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Mandela ou le médiateur de la dernière chance ?

05/05/2013 Commentaires fermés sur Mandela ou le médiateur de la dernière chance ?

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Le 19 juillet dernier, le monde entier célébrait les 94 ans de Mandela, un homme au destin extraordinaire et qui eut à faire, aussi, avec le Burundi. Cet article rédigé en décembre 1999 mais jamais publié est une réflexion de Prime Nyamoya, qui a voulu nous partager son ressenti après la désignation du premier président démocratique de l’Afrique du Sud comme médiateur dans le conflit burundais …
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Mandela est le nouveau médiateur désigné par les Chefs d’Etat de la région, en remplacement de Julius Nyerere, décédé le 14 octobre dernier, pour démêler l’inextricable imbroglio de la crise burundaise. Il aura la tâche dure pour une mission exceptionnellement difficile, selon les commentaires du Département d’Etat.

La réaction mitigée, malgré les précautions de style, d’une certaine partie de la classe politique burundaise, – relayée entre autres par la BBC en langue nationale le Kirundi-, à la nomination d’une personnalité exceptionnelle aussi bien en Afrique que dans le monde, augure mal de la volonté des protagonistes à arriver à un accord.

Au-delà d’une approbation de façade exprimée en français à l’usage des médias étrangères, certains ont émis un sérieux bémol à cette nomination qui a suscité par contre un accueil unanime dans les chancelleries occidentales. Pourquoi ce hiatus, alors que Mandela a sur son prédécesseur des avantages de taille ? Connu par ailleurs pour sa farouche indépendance, il s’agit en premier lieu de la neutralité d’un homme, à l’égard d’un pays envers lequel il ne nourrit aucune animosité particulière. C’est un secret de polichinelle que le régime Buyoya entretient des mauvais rapports avec le gouvernement tanzanien.

Son appui manifeste aux extrémistes hutus et les tensions sur les frontières entretiennent un climat de franche méfiance entre les deux pays. Sans compter que la majorité de la classe politique tanzanienne penche ouvertement pour la thèse d’une remise au pouvoir de la coalition des partis ayant gagné les élections de juin 1993. Or, ces derniers sont ouvertement accusés d’avoir trempé dans le génocide consécutif à la tentative du putsch d’octobre 1993, lui enlevant par-là toute forme de légitimité à gouverner sans contre-pouvoirs et contrôle, sous prétexte qu’ils représentent la majorité ethnique du pays.

C’est peut-être sur cette question fondamentale que l’ancien chef d’Etat sud africain marquera la différence dans la recherche d’une solution désintéressée, sans calcul politique personnel, compte tenu de son expérience du pouvoir de son propre pays multiculturel et multiracial. N’est-ce pas lui qui a écrit dans son autobiographie {"Long Walk to Freedom" : in African tradition minority was not to be crushed by the majority} (dans la tradition africaine, la majorité n’écrasait pas la minorité).

Quant à Museveni, les relations avec son homologue burundais varient au gré des événements. Ses prises de position maximalistes lors de l’embargo à l’égard du Burundi de juillet 1996 à janvier 1998, son ambition à peine cachée de devenir le leader de la région des Grands Lacs, sa volonté affichée de résoudre les problèmes burundais à sa manière, le disqualifiaient a priori d’être le médiateur. En réalité, la grande faute de la classe politique burundaise dans son ensemble, comme d’habitude, amnésique de l’histoire du pays depuis l’indépendance, avait été, dans sa naïveté, d’impliquer l’ancien Chef d’Etat tanzanien alors qu’il y a une forte présomption qu’il a joué un rôle non désintéressé dans les relations diplomatiques entre les deux pays. N’est-ce pas lui qui avait décrété en 1973 le premier embargo sur le Burundi lorsque les militaires burundais poursuivaient en territoire tanzanien les rebelles qui y avaient trouvé refuge ? Qu’il ait récidivé en 1996 n’est certainement le fruit du hasard mais du désir d’affirmer la puissance de la Tanzanie sur son voisin.

L’autre grand atout de Mandela est qu’il représente un pays africain qui est la seule puissance économique significative à l’échelle mondiale – et bientôt politique -, du continent. L’Afrique du Sud post-apartheid affiche ouvertement son ambition de s’impliquer dans la résolution des conflits dans la région des Grands Lacs et de servir de référence en matière économique et financière. En contrepied de certains de ses voisins en Afrique Australe, notamment du Zimbabwe, la diplomatie sud africaine prend une position propre à ses intérêts sur les problèmes de la République Démocratique du Congo.

Comme le note le politologue Achille Mbembe dans Le Monde Diplomatique de novembre 1999, la partition de fait de ce pays s’est transformée depuis longtemps déjà en Satrapies informelles, à l’instar des provinces de l’ancienne Perse dont les personnages menaient une vie fastueuse et exerçaient une autorité despotique. Le Congo, immense espace morcelé au risque d’être durablement dépecé par les pays de la région, abrite également les fameux génocidaires rwandais Interahamwe et leurs congénères burundais, alliés au régime de Kabila. Ils constituent une menace permanente pour la sécurité du Burundi et du Rwanda. Le nouveau médiateur devra, pour trouver une issue définitive à la crise burundaise, concevoir nécessairement un plan global aux ramifications à l’échelle régionale, voire extra-continentale puisque la RDC reste également l’objet de convoitise des grandes puissances qui n’ont pas renoncé de s’accaparer de ses richesses naturelles considérables.

La question qui se pose aux observateurs est la capacité d’analyse et de perception par la classe politique burundaise dont la recherche de l’intérêt général et le sens de l’Etat sont notoirement absents dans leurs préoccupations quotidiennes. Connue pour s’empêtrer dans des luttes dérisoires et stériles sur fond des tiraillements ethniques, saura-t-elle comprendre qu’elle joue à quitte ou double dans les négociations d’Arusha ?

En cas d’échec, ce sera non seulement la déception d’un homme hors du commun au crépuscule de sa vie, mais aussi de la majorité silencieuse des burundais qui aspirent à la paix après 6 ans de guerre civile meurtrière. Le risque de marginalisation sera alors définitif enterrant du même coup tout espoir de reprise des flux de la coopération financière internationale. Le pays ne pourra que s’enfoncer davantage dans un conflit de plus en plus barbare et une paupérisation insoutenable, dans l’indifférence générale de la Communauté Internationale. A l’inverse, si elle saisit la perche et consent à accepter la paix dans la recherche d’une nouvelle légitimité basée sur un nouveau contrat politique, alors tous les espoirs sont permis.

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