Malgré la fermeture des frontières pour cause du Covid-19, des jeunes hommes des provinces Gitega, Karusi, Mwaro… continuent de braver l’interdit pour aller chercher du travail en Tanzanie. Certains reviennent mal en point, malades ou victimes des coups portés par les Tanzaniens. Epuisés, il y en a qui meurent en arrivant sur le sol burundais. Enquête.
En haillons, pieds nus et enflés, amaigri avec un petit sac rempli de quelques effets personnels, Ntimpirangeza, la trentaine, fait peine à voir, ce mardi 24 novembre 2020, il est recroquevillé sur un banc devant les bureaux de la commune Kayogoro. Il a pris un coup de vieux. Ce jeune homme, originaire de la commune Nyabihanga de la province Mwaro, revenait d’un Centre de santé de la zone Bigina de la commune Kayogoro où il était hospitalisé. Mal en point, il était rentré de la Tanzanie il y a cinq jours. « Lorsqu’il est arrivé sur la rivière Maragarazi, nous avons remarqué qu’il était très malade. Il se plaignait des douleurs abdominales. Nous l’avons conduit au centre de santé. Il n’avait que 4800 BIF sur lui », raconte un habitant de la zone Bigina.
« J’étais en Tanzanie depuis plus de 5 ans. Je suis entré à partir de la commune Nyanza-Lac. Mon travail consistait à labourer les champs de maniocs des Tanzaniens », raconte Ntimpirangeza avec une petite voix. Il a du mal à parler, des spasmes le secouent de temps en temps. Il y a quelques mois, le jeune homme est tombé malade : « Je pense que c’était un mal d’estomac. J’ai dépensé tout mon argent à me faire soigner. Aucun résultat. Je ne pouvais plus faire mon travail. » Fatigués de ce « poids mort « , ses employeurs l’ont chassé sans ménagement et sans le payer. « C’est ce qu’ils font tout le temps. Lorsque quelqu’un tombe malade, il est chassé sans être payé. D’autres Burundais ont collecté un peu d’argent pour que je puisse rentrer. »
Des morts à Bigina
Pour arriver sur la rivière Malagarazi, c’était un long périple pour Ntimpirangeza. « J’ai voyagé à pied pendant plusieurs jours. J’avais préparé une pâte de maïs. » Selon lui, il se reposait dans différents villages. Sans aucun document de voyage, il devait se cacher. » Si les policiers tanzaniens t’attrapent, tu es battu à mort. Heureusement, j’ai pu arriver chez moi sans les croiser».
Le jeune homme était content d’avoir regagné son pays : « Je ne pense pas que j’y retournerai un jour. » Avec une feuille de route délivrée par l’administrateur, Ntimpirangeza a pu regagner sa colline natale grâce à l’intervention des natifs de Nyabihanga et la commune a promis de payer les frais d’hospitalisation.
Certains n’ont pas eu de chance. Les habitants de la zone Bigina évoquent deux travailleurs saisonniers en provenance de la Tanzanie qui sont morts ces derniers jours. Ce que confirme l’administrateur de la commune Kayogoro, Antoine Ndayiragije : « Il y a une personne originaire de Mutaho en province Gitega. Elle a été chassée alors que sa santé s’était déjà détériorée. Arrivée à Kayogoro, elle n’a pas survécu. Elle est morte avant d’arriver au Centre de santé. »
Des administratifs de la commune Mutaho et sa famille se sont rendus à Kayogoro. « Comme c’est difficile de transporter une dépouille mortelle sur une longue distance, cette personne a été inhumée à Kayogoro. Nous leur avons apporté un coup de main pour les funérailles ». Il y a aussi un autre cas, celui d’un travailleur saisonnier originaire de la commune Shombo en province Karusi. « Il y a eu des échauffourées entre des éleveurs tanzaniens et travailleurs burundais. Ces derniers ont été gravement blessés. Deux Burundais sont venus se faire soigner au Centre de Santé de Mayange. Nous avons informé leurs familles à Shombo. Malheureusement, un n’a pas survécu. Il a succombé à ses blessures ».
Des conditions de vie difficiles au pays de Mwalimu Nyerere
Les Burundais qui partent en Tanzanie travaillent pour des propriétaires terriens qui cultivent le manioc, le tabac ou ils sont des gardiens de vaches. « Lorsque tu laboures un terrain de 80m sur 80m, ils te donnent entre 30.000 et 40.000 shillings tanzaniens (environs 15 dollars », témoigne Ntimpirangeza. Toutefois, ceux qui reviennent de la Tanzanie affirment que la nourriture laisse à désirer. « Ils nous donnent de la pâte de maïs et du haricot. Même si tu y’passes 20 ans, ce sont les mêmes aliments qu’on te donne », assure un autre travailleur saisonnier. Ils vivent dans des huttes au milieu des forêts. « Nous vivons au milieu des animaux ».
