Cohabitation pacifique, entente avec ceux qui sont restés sur les collines et présence administrative lors de la commémoration des leurs,… entre autres sources d’espoir pour les déplacés du site de Bugendana en province Gitega. Néanmoins, beaucoup reste à faire pour un apaisement total. Reportage.
Le petit bourg de Bugendana est très animé. De part et d’autres de la route, de nouvelles boutiques, des bistrots, … Des jeunes femmes, des jeunes hommes, sirotent doucement leur bière, trinquent tout en goûtant la belle brochette de la vache de Bugendana.
A presque 10 mètres de cette route macadamisée, des boutiques vétustes, en tuiles. Des réparateurs de radios, de vélos, des salons de coiffure, etc. s’activent. De géants eucalyptus rafraîchissent cette localité. Tout paraît calme.
Cependant, derrière les boutiques, les bars, les quelques sourires des passants, se cachent des cœurs brisés, des cauchemars. Des centaines de rescapés du carnage de 1996 à Bugendana se recueillent devant le monument des victimes. Une grande croix noire. Un vaste cimetière où reposent 648 Tutsis, sauvagement massacrés dans la matinée du 21 juillet 1996. Une histoire douloureuse. Leur monument est aujourd’hui en train d’être bétonné.
Cette grande croix d’environ 3 mètres de haut, annonce de loin ce lieu de recueillement. Sur cette croix, une sorte d’épitaphe : «Au matin du 2/7/1996. Génocide des 648 Tutsi rescapés de 1993 à Bugendana». La croix est soigneusement plantée au milieu de cette nécropole. En bois, comme des acolytes, une trentaine d’autres petites croix entamées par la moisissure.
A une cinquantaine de mètres de là, le site des déplacés de Bugendana. Plus de 665 ménages, aux maisons essentiellement en tuiles, abritent les rescapés de la crise de 1993 et du massacre de 1996. Ils sont principalement originaires des collines Cishwa, Mwurire, Mugitega, Runyeri, Kibungo, Mukoro et Kibimbi, indique Oswald Ntirampeba, le chef du site.
Des relations au beau fixe, mais…
Malgré les multiples défis auxquels ils font face, ces déplacés affirment que les relations avec ceux qui sont restés sur les collines se rétablissent petit à petit. «Aujourd’hui, nous labourons nos terres. Nos récoltes ne sont plus volées ou abîmées», confie un des déplacés.
Il n’a plus peur de passer la nuit chez un ami hutu laissé sur la colline. De Cishwa, il partage souvent et tranquillement un verre avec ceux de sa colline d’origine : «Quand la nuit tombe, je ne me presse pas de rentrer. Ils m’accompagnent.»
Désiré, un autre déplacé de renchérir : «La cohabitation est bonne. Par ailleurs, nous partageons le même destin.» 23 ans après la tragédie, il signale que son esprit est en peu apaisé. « Ce ne sont pas ces paysans-là qui ont commandité ce massacre. Les auteurs doivent être des gens aujourd’hui haut placés».
Oswald Ntirampeba, Chef du site, se dit aussi optimiste : « Si la collaboration continue sur la même lancée, il y a lieu d’espérer. Les relations s’améliorent de plus en plus.»
Selon lui, les déplacés de Bugendana cultivent leurs terres. « Il arrive même qu’un déplacé partage un même champ avec un ami Hutu resté sur la colline. A la récolte, ils se partagent la moisson.» Et certains Hutus travaillent dans les champs des déplacés. Ils sont payés en nature ou en argent, précise M. Ntirampeba. Et de remercier l’administration : « Aujourd’hui, les administratifs se joignent à nous lors de la commémoration. Contrairement aux années passées, même notre sécurité est assurée».
Les défis subsistent
Malgré cette bonne collaboration, M. Ntirampeba indique que ces déplacés ne sont pas tranquilles. «Nous ne sommes pas totalement rassurés. Car, nos bonnes relations sont souvent perturbées par des propos divisionnistes des politiciens surtout lors des élections».
Au lieu de tenir un langage rassembleur, motive-t-il, ils divisent la population sur base ethnique. « Au lieu de parler des projets clairs, concis et réalisables, ils se servent de la politique de ’’diviser pour régner’’ comme du temps de la colonisation».
