Deux cents FBu est le montant exigé à l’entrée de presque tous les sanitaires dans les marchés et galeries installés en marie de Bujumbura afin de pouvoir y accéder. Faute de moyens, certains occupants des stands dans ces centres commerciaux optent pour retenir leurs envies. Ce qui engendre parfois des infections urinaires et la dégradation de la santé, surtout chez les femmes enceintes et les diabétiques. Un groupe de reporters du groupe de presse Iwacu, de Jimbere Magazine et du journal Burundi Eco a effectué un tour dans les marchés et galeries situés à Bujumbura, la capitale économique.
Il est 10 h le vendredi 16 février 2024 au marché de Kinama, au nord de la capitale économique Bujumbura. Dans toutes les allées, les vendeurs se pressent pour étaler leurs articles. A l’intérieur du marché, G.N, locataire des latrines construites dans ce marché commence à encaisser de l’argent. A l’entrée de ces sanitaires, l’on peut lire une tarification de 200 FBu.
« Je peux encaisser autour de 200 mille FBu chaque jour », confie-t-il, soit 6 millions de FBu de recettes par mois. Et d’expliquer : « Avec cet argent, je paie la Regideso, la logistique, le travailleur et l’impôt forfaitaire de 200 mille FBu par mois ».
Même si G.N. semble justifier l’utilisation de ces frais de fréquentation des sanitaires, N.C, commerçante dans ce marché de Kinama, n’est pas convaincue. Elle estime que c’est d’un énorme profit. « Je loue ce stand qui ne mesure même pas 1 m² à 35 mille FBu chaque mois et on me dit de payer 200 FBu chaque fois que je visite les toilettes », rétorque-t-elle.
Enceinte de 7 mois, elle dit qu’elle dépense autour de 1 200 FBu par jour. Et de déplorer qu’elle a déjà souffert à deux reprises d’une infection urinaire. La cause : « Il y a des fois où je viens ici avec peu d’argent. Je décide alors, soit de ne pas boire de l’eau soit de me retenir jusqu’à ce que je rentre chez moi », précise-t-elle.
S.B, elle, dit avoir trouvé une solution. « Lorsque j’étais enceinte, je me suis faite abonnée car je n’étais plus à mesure de payer chaque fois ces 200 FBu exigés » surtout que « je pouvais aller à la toilette presque cinq fois par jour », confie-t-elle.
Elle a alors décidé de faire un abonnement de 7 000 FBu par mois après avoir découvert qu’elle pouvait ainsi payer seulement 30 mille FBu par mois pour les toilettes.
Toutefois S.B reste toujours mécontente et se dit impuissante face à cette situation. « Que faire ? On doit s’adapter, c’est la seule chose qu’on a à faire », se résigne-t-elle. Mais le plus révoltant, selon toujours elle est qu’on loue les stands à 150 mille FBu et qu’on paie la sentinelle mensuellement.
Payer alors les frais pour fréquenter les sanitaires chaque jour devient incompréhensible. Et de proposer : « Qu’on inclut ces frais dans le loyer des stands, car même en louant une maison, on ne demande pas de payer à part les frais des latrines ».
De l’urine versée dans les allées
Bujumbura City Market un marché communément appelé « Chez Sion » compte jusqu’ici entre 2 800 et 3 000 stands. Il dispose de trois blocs de latrines simples. Les frais d’utilisation de chaque latrine s’élèvent à 200 FBu par fréquentation. Il compte aussi une salle de latrines VIP et l’utilisation de chaque latrine revient à 500 FBu.
Là aussi, les occupants sont mécontents. « Nous sommes dépassés. On nous fait payer ces 200 FBu en plus du loyer des stands qui tourne aujourd’hui autour de 300 mille FBu », a fait remarquer B.M avant d’ajouter qu’elle loue un stand à 365 mille FBu par mois.
