C’est une analyse de Jean Marie Ngendahayo, ancien ministre des Relations extérieures du Burundi, qui revient sur la situation actuelle du Mali. Le texte a été publié avant la partition annoncée du pays.
Le coup d’état malien ravive, plus que jamais, les vieux démons des putschs militaires depuis l’Afrique post indépendante jusqu’à celle de la fin du 20ème siècle. Même si il y a eu des renversements de pouvoir après 2000, on peut dire que sur le continent l’irruption de juntes militaires dirigeant le pays durant des décennies n’était plus de mise. Chaque fois que les bottes ont martelés les artères des capitales, les condamnations ont fusé de partout et des mesures de rétorsion ont été prises pour rappeler à la Grande Muette les vertus républicaines. Et quand bien même certains l’ont fait, il a fallu qu’ils se camouflent cette fois-ci en tenues…civiles et même parfois avec des processus électoraux à la clé ! Que dire alors du coup de force auquel nous venons d’assister à Bamako et dont l’épilogue semble encore bien loin de poindre à l’horizon ?
Les répercussions de la destruction des institutions libyennes
La gestion calamiteuse de la crise libyenne par l’OTAN a généré et génèrera encore pour longtemps des répercussions dont les ondes de choc seront dévastatrices aussi bien sur le continent Africain qu’en Occident aussi, du reste. Si en Occident la chute du régime de Kadhafi cristallise les haines et les violences entre un islam humilié et un judéo-christianisme arrogant, en Afrique – surtout l’Afrique sahélienne des côtes atlantiques aux rivages de l’océan Indien – quand il ne s’agit pas d’une guerre de religions à peine voilée – sans jeu de mots ! – comme au Soudan aujourd’hui en voie de morcellement, il s’agit d’un radicalisme politique qui pointe à l’horizon risquant de donner naissance à des systèmes politiques basés sur la sharia dans les pays peuplés presqu’entièrement que de Musulmans. Sur le plan logistique et matériel, cet état de chose est nourri par la prolifération d’armes et d’argent à profusion. Le Mali est infesté d’armes et d’idéologies intolérantes qui divisent le pays et fragilisent la classe politique toute entière.
Une gouvernance erratique
Parce que Amadou Amani TOURE a renversé par un coup d’état militaire un tyran, le Général Moussa TRAORE, et qu’il a aussitôt rendu le pouvoir aux civils il est devenu un héros de la démocratie. Adulé et magnifié partout, sa gloire n’a pas tardé à le mener de nouveau en 2002 à la tête du Mali cette fois-ci par le truchement d’élections politiques et … en boubou. En réalité, en dehors de l’intermède d’Alpha KONARE (1992-2002) durant lequel le pays a connu une vie démocratique réelle et des efforts certains de développement socioculturels, la gestion du pays par ATT fut une succession de mesures prises sans planification, ce fut une poursuite approximative de la gestion de l’irrédentisme du Nord du pays; surtout, cela fut le temps de l’installation de systèmes mafieux et kleptocrates. Par delà la une phraséologie lénifiante, le pays sombrait dans l’inertie et la paupérisation des uns et l’enrichissement illicite et scandaleux des autres. Le pays n’était plus à proprement parlé gouverné. L’image du héros ATT s’est transformée en un véritable mirage… Aujourd’hui, une junte militaire vient de renverser un président dont le mandat expirait définitivement dans quelques semaines. L’Union Africaine et la CEDEAO lui ont aussitôt infligé un embargo et des mesures draconiennes afin qu’elle remette en place sans délais et sans conditions « l’ordre institutionnel ». Parallèlement, la rébellion du Nord en a profité pour s’emparer de plus de la moitié du pays.
Une gestion de crise des plus complexes
Le règlement de l’actuelle crise malienne est des plus complexes et des plus délicats car: – si l’armée s’est permis de sortir des casernes et de prendre le pouvoir, c’est qu’elle avait l’assentiment d’une partie significative de la classe politique même si elle n’apparaît pas dans son ensemble à travers les media ; – si une partie importante de la classe politique s’est résolue à faire appel aux militaires, c’est que le dialogue politique était coupé ou tout au moins jugé hypocrite et inutile désormais; – si l’Afrique « officielle » condamne brutalement ce putsch c’est qu’elle juge que cette époque est révolue. Ou du moins devrait-elle l’être… Mais c’est aussi et surtout les autres chefs d’état qui craignent une contamination du mouvement au sein de leurs armées respectives. A ce titre, la réponse au coup d’état risque d’être des plus violentes et des plus meurtrières pour servir de leçon à tout officier qui rêve de limousines et de palais marbrés… – si l’embargo est effectif et que la junte reste affaiblie comme elle est, la rébellion sera ragaillardie et ses appétits grossis au point de songer à occuper tout le pays ou la majorité de celui-ci. Ne serait-il pas sage et urgent de prendre certaines mesures de sauvegarde de la nation comme les suivantes ? – envoyer des casques bleus (Nations Unies) ou verts (Union Africaine) dans les meilleurs délais pour, non pas pour s’attaquer à la junte au pouvoir à Bamako, mais s’interposer entre celle-ci et la rébellion du Nord tout en sécurisant la population civile dans les deux territoires; – former une coalition gouvernementale comprenant toutes les tendances politiques en présence afin qu’elle assure la relève politique et une transition qui a pour mission de ramener l’unité nationale, la sécurité et un socle politique minimum commun sur lequel reposer une nouvelle constitution ; – éviter tout interventionnisme bilatéral qui risquerait de colmater des déchirures pour un temps sans toutefois résoudre des désaccords profonds pouvant exploser à la moindre occasion dans le futur. Enfin, ce cas malien devrait aussi être une occasion pour rappeler certaines valeurs et/ou certaines réalités : – il n’y a pas de « coup d’état vertueux ». Tout putsch est à condamner sans merci. Les corps de défense et de sécurité doivent rester éloignés le plus possible des soubresauts politiques. Dès qu’il est fait appel à l’armée en politique, c’est la boîte de Pandore qui est ouverte ; on ne garantira jamais son retour aux casernes ; – militaire un jour, militaire toujours. Il faudra qu’en Afrique il soit admis que les anciens militaires ou policiers – à fortiori ceux en cours d’emploi – n’exercent jamais plus de mandat politique. Leurs accointances avec leur milieu d’origine restent une menace potentielle pour la république et la démocratie; – s’il arrive que des actes désespérés ou aventureux soient perpétrés, c’est surtout parce que peu de plus en plus les processus électoraux sont entachés d’actes délictueux et par conséquent dépourvus de crédibilité voire de légitimité. Ne faudrait-il pas donner la responsabilité, la gestion, le suivi et l’évaluation officielle à des bureaux privés totalement indépendants comme cela s’organise sous forme d’audits dans le domaine privé ? La souveraineté nationale si souvent invoquée n’est-elle pas plus en jeu lors de la prononciation des résultats et que des femmes et des hommes sont chargés de diriger les autres parce que choisis sans une ombre de contestation ? La crise malienne surgit au moment où l’étude de la gestion des conflits a été portée jusqu’aux chaires d’universités les plus prestigieuses du monde. De plus, bien de cas d’étude en Afrique permettent de faire l’économie de certaines erreurs grossières. Si les intérêts du peuple malien et les valeurs profondes de dignité de toute personne humaines sont les références de travail de ceux qui sont ou seront au chevet de ce pays meurtri, nous sommes en droit d’avoir espoir et confiance gardés. {Jean-Marie Ngendahayo Bujumbura, le 3 Avril 2012 }