Les années d’apprentissage et d’initiation à la politique s’achèvent avec la Campagne Nationale de Défiance de 1952. ((Le présent article s’inspire de la partie IV de l’ouvrage de Nelson Mandela : Mandela, N., Long Walk To Freedom, London, Abacus, 2000, pp 162 – 228.)) Sur le plan professionnel, Mandela va ouvrir le premier cabinet d’avocats Noirs avec Oliver Tambo. Au sein de l’ANC, il grimpe d’échelons et s’affirme comme leader national de plus en plus incontournable. Les années 50 vont être caractérisées par une activité politique intense qui va développer en lui une personnalité moins fougueuse, plus nuancée mais toujours déterminée à en découdre avec l’Apartheid c’est-à-dire combattre sans merci le racisme, l’injustice, la brutalité et le mensonge érigés en système de gouvernement.
Dès sa création, le cabinet « Mandela & Tambo » devient un succès phénoménal au sein de la communauté noire de Johannesburg ; tous les matins Mandela dit devoir se frayer péniblement un chemin dans le corridor qui mène à son bureau tellement il y a des sollicitations. Le cabinet « Mandela & Tambo » représente en fait bien plus qu’un lieu de recours judiciaire classique :
« I realized quickly what Mandela and Tambo meant to ordinary Africans. It was a place where they could come and find a sympathetic ear and competent ally, a place where they would not be either turned away or cheated, a place where they might actually feel proud to be represented by men of their own skin colour.” P 173
Traduction libre : “J’ai compris rapidement ce que le cabinet “Mandela & Tambo” signifiait pour les petites gens de la communauté noire. Il s’agissait d’un lieu où elles trouvaient une oreille attentive et un allié compétent ; il s’agissait d’un lieu où elles ne seraient ni chassées ni dépouillées ; c’était un lieu où elles étaient fières d’être représentées par des personnes de la couleur de leur peau. »
Cette question raciale est tellement viciée que Nelson Mandela lui-même reconnaît être tombé dans ses travers malgré lui. Un jour à la ville du Cape, à la vue d’une femme blanche mendiante, il ressent plus de révolte en lui que pour une personne de couleur ; comme si l’état de mendicité seyait mieux à une certaine race : « While I normally did not give to African beggars, I felt the urge to give this woman money. In that moment I realized the tricks that apartheid plays on one, for the everyday travails that afflict Africans are accepted as a matter of course, while my heart immediately went out to this bedraggled white woman. In South Africa, to be poor and black was normal, to be poor and white was a tragedy.” P 219
Traduction libre: “Alors que je ne donnais habituellement rien aux mendiants Noirs, je ressenti le besoin pressent d’offrir de l’argent à cette femme. Soudain, je réalisai les travers que l’apartheid opère en chacun de nous ; toutes les adversités quotidiennes qu’endurent les Noirs font partie du cours normal des choses, tandis que mon cœur sursaute immédiatement à la vue d’une femme blanche déguenillée. En Afrique du Sud être pauvre et Noir était normal, être pauvre et Blanc était une tragédie. »
Sur le plan familial, Nelson Mandela fait tout pour être le plus souvent avec ses trois enfants et sa femme Evelyn. Il consacre son temps libre à son fils aîné qu’il initie à l’art de la boxe. De retour à Qunu après treize ans d’absence, ses retrouvailles avec sa mère et sa mère d’adoption sont très émouvantes. Mais si il est une question qui a hanté Mandela toute sa vie, c’est bien de savoir quelle part de sa vie fallait-il consacrer à sa famille et quelle autre devait-elle être dévolue à la cause de la révolution :
« I wondered – not for the first time – whether one was ever justified in neglecting the welfare of one’s own family in order to fight for the welfare of others. Can there be anything more important than looking after one’s ageing mother? Is politics merely a pretext for shirking one’s responsibilities, an excuse for not being able to provide in the way one wanted?
