Le comportement de la justice burundaise dans le dossier sur le massacre de Gatumba rappelle étrangement celui qu’elle a adopté dans l’affaire Manirumva. Dans les deux cas, des personnalités citées mais jamais interrogées.
Vendredi le 27 janvier, le Tribunal de Grande Instance en mairie de Bujumbura prononce les sentences à l’encontre des 21 accusés dans l’affaire dit du « massacre de Gatumba » : la perpétuité pour sept accusés (dont Nzarabu, Mabele et Kabizi), une peine de cinq ans d’emprisonnement pour sept autres accusés, pendant que deux détenus écopent de deux ans d’emprisonnement.
Dans cette affaire, seuls cinq prévenus sont acquittés. En outre, les personnes condamnées devront payer aux familles des 39 personnes qui ont péri dans le carnage une somme totale de 800 millions de Fbu comme indemnités.
Cependant, le mobile du massacre n’a pas été démontré par l’accusation. Juste après l’annonce des sentences, les avocats des condamnés ont déclaré qu’ils comptaient interjeter appel. La défense n’a pas cessé de demander au tribunal d’entendre les personnes citées par les prévenus, mais en vain.
<doc2871|right>Les personnes citées occupent de hautes fonctions. Nzarabu a cité notamment Désire Uwamahoro, commandant du Groupement Mobile d’Intervention Rapide (GMIR), Gervais Ndirakobuca alias Ndakugarika, directeur général adjoint de la police, Maurice Mbonimpa, secrétaire permanent au ministre de la Sécurité Publique, un certain Kazungu, Jérémie Bihorimana (démobilisé) et Karenzo, tous du SNR. Selon Nzarabu, ils auraient participé à des réunions quelques temps avant le forfait à Gatumba.
Un sentiment du déjà vu …
Dans un arrêt du 26 janvier 2011, la Chambre criminelle de la Cour d’appel de Bujumbura se déclarait incompétente pour connaître de l’ensemble du dossier sur l’assassinat de Manirumva, en raison de la personnalité d’un des prévenus. La Chambre a donc renvoyé 15 des 16 prévenus, toujours en détention préventive depuis plus de deux ans, devant la Chambre criminelle du Tribunal de grande instance en mairie de Bujumbura.
Le 15 juin 2011, le ministère public a réclamé que le dossier lui soit retourné pour un complément d’enquête, suite à la réception d’éléments nouveaux, requête accordée dans un jugement du 22 juin 2011. Notons que la Troisième commission d’enquête sur cette affaire et un rapport de l’enquête du FBI ont tous les deux recommandé de nouvelles enquêtes, dont le prélèvement d’échantillons d’ADN et la tenue d’interrogatoires de certaines personnes.
S’agissant du contenu de ce rapport, The Federal Bureau for Investigation (F.B.I) ou Bureau Fédéral d’Investigation dont le siège est aux Etats Unis , certaines autorités des services de défense et de sécurité dont : le Général Major Nshimirimana Adolphe (Administrateur Général du Service National des Renseignements), le Général de Brigade Gervais Ndirakobuca alias Ndakugarika (Directeur Général Adjoint de la Police Nationale), le colonel David Nikiza (Commissaire de police Région Ouest) et le Major Désiré Uwamahoro, actuellement commandant du Groupement Mobile d’Intervention (GMIR) seraient impliquées dans cet assassinat. Ce rapport demande l’analyse de leur ADN. Ce qui n’a pas encore été fait jusqu’aujourd’hui.
Des intouchables localement …
Des similitudes apparaissent dans ces deux affaires : certains noms reviennent, cités comme directement impliqués dans le crime, comme commanditaires ou auteurs. Pourtant, ils ne sont même pas entendus par la justice. Il semble évident que nous sommes face à une justice de deux poids deux mesures puisque, dans les deux affaires, la justice semble s’acharner sur des boucs émissaires alors que ceux qui sont cités comme les commanditaires probables ou les vrais auteurs ne sont pas inquiétés.
Et dans les deux cas, l’instruction du dossier a été mal faite parce que, si on avait fait comparaître certains témoins cités, il est probable que les deux affaires auraient connu une autre évolution. Mais le tribunal n’a pas voulu faire comparaître les témoins cités, et par Nzarabu, et par le rapport du FBI. Il est donc incompréhensible qu’une détention préventive dure plusieurs années, ou que des condamnations pleuvent, jusqu’à perpétuité, lorsque ceux qui sont cités comme commanditaires ne sont pas poursuivis pénalement.
Pourquoi les juges ont refusé de faire comparaître de hautes personnalités. Par peur ? Sûrement. Sinon il n’y a aucune raison qu’une personne citée comme un témoin oculaire ne soit pas entendu. Car cela ne signifierait en aucun cas qu’il soit coupable, mais peut contribuer dans la recherche de la vérité par la confrontation entre son témoignage et les déclarations des prévenus. Sinon c’est regrettable de condamner des prévenus sans avoir entendu des témoins de première main, alors que le devoir du juge est de chercher la vérité. Partout.
… mais qui peuvent être poursuivis ailleurs
Pour les deux affaires, il ne reste plus qu’à espérer que le juge d’appel soit plus indépendant que celui de la première instance, et que le complément d’enquête permettra de faire comparaître les personnalités citées par la défense. Sinon cela accréditera l’opinion que certaines personnes sont réellement au-dessus de la loi.
Cependant, quand bien même la situation ne changerait pas, il subsiste une différence entre les deux dossiers. Car, comme l’a indiqué Me Fabien Segatwa, avocat de Nzarabu, le massacre de Gatumba est un crime odieux que le ministère public a qualifié de crime contre l’humanité, et toute personne, quel que soit son rang, est poursuivie. « Et si un tel dossier n’est pas instruit, les tribunaux internationaux risquent d’être saisis. Et ce ne sont pas seulement les auteurs de ces crimes qui seraient poursuivis, mais également ceux qui les ont couverts, pour n’avoir pas pris les mesures pour punir les coupables. »