Faute de moyens ou de ne pas vouloir payer chaque fois les frais des sanitaires, certains font maintenant leurs petits besoins dans leurs stands, déplore B.M. « Ils ferment leurs stands pour faire leurs besoins dans de petits seaux. A la fermeture du marché, ils versent alors les urines dans les allées formant le marché », fait savoir sa voisine.
Et de se lamenter : « Cela fait des jours qu’on sent de mauvaises odeurs dans certaines allées. La responsabilité incombe à ces gens qui ne veulent pas payer de l’argent pour pouvoir se soulager ».
Ces deux vendeuses n’ont qu’une seule demande :« Que les frais des latrines soient inclus dans les frais de location des stands ! »
Tel est aussi le souhait exprimé par les occupants de la galerie Village Market situé au centre-ville de Bujumbura. La galerie compte autour de cinquante stands. Dans ce centre commercial, les commerçants et les commerçantes partagent les sanitaires.
« C’est déplorable. Ici, beaucoup de gens souffrent d’infections urinaires », lâche F.M, rencontré dans l’un des stands de cette galerie. Et de s’interroger. « Que font-ils avec cet argent collecté s’ils ne peuvent pas au moins construire d’autres latrines pour séparer celles des hommes et celles des femmes ? »
Une autre source rencontrée sur les lieux avoue se priver de l’eau au moins trois fois par semaine pour réduire les dépenses liées à la fréquentation des latrines. « On me paie 120 mille FBu par mois. C’est de cette somme que je dois tirer les frais pour payer le loyer, le déplacement, la ration et la fréquentation des toilettes en plus », se plaint-elle à mi-voix.
Respect des normes d’hygiène
D’après Jean-Marie Ndavyengenge, directeur de la Promotion de la santé au ministère de la Santé publique et de la Lutte contre le sida, c’est un grand défi de voir des marchés ou des galeries ne disposant pas de latrines pour les occupants des stands et pour les clients.
Une lacune, selon lui, généralisée même dans certaines institutions publiques et privées. « Dans les exigences des lieux publics, tout centre commercial devrait avoir des latrines pour les visiteurs et pour ses occupants », a-t-il souligné.
Ce cadre au ministère en charge de la santé publique interpelle les propriétaires de ces marchés et galeries à respecter les normes d’hygiène et d’assainissement. « Faire louer des stands aux gens et les traiter dans de telles conditions signifie ne pas les valoriser », martèle-t-il.
Toutefois, Dr Ndavyengenge soutient le fait de faire payer les gens à chaque utilisation des latrines publiques. Des frais qui, pour lui, interviennent dans l’entretien de ces latrines. Cependant, il déplore l’état d’insalubrité de ces latrines. « Les latrines sont un épicentre des maladies liées au manque d’hygiène. S’ils ont décidé de collecter ces frais, qu’ils respectent les normes d’hygiène et d’assainissement », insiste-t-il.
Il n’y a aucune fin commerciale
Sans trop vouloir préciser le montant global des frais des latrines collectés mensuellement, le commissaire responsable du marché dit « Chez Sion » a justifié que l’argent collecté au niveau des latrines n’est destiné qu’à l’entretien de celles-ci. « Nous faisons des vidanges des latrines chaque mois. Il y a des travailleurs qu’on paie à la fin du mois. Il existe aussi d’autres dépenses », indique-t-il.
Le commissaire responsable du marché dit « Chez Sion » est très catégorique sur la demande des vendeurs d’inclure les frais des latrines dans les frais de location des stands. « C’est impossible. La gestion serait difficile », a-t-il révélé.
Il ajoute que pour faciliter les locataires sollicitant des latrines plus que les autres, en particulier les femmes enceintes et les personnes souffrant du diabète, un système d’abonnement mensuel de 10 mille FBu a été instauré. « Nous avons un effectif des commerçants qui s’élève à environ 5 000 personnes. Si nous installons des latrines gratuites, nous serons en train de nous attirer même des passants qui se feront passer pour des commerçants », a-t-il fait remarquer.