(…) I do not mean to suggest that the freedom struggle is of a higher moral order than taking care of one’s family. It is not; they are merely different.” P 212
Traduction libre: “Je me demandais – et ce n’était pas la première fois – si il était défendable de négliger le bien-être de sa propre famille au profit d’une lutte pour le bien-être des autres. Existe-t-il une chose plus importante que de s’occuper de sa mère vieillissante ? La politique peut-elle être un prétexte pour se dérober à ses responsabilités ? Peut-elle être une excuse pour être incapable de remplir les devoirs qu’on voudrait assumer ?
(…) Je n’ai jamais prétendu que la lutte pour la liberté était moralement plus élevée que prendre soin de sa famille. Ce n’est pas vrai ; c’est simplement différent.»
En politique, le régime se durcit de plus en plus. Des lois scélérates pleuvent chaque jour et les populations non-européennes de souche sont privées de toutes les libertés fondamentales : le droit à l’éducation, au déplacement, au travail, au mariage, etc… Les leaders de l’opposition sont harcelés aussi bien dans leur vie publique que privée. Nelson Mandela va souffrir de bannissement trois fois successivement. Plus vite et plus intensément que les autres, Mandela prend conscience de la nécessité d’abandonner une lutte non-violente et suggère de créer de nouvelles structures clandestines de l’ANC pouvant permettre au mouvement de survivre à une éventuelle dissolution du mouvement. La stratégie mise en place par Mandela sera connue comme « Mandela-Plan » ou le « M-Plan ». ((Cfr p 167))
Mandela n’a jamais été en va-t-en-guerre, mais face à l’obstination du système de l’Apartheid à vouloir considérer certaines populations du pays comme des êtres humains inférieurs il va radicaliser sa pensée politique : « A freedom fighter learns the hard way that it is the oppressor who defines the nature of the struggle, and the oppressed is often left no recourse but to use methods that mirror those of the oppressor. At certain point, one can only fight fire with fire.” P 194
Traduction libre : “Un combattant pour la liberté apprend à ses dépens que c’est l’oppresseur qui définit la nature du combat. Et l’opprimé n’a d’autre recours que d’utiliser les mêmes méthodes. D’une certaine façon, on ne combat le feu que par le feu. »
Profitant d’une mission à l’étranger de son ami et confident Walter Sisulu, Mandela l’encourage à poursuivre clandestinement son voyage en Chine Populaire pour y chercher des appuis et surtout des armes en vue d’une guérilla prochaine. En même temps, il sillonne le pays et prend le pouls de son peuple. Il comprend que la liberté est une aspiration de tous les habitants de l’Afrique du Sud et non pas seulement celle des Noirs. Il appuiera sans réserve la préparation et la rédaction de la Charte de la Liberté imaginée par le professeur Z.K. Matthews à son retour des Etats-Unis. ((Elle sera adoptée au Congrès de Tongaart en Mars 1954.))
Correction:
case study = etude de cas
C’est rare qu’un professeur d’une universite occidentale, consultant aupres des grandes companies multinationales (American Express, Lockheed Martin, Nortel, Zurich Financial Services,…) cite (comme bons exemples?) les methodes d’organisation d’un mouvement de liberation/freedom movement.
Robert M. Grant, »Eni Professor of strategic Management at Bocconi University in Milan (Italy) » a cree un cas d’ecole/case study a partir du « Mandela Plan ou M-Plan » de 1952 (= plan de restructuration de l’African National Congress en cellules, zones, branche locale,…jusqu’au National Executive Committee, pour que, dans la clandestinite, le parti puisse prendre des decisions au plus haut niveau et les transmettre a toute l’organisation sans devoir faire des reunions des membres).
(voir -Strategy capsule 7.1. Hierarchical structures: The 1952 Mandela Plan for the ANC (in:Robert M. Grant (2010): Contemporary strategy analysis: text and cases. 7th edition, http://www.inkling.com;
-Nelson Mandela (1994): Long walk to freedom).
Merci.