Ces rescapés se disent aussi discriminés. «Nous ne bénéficions pas des projets de développement comme les autres habitants de Bugendana», se lamente Bernard, un jeune homme. Il donne l’exemple du Programme de développement des filières (Prodefi), un projet du gouvernement financé par le FIDA. «L’administration exige que nous rentrions sur nos collines pour être bénéficiaires des vaches. Elle avance que nous n’avons pas de propriété, des pâturages pour les nourrir».
D’après lui, Léonard Nahindoreye, déplacé, avait pu figurer sur les listes des bénéficiaires. Même les agents du Prodefi avaient visité ses propriétés. Il avait planté des herbes fourragères. «Mais, à sa surprise, quelqu’un de l’administration communale lui a signifié, par après, qu’il n’aura pas la vache tant qu’il reste dans le site.» Un cas de discrimination, commente-t-il, car, pas mal d’habitants du site sont des éleveurs de vaches.
Hormis les grands projets, les déplacés de Bugendana n’ont même pas accès aux petites opportunités occasionnelles. «Les administratifs à la base qui confectionnent les listes nous ignorent.» Idem pour diverses formations et les camps de travail.
Une situation décrite ainsi alors que les déplacés devaient être prioritaires, critique Pascal Ntahonkuriye, secrétaire général de l’Association des rescapés du Génocide de Bugendana ’’ARGEBU’’.
En effet, justifie-t-il, beaucoup de ces déplacés sont vieux, veufs ou handicapés physiques. «A mon avis, l’administration devrait retenir en priorité ceux du site, histoire de leur montrer qu’il n’y a plus de discorde, de panser leurs blessures», ajoute une femme, déplacée. Par ailleurs, M. Ntahonkuriye souligne que ces déplacés vivent dans la précarité totale. « Les enfants rescapés de 1996 ont aujourd’hui 23 ans. Ils ont besoin de fonder leur foyer. Or, le site ne s’agrandit pas».
Un problème d’eau s’y pose aussi. Le site de Bugendana compte six robinets. « Mais aucun n’est plus fonctionnel.» A la périphérie, il y a trois robinets, tous fonctionnels. « C’est essentiellement pour la population environnante».
Plusieurs déplacés s’accordent à dire que cette question a été soumise à l’administration communale. « Cependant, elle n’a rien fait. C’est comme si l’administration négligeait nos préoccupations», glisse un autre rescapé.
Ces déplacés de la crise de 1993 demandent qu’ils soient traités de la même façon que le reste de la population de Bugendana. « En appliquant le cas échéant, lors des opportunités, les quotas ethniques prévus par la Constitution. A savoir 40% pour les Tutsi et 60% pour les Hutus.»
Pour sa part, M. Ntahonkuriye demande que ce site et quelques maisons environnantes soient considérées comme une entité administrative à part. Le projet d’installation d’un aéroport international dans cette localité ne les rassure pas. « Il y a risque de démantèlement de notre site, même du cimetière où reposent les nôtres».
L’administration se justifie
De son côté, l’administration retourne la balle dans le camp des déplacés. Saul Ntakarutimana, conseiller social de l’administrateur de Bugendana estime que ces déplacés s’auto-discriminent. Il précise que cette commune avait deux sites : Mugera et Bugendana. «Il y a plus de dix ans, ceux de Mugera sont tous rentrés. Même ici, certains ont regagné leur colline».
Il leur demande d’intégrer les comités mixtes de sécurité. «Car, en cas d’insécurité, le site ne sera pas épargné.» A ceux qui veulent que ce site soit une entité indépendante, M.Ntakarutimana tranche : « C’est impossible. Le site s’étend sur deux collines de recensement à savoir Mukoro et Nyabitare. Et là, les organes dirigeants sont au complet.»
Cet administratif indique que la commune soutient toute personne qui veut rentrer. « Si elle est très vulnérable, la commune aide à construire sa maison et même des tôles sont octroyées.» Il déplore néanmoins que les demandes ne soient pas nombreuses. « Probablement que certaines personnes leur font peur, et les incitent à rester dans le site.»
Pour le cas de l’aéroport, M.Ntakarutimana signale qu’il s’agit d’un projet du gouvernement et non communal. Il espère que les exécutants trouveront des solutions justes aux préoccupations de ces déplacés. Il appelle ces rescapés du massacre de 1996 et leurs descendants à plus d’ouverture. « Il faut intégrer les coopératives Sangwe où se retrouvent les autres habitants de la commune.»
Par Edouard Nkurunziza et Rénovat Ndabashinze