablement les juges et les magistrats sous la dépendance du pouvoir exécutif. Quand ce dernier contient des éléments trop trempés dans des crimes de sang et économiques, il ne peut pas être à l’aise pour laisser les juges avoir les mains libres dans l’exercice et l’administration de la justice. C’est une question de protection de soi. {Certains doutent à cause du manque d’expérience chez certains de ces cadres, la plupart d’entre eux sont jeunes dans le métier. Qu’en dites-vous ?} Les uns sont ou seront toujours moins ou plus expérimentés que d’autres. Le problème majeur ne réside pas à ce niveau. Du moment que ces personnes sont diplômés en droit (ont une licence), avec une certaine expérience, si ces personnes sont également indépendantes dans leur esprit, avec le pouvoir, rien n’empêcherait que la justice marche. On est toujours moins ancien que l’autre. Quand on est disposé à rendre la justice, à respecter la loi, à juger de façon indépendante, l’expérience s’acquiert, elle vient avec le temps. {Et comment interprétez-vous les dernières libérations des personnalités jugées comme des opposants au gouvernement ?} Je me réjouis que ces gens soient libérés en fin de compte. Toutefois, ce qui me fait mal, c’est que ces libérations sont mitigées. Ce sont des libérations à demi-mesure où tantôt on oblige quelqu’un à rentrer sous l’immunité provisoire avec des conditions contraignantes qui le maintiennent pratiquement dans les liens du mandat d’arrêt, du régime de détention. Tantôt, d’autres sont libérés sous caution ou paiement des sommes indues alors que quand quelqu’un doit être libéré, il faut le faire. A ma connaissance, ces gens ne sont pas coupables. {Vous y voyez donc une violation de la loi ?} Oui car la loi, c’est la loi. La loi pénale se lit. Ce n’est pas de l’imaginaire ou de la philosophie. Il n’y a pas à inventer une infraction qui n’est pas établie. Pourquoi veut-on maintenir l’épée de Damoclès sur des personnes innocentes ? Est-ce que dans ce pays, on ne peut pas être tranquille, avoir des magistrats ou des politiques heureux de voir des gens libres ? La haine doit pouvoir s’estomper. {Êtes-vous de l’avis de ceux qui pensent que ces libérations sont conséquentes à la prise de position du principal bailleur burundais, l’Union Européenne (UE) ?} Probablement qu’il y a de cela mais il y a aussi d’autres pressions. Nous sommes arrivés à une situation où certaines personnalités y compris le corps diplomatique ont fini par remettre en question certaines de leurs réserves excessives. Ils sont devenus très conscients de l’excès de violation des droits de l’homme. Ils ont fini par comprendre que protéger ce droit fait partie de leurs missions, même chez eux, c’est un principe consacré. {Peut-on dire aujourd’hui que la justice burundaise est en train de redorer son image ?} Oui, mais à une condition : qu’à partir de ces libérations, la justice apprenne à ne plus arrêter et maintenir en détention des gens qui ne le méritent pas. Mais il y a un mal qui demeure, le pouvoir judiciaire dépend trop du pouvoir exécutif. C’est le plus grand mal burundais. Beaucoup de dossiers sensibles passent mal instruits, on arrête et emprisonne des gens qu’il ne faudrait pas mettre en détention et on protège les gros bonnets qui devraient être poursuivis. Il ne suffit pas de se repentir aujourd’hui, encore, il faut y renoncer. Maintenant, je vois encore des dossiers sur les assassinats de Kiremba, Muyinga, Gatumba, Manirumva, etc. Tant que ces dossiers ne sont pas mis en ordre, des détenus qui ont dépassé les délais de détention ne sont pas relâchés, le Service National de Renseignements (SNR) continue à arrêter des gens, le chemin à parcourir reste long.