L’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi, signé en 2000, prévoyait la mise en place des mécanismes de Justice Transitionnelle, dont la Commission Vérité et Réconciliation (CVR). Mais 12 ans après, elle n’est pas encore mise sur pied.
<doc6422|left>« On estimait qu’en décembre 2000, il y aurait la mise en place de ces mécanismes. Mais, à cette époque, n’oublie pas qu’il y avait encore la guerre. Les Burundais croyaient qu’en 2000 on aurait un gouvernement de transition, mais ce n’était pas facile, parce qu’il y avait toujours la guerre », indique Festus Ntanyungu, président de la Commission Tripartite de Pilotage (CPT) représentant le gouvernement.
Il rappelle que la guerre s’est arrêtée lorsque le mouvement FNL a signé l’Accord d’Arusha, en décembre 2008. M. Ntanyungu estime que le retard de la mise en place de ces mécanismes est lié aux causes externes : « La guerre a continué et les moyens financiers devaient venir de l’extérieur. »
Festus Ntanyungu souligne que durant la guerre, les consultations populaires n’étaient pas possibles. A ceux qui disent que certains politiciens ont peur de la CVR, M. Ntanyungu rassure : « Ils ne peuvent pas avoir peur parce que ce sont eux qui ont signé l’Accord d’Arusha. Ce sont les Burundais qui se sont convenus sur la mise en place de cette commission de Vérité et de Réconciliation. »
Les Burundais, indique-t-il, sont incapables de mettre en place cette commission. C’est pourquoi, explique-t-il, ils ont demandé l’aide extérieure pour le Tribunal Spécial (TS). Cependant, il ne refuse pas qu’un individu peut avoir peur de ce tribunal.
Tout en reconnaissant le pas franchi dans le processus de mise en place de ces mécanismes, il pense qu’il faut éviter la précipitation : « On ne peut pas se presser avec un tel processus qui concerne surtout la population. Il faut aller lentement et cela ne veut pas dire, ne pas le faire. »
Un processus à ne pas prendre à la légère
« Les Burundais ont accepté de s’asseoir ensemble pour trouver une solution. Mais, de leur retour d’Arusha, on a vu qu’il existe encore des désaccords. Ce processus n’est pas à prendre à la légère », indique Frère Emmanuel Ntakarutimana, président de la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH).
Car, précise-t-il, il est appelé à apporter des solutions aux crises profondément marquées dans les cœurs des Burundais. D’après lui, certains bourreaux et victimes sont morts et d’autres sont en vie. « Comment ce processus devra-t-il fonctionner pour que les Burundais puissent s’asseoir ensemble, revisiter leur passé et se consoler les uns et les autres ? », se demande-t-il.
Il juge indispensable que les psychologues puissent s’occuper des personnes traumatisées. « Se rappeler du passé est traumatisant. Il faut préparer les gens pour accompagner ce processus. Et cela nécessite plus de sagesse que des lois », affirme-t-il.
Le président de la CNIDH espère que la population aura à contribuer dans ce dialogue qui se tiendra au parlement : « Il faut que ce soit un dialogue inclusif. » Il faut, selon lui, veiller à ce que ce processus aboutisse à un bon résultat et ne se construise pas sur des mensonges politiques.
« Pas de retard dans les choses concernant la vie importante du pays »
« Pour ce qui concerne la vie importante du pays, il n’y a pas de retard », indique Frère Emmanuel Ntakarutimana, président de la CNIDH. D’après lui, pour le moment, on parle de la mise en place des lois. Et après, ce sera le cas des personnes qui seront chargées de ce processus : « Qui est cette personne qui va travailler dans ce processus ? Ses qualités professionnelles, morales, … ?»
En ce qui est du traumatisme, Frère Emmanuel Ntakarutimana assure que la majorité des Burundais vivent avec un traumatisme. Car, explique-t-il, ils ont vécu des scènes dramatiques. Quant aux politiciens, il indique qu’ils ont aussi connu des moments douloureux et traumatisants.
Un projet de loi portant création, mandat, composition, organisation et fonctionnement de la CVR sera bientôt devant le parlement : quelles sont ses faiblesses ?
Joseph Ndayizeye, président de la Ligue Iteka et membre d’un groupe de réflexion sur la justice transitionnelle, souligne que l’aspect justice a été ôté de ce projet de loi : « Nulle part, on mentionne qu’on fera recours à la justice dans ces mécanismes ».
Le conseil des ministres doit expliquer pourquoi cet aspect a été supprimé, insiste-t-il. Pour lui, connaître la vérité et pardonner n’est pas incompatible avec la justice. Il indique aussi que certaines compétences ont été amputées à la CVR.
« C’est par exemple les compétences d’enquêter sur les crimes et de pouvoir les instruire en justice. Cela a été oublié. Connaître la vérité et se pardonner sont de bonnes choses. Mais le plus important, c’est ce qu’on va faire avec cette vérité. Car ce n’est pas bien d’imposer aux gens d’accorder leur pardon », indique-t-il.
Il souligne que l’amnistie n’est pas une option à privilégier dans le domaine de la justice transitionnelle. « Il y a des crimes inamnistiables. Le génocide et les crimes de guerres ne sont pas amnistiables. Ils sont régis par des lois internationales. Si les auteurs de ces crimes venaient à être amnistiés, tout le processus pourrait être remis en question ».
Cependant, M. Ndayizeye reste optimiste : « Le Parlement travaille pour le peuple, je sais que quand un projet de loi est envoyé par le gouvernement et qu’un groupe de gens présente des propositions, l’Assemblée nationale prend normalement le temps de les étudier. Ce n’est pas la première fois que nous envoyons des suggestions et que l’Assemblée nationale les trouve fondées. Nous osons espérer que ce sera aussi le cas pour ce projet de loi ».