Le gouvernement propose dans son projet d’amendement de la Constitution que ses membres soient jugés par la Haute Cour de justice. Me Fabien Segatwa dénonce l’intention de les faire échapper aux juridictions ordinaires tout en les privant du droit de faire appel.
Quel commentaire faites-vous par rapport à la nouvelle attribution de la Haute Cour de justice ?
Elle n’est pas la mieux indiquée. Si les ministres devaient être justiciables par la Haute Cour, elle ne s’en sortirait pas à voir l’effectif des personnalités qui ont occupé le fauteuil ministériel dans ce pays. Dans la Constitution en vigueur aujourd’hui, la Haute Cour devrait juger des personnalités comme le président de la République, de l’Assemblée nationale et celui du Sénat.
Je comprends mal comment le gouvernement veut ajouter à cette liste le premier ministre, le vice-président de la République, les présidents de la Cour constitutionnelle et de la Cour suprême, l’ombudsman et les membres du gouvernement pour un organe qui n’existe pas. Tout en oubliant le Procureur général de la République qui a les mêmes droits et avantages que le président de la Cour constitutionnelle.
Selon vous, pourquoi la Haute Cour tarde-t-elle à venir ?
C’est par simple manque de volonté politique. 13 ans après la signature de l’Accord d’Arusha qui la préconise, c’est inconcevable qu’elle ne soit pas déjà constituée. D’après toujours Arusha, elle est composée des membres de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle. Qu’est-ce qui est difficile puisque les deux sont déjà là ?
Quels peuvent être les enjeux de cette stratégie ?
Le pouvoir veut tout simplement les soustraire aux juridictions ordinaires. Il sait pertinemment que les membres du gouvernement sont dans leurs ministères respectifs gestionnaires du budget de l’Etat. Et si demain, l’un ou l’autre fait objet de malversations, il serait épargné des poursuites judiciaires. Souvenez-vous au Sénégal, tout récemment du fils de l’ancien président Abdoulaye Wade.
Et quel est le danger ?
Le pouvoir pense protéger les ministres mais du coup, il les expose. Avant, ils étaient jugés par la Cour suprême de justice au 1er et au second degré. C’est-à-dire qu’ils pouvaient faire appel. Avec la Haute Cour de justice, ils n’auront plus ce droit. De plus, à l’article 235 de la Constitution, il est stipulé qu’une fois condamnés, le président de la République, ses deux vice-présidents, les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat sont déchus. Cependant, le nouveau projet d’amendement de la Constitution est muet sur le sort des ministres, du premier ministre, de l’Ombudsman, etc.
Quel conseil donnez-vous ?
La loi internationale, qui a été intégrée dans l’article 19 de la Constitution, dispose que chaque condamné a droit de faire appel. Je me réfère aussi au pacte international des droits de l’homme ratifié par le Burundi. Ce qui serait raisonnable, c’est de laisser les textes tels qu’ils sont aujourd’hui. Sinon, la Haute Cour sera pour certains un cadeau empoisonné et une arme à double tranchant.
Pas de commentaires sur un article où un grand technicien et professionnel de la loi s’est exprimé. Nkurunziza veut protéger ses proches mais pas intelligemment. Est-ce de sa faute ou celle de ses conseillers? quoi qu’il en soit, il n’est pas innocent car il a une conscience dans ce qu’il fait et dit.