N’ayant aucun document officiel, ils sont des proies faciles pour les « Wanamugambo », gardiens de la paix, ou les policiers. « Les passeurs récupèrent nos cartes d’identité dès l’entrée. Ils nous disent qu’il ne faut pas montrer que nous sommes Burundais. » Selon ces travailleurs saisonniers, les employeurs les maltraitent en toute impunité. « Si tu tombes sur un mauvais employeur, tu peux dire adieu à ton salaire. Certains vous frappent constamment, car ils savent que nous ne pouvons pas porter plainte. Des compatriotes meurent à cause des mauvais traitements ou des maladies. » Lorsqu’un travailleur tombe malade, poursuit-il, les employeurs le jettent comme des vieilles chaussettes.
Frontière poreuse, les autorités peinent à les stopper
« La commune Kayogoro est frontalière de la Tanzanie. Sur les 29 collines qui composent notre commune, plus de dix sont frontalières avec la Tanzanie. La partie de Maragarazi est très longue sur notre commune. Il y a des passages connus (ivyambu), et plusieurs autres petits passages clandestins et difficiles à contrôler », indique l’administrateur de la commune Kayogoro
Officiellement, la frontière est fermée. Les gens ne sont pas autorisés à traverser. « On échange des produits commerciaux seulement. Mais, il y a des gens qui viennent d’autres provinces comme Gitega, Karusi, Mwaro, Kayanza, Ngozi et Bururi et qui traversent la frontière clandestinement ». Et parfois, poursuit-il, on les voit de retour. « On les laisse entrer dans notre commune. Il y a une équipe médicale qui doit d’abord les tester pour la Covid-19. Après examen, ils passent quelques jours ici en isolement. Et après les résultats, on les laisse rentrer dans leurs communes d’origine ».
Toutefois, l’administrateur communal évoque de sérieux problèmes avec ces travailleurs saisonniers : « Certains rentrent malades, battus ou maltraités par les Tanzaniens. On les dépouille de leur argent et leurs biens. Du coup, il leur est difficile de se déplacer sans argent. Devant de telles situations, on collabore avec les administrateurs de leurs communes d’origine et leurs familles pour les rapatrier vers leurs régions natales. » Pour lui, il faut sensibiliser ces travailleurs saisonniers pour qu’ils sachent les dangers d’emprunter des passages clandestins. « Il y a un passage à Mugina en commune Mabanda qui est officiel. Là, ils n’ont qu’à présenter un laissez-passer et ils peuvent partir sans problèmes. La Tanzanie a ses propres mœurs. Honnêtement, ils n’aiment pas ces Burundais, même s’ils les emploient comme ouvriers dans leurs champs ». Et d’enchaîner : « Il faut les inciter à informer l’administration afin que cette dernière puisse intervenir rapidement en cas de problèmes. » Nous constatons qu’il est très difficile de leur faire comprendre cela, il reste beaucoup à faire à ce niveau. »
La même situation s’observe sur la frontière entre la commune Bukemba de la province Rutana et la Tanzanie. « On intercepte souvent des travailleurs saisonniers en provenance des autres provinces. Pendant la saison sèche jusqu’au mois de septembre, ce mouvement des gens s’était intensifié », indique Françoise Twagirayezu, administrateur de la commune Bukemba. On remarquait, assure-t-elle, beaucoup de bus Hiace qui déposaient des gens pendant la nuit. Ils attendaient à Gihofi pour que le jour se lève. « Il y avait même des mineurs. On les interceptait pour les renvoyer chez eux. Souvent, les gouverneurs de Gitega et de Karusi venaient récupérer les habitants de leur province ».
D’après l’administrateur communal, cela constituait une source d’insécurité. « Plusieurs dizaines de personnes regroupées dans un même endroit pendant la nuit, c’est inquiétant ». L’administrateur de Bukemba souligne que c’est difficile de les empêcher de partir. « Il y a environ 8 passages clandestins sur la frontière entre Bukemba et la Tanzanie ».
Pour rappel, un groupe de 16 personnes dont des jeunes Imbonerakure du parti au pouvoir ainsi que des administratifs, à compter le chef de zone Bigina, et 4 policiers dont le commissaire communal de la police se sont regroupés en bande organisée pour assassiner et extorquer des Burundais qui rentraient de la Tanzanie. Comme prétexte : la pandémie de Covid-19. Accusés d’assassinat et d’extorsion, ils sont aujourd’hui incarcérés dans la prison de Murembwe en province Rumonge. « Avec la condamnation de ces personnes, certains jeunes de Bigina ont appris une leçon », confie un habitant de cette localité.
Fabrice Manirakiza & Rénovat Ndabashinze