Le Syndicat des Magistrats du Burundi (SYMABU) crie à l’atteinte de l’indépendance de la magistrature. En cause, une ordonnance qui assigne à une commission ad hoc l’identification des magistrats auteurs des libérations de personnes accusées des violences électorales.
Ils seront bientôt connus, les magistrats qui ont prononcé des acquittements des personnes accusées de violences lors des dernières élections. C’est l’une des missions assignées par l’ordonnance ministérielle du 20 juin 2011 à la commission chargée de déterminer l’issue de ces cas. Ce qui inquiète le SYMABU c’est le contenu de l’article 4, alinéa 3, de cette ordonnance. Il demande aux membres de la commission de préciser les présumés auteurs des infractions commises pendant les élections de 2010 qui sont en liberté et de déterminer l’instance où ils ont été libérés. Pour Jean Claude Kabera, président du Symabu, en cherchant à identifier le parquet ou le tribunal ainsi que les magistrats auteurs de ces libérations, c’est une atteinte à la profession du magistrat de dire le droit.
D’un côté, il trouve tout à fait normal que le ministère public inventorie les infractions commises pendant la période électorale ; car c’est un moment crucial dans la vie du pays. Mais il soulève aussi une préoccupation : en cherchant à connaître les auteurs des libérations, ce n’est pas pour les couronner. Il est plutôt à craindre que des sanctions telles que les mutations, les suspensions, etc. s’en suivent. Cela a été le cas dans le passé pour des magistrats ayant prononcé des acquittements qui n’ont pas plu à l’autorité. Et M. Kabera de rappeler que les magistrats sont apolitiques, considèrent l’infraction et non sa provenance.
« C’est un drame »
D’après Léonce Ngendakumana, président du Frodebu, il s’agit d’une preuve que la justice burundaise travaille sur instruction de l’exécutif. « Il cherche à déstabiliser la magistrature. On ne peut pas indiquer au magistrat comment il doit instruire un dossier. On ne l’a vu nulle part au monde sauf au Burundi. Vous vous souvenez de la 2ème vice-présidence ordonnant au ministère public de remettre quelqu’un en prison », lâche M. Ngendakumana. Pour lui, la constitution doit changer pour permettre à l’appareil judiciaire d’être indépendant et gérer la carrière de ses magistrats.
« C’est une sorte d’intrusion »
Pacifique Nininahazwe, délégué général du Forum pour le Renforcement de la Société Civile (Forsc), estime que ces magistrats risquent gros : « Quand on sait que la plupart de ces personnes libérées étaient des militants de l’opposition notamment des FNL et du MSD, avec la résurgence de la torture pendant le processus électoral, cela devient d’autant plus inquiétant.» Selon lui, une ordonnance comme celle-ci, devrait être abolie le plus rapidement possible. D’après cet activiste de la société civile, il existe des mécanismes au niveau de la justice pour la réformation ou la cassation des jugements, l’inspection de la justice : « Pourquoi ne pas faire travailler les mécanismes existants, prévus par la constitution et par la loi ? » Cette commission, déclare-t-il, n’a aucune valeur légale.
« La mise en place de cette commission a été un consensus »
Elie Ntungwanayo, porte-parole de la Cour Suprême, se dit étonné : « Je n’ai entendu aucune objection de la part des participants. » Pourtant, explique-t-il, les magistrats étaient représentés. D’après M. Ntungwanayo, cette décision a été prise lors d’une réunion du 16 juin dernier entre le Président de la République, les responsables des juridictions et des parquets, les gouverneurs de province, les corps de défense et de sécurité, etc.
A l’origine, souligne M. Ntungwanayo, des lamentations de la population sur des libérations massives de personnes attrapées en flagrant délit, par exemple en possession d’armes. Les participants se sont alors mis d’accord sur la nécessité d’une commission d’enquête. Le porte-parole de la Cour Suprême estime que sur le plan de l’indépendance, il faut savoir comment la gérer : « Nous sommes accusés par la population d’incompétence alors que nous devrons lui servir d’exemple. » Et de déclarer qu’il faut repenser à la méthodologie de travail.