Malgré l’engagement du Burundi à assurer une éducation inclusive, les défis restent énormes pour les malvoyants et les sourds-muets. Leur scolarisation et l’accès à l’emploi posent toujours problème.
« J’ai appris l’écriture braille à l’école des malvoyants « Kanura » de Gihanga, en province Bubanza. Je lis très facilement la Bible », témoigne Didace Ndereyimana, malvoyant, pasteur de l’Eglise Emmanuel. Ce père de 4 enfants est aussi cultivateur et parvient à les nourrir. Il se réjouit d’avoir cette capacité. Il invite les parents dont les enfants ont ce handicap à les faire scolariser. « Ils ont des talents et peuvent subvenir à leurs besoins.».
Du coté des activistes des droits des personnes vivant avec un handicap, l’on indique que les malvoyants et les sourds-muets font face à de nombreux défis. «Les malvoyants et les sourds-muets ont diverses difficultés quant à leur scolarisation. Certains parents se découragent et préfèrent les garder à la maison. Ils pensent que scolariser ces enfants serait peine perdue », déplore Anne Marie Nduwimana, vice-présidente de la Fédération nationale des personnes handicapées (Fnph). Selon cette activiste des droits des personnes vivant avec un handicap, la scolarisation de ces personnes exige des écoles spécifiques et un matériel didactique adapté à leur situation d’handicap. Et d’ajouter que le manque de personnel qualifié et la stigmatisation conduisent à la non scolarisation de la personne handicapée en général, et des malvoyants et des sourds-muets en particulier.
Même constat du côté de Maurice Murishi, directeur de l’école des sourds-muets de Kigobe dénommée EPHPHATHA. Une école qui compte 132 élèves et qui suit les programmes du ministère de l’Education. Il reconnaît que ces personnes vivant avec un handicap ont des potentialités qu’il faut exploiter. Et de préciser : « Beaucoup d’enfants ont poursuivi leurs cursus scolaire à l’étranger, notamment aux USA. Nous avons un médecin qui travaille dans l’une des hôpitaux d’Oklahoma, un enseignant aux USA, un autre évolue en Angleterre.» Néanmoins, fait-il savoir, il n’est pas facile d’enseigner à ces enfants. Sans oublier le manque d’interprètes du langage des signes. « Un enseignant doit interpréter une leçon qu’il maîtrise. S’il est mathématicien, il doit avoir appris le langage des signes ». Et de faire remarquer que si l’enseignant n’a pas été formé sur le langage des signes, il lui sera difficile de transmettre la leçon à l’apprenant.
Eline Hatungimana, enseignante à l’EPHPHATHA, se réjouit du pas déjà franchi quant à l’intégration des malvoyants et des sourds-muets dans le cursus scolaire. Mais elle déplore le manque d’enseignant qualifié. Elle suggère la vulgarisation de l’enseignement du langage des signes dans toutes les écoles. « Le gouvernement devrait organiser des formations à l’endroit des enseignants sur ce langage des signes, comme il organise des formations sur d’autres cours », avant de marteler : « Ceci pour que les enseignants puissent aider ces enfants une fois orientés dans leurs établissements.»
A propos des malvoyants et sourds-muets ayant passé l’examen d’Etat cette année, Anne Marie Nduwimana se veut optimiste : «Nous pensons que les gestionnaires du ministère de l’Education vont tout faire pour accueillir ces lauréats afin qu’ils puissent étudier au même titre que les autres.» Ce serait une honte, poursuit-elle, si ces lauréats restaient à la maison.
L’accès à l’emploi reste problématique
La Fnph, Mme Nduwimana fustige l’inaccessibilité à l’emploi des malvoyants et des sourds-muets. Certes, reconnaît-elle, il est difficile d’avoir de l’emploi, mais la catégorie des personnes vulnérables devrait être privilégiée. Elle observe que des stéréotypes et attitudes négatives dans les milieux de travail ne manquent pas. Ils sont discriminés. « Les autres catégories de personnes peuvent s’arranger pour exercer de petits métiers, mais ce n’est pas le cas pour les malvoyants et les sourds-muets ».
Par ailleurs, ajoute Mme Nduwimana, les malvoyants ou les sourds- muets exerçant différents métiers se heurtent au défi de la communication : « Compte tenu de leur état, ils ont besoin d’interprètes pour qu’ils puissent communiquer avec leurs clients.» L’inaccessibilité physique des lieux de travail est un autre problème. « Presque toutes les infrastructures publiques et privées ne facilitent pas l’accès aux personnes vivant avec un handicap au Burundi ». En outre, l’exigence du certificat d’aptitude physique dans plusieurs appels d’offres constitue un autre défi important.
Maurice Murishi, quant à lui, déplore la discrimination des malvoyants et des sourds-muets. Les employeurs sont réticents et n’entendent pas les embaucher.
« S’il est muet et qu’il est réceptionniste, comment va-t-il communiquer avec les visiteurs. Il aura toujours besoin d’un interprète. Chose qui n’est pas facile », fait observer un employeur. Ce dernier estime qu’il ne peut pas collaborer avec un sourd-muet, estimant qu’il ne peut pas être performant.
M. Murishi demande au gouvernement de revoir la loi : « Il faut que les personnes handicapées aient un représentant au Parlement et dans d’autres institutions. Il pourra plaider pour eux.» Et de marteler : «Si l’Etat ne les embauche pas, quid du secteur privé » ?