Mercredi 26 février 2025

Sécurité

Mabayi : Un couvre-feu discriminatoire contre les femmes

Mabayi : Un couvre-feu discriminatoire contre les femmes
Cette mesure est entrée en vigueur depuis ce 21 février 2025

La commune de Mabayi est au cœur d’une vive controverse après l’entrée en vigueur, le 21 février 2025, d’une mesure restrictive imposée par l’administratrice communale, Jeanne Izomporera. Celle-ci interdit aux femmes et aux filles de travailler dans les bars et leur impose un couvre-feu à 20 heures.

La décision a aussitôt suscité l’indignation des défenseurs des droits humains, dénonçant une atteinte aux droits fondamentaux des femmes en violant la Constitution et la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

La mesure adoptée repose sur la loi n°002/2025 du 18 février 2025 portant sur organisation des bars. Selon l’administratrice Jeanne Izomporera, cette loi vise à assurer « la paix et la sécurité » dans sa commune. Mais les restrictions imposées aux femmes et aux filles sont perçues comme une atteinte grave à leurs droits.

D’après cette note officielle, « les femmes et les filles en commune Mabayi ne peuvent plus travailler dans des bars. Non plus, elles ne peuvent pas être dans un bistrot au-delà de 20 heures sans leurs époux ».

Cette interdiction ne concerne cependant pas les hommes, ce qui a déclenché une vague de critiques de la part des organisations de défense des droits humains et des juristes.

L’activiste Inès Kidasharira, engagée dans la défense des droits des femmes, a fustigé cette décision qu’elle a jugée arbitraire et illégale : « En gros, elle impose le couvre-feu, elle arrête les travaux des filles et femmes pour qu’elles soient dominées financièrement ? Quand nous assimilons trop bien les limitations, nous devenons nos pires ennemis ».

L’article 23, alinéa 1, de la Déclaration universelle des droits de l’Homme stipule clairement que « toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage. » Or, la mesure imposée à Mabayi empêche les femmes de choisir librement leur emploi et contribue à les confiner dans la précarité.

De plus, l’interdiction faite aux femmes de circuler librement après 20 heures, sauf en présence de leurs époux, contrevient aux principes d’égalité inscrits dans la Constitution du Burundi.
L’article 13 de cette dernière garantit que « tous les Burundais sont égaux en mérite et en dignité. Tous les citoyens jouissent des mêmes droits et ont droit à la même protection de la loi. Aucun Burundais ne sera exclu de la vie sociale, économique ou politique de la nation du fait de sa race, de sa langue, de sa religion, de son sexe ou de son origine ethnique ».

L’article 14 renforce ce principe en affirmant que « tous les Burundais ont droit de vivre au Burundi, dans la paix et dans l’harmonie, tout en respectant la dignité humaine et en tolérant leurs différences ».

En empêchant les femmes de travailler dans les bars et en limitant leur liberté de mouvement, l’administratrice de Mabayi semble aller à l’encontre de ces dispositions constitutionnelles.

Des justifications contestées

Jeanne Izomporera a avancé plusieurs raisons pour défendre sa décision, notamment l’afflux massif de femmes et de filles à la recherche d’un emploi dans les bars, le comportement jugé « indécent » de certaines d’entre elles ainsi que la présence de bars employant un nombre excessif de travailleurs par rapport aux boissons servies.

Elle va plus loin en imposant aux femmes vivant seules de retourner dans leur famille sous peine d’être considérées comme s’donnant à des activités illégales. « Celles qui louent une maison doivent retourner dans leurs familles, sinon, si elles se font attraper, elles seront prises pour des malfaitrices ».

Le juriste Pacifique Niyonizigiye a dénoncé cette mesure sur son compte X (anciennement Twitter), rappelant que « dans un État de droit, les pouvoirs des autorités sont délimités par la Constitution et les autres lois ».

Il fait référence à l’article 116 de la Constitution du Burundi, qui stipule que « l’état d’exception ne peut être proclamé que dans des circonstances extrêmes menaçant les institutions de la République et après consultation des organes compétents ».

Or, rien ne justifie de telles restrictions dans la commune de Mabayi. « On dirait la proclamation de l’état d’exception en violation de l’article 116 de la Constitution », souligne-t-il.

Le professeur Alexis Manirakiza, enseignant en droit à l’université, a également pris position contre cette mesure sur son compte X. Il insiste sur la discrimination flagrante qu’elle représente :« La Constitution est allègrement violée ici ».

De nombreux observateurs estiment que cette décision contribue à renforcer les inégalités entre les sexes en empêchant les femmes d’accéder à des opportunités économiques et en restreignant leur liberté de mouvement.

Face aux critiques croissantes, les organisations de défense des droits de l’Homme appellent cette autorité à revoir immédiate cette mesure, voire à l’annuler tout simplement.

Elles rappellent que l’égalité entre les sexes est un principe fondamental inscrit dans les textes internationaux et nationaux auxquels le Burundi a souscrit.

« C’est dommage, cette mesure n’est pas du tout légale qu’elle soit suspendue », a souligné Inès Kidasharira. Le professeur Alexis Manirakiza a, quant à lui, ajouté qu’il s’agit là d’une « discrimination basée sur le genre inacceptable ». Selon lui, le retrait ou l’annulation de cette décision s’impose.

Charte des utilisateurs des forums d'Iwacu

Merci de prendre connaissances de nos règles d'usage avant de publier un commentaire.

Le contenu des commentaires ne doit pas contrevenir aux lois et réglementations en vigueur. Sont notamment illicites les propos racistes, antisémites, diffamatoires ou injurieux, appelant à des divisions ethniques ou régionalistes, divulguant des informations relatives à la vie privée d’une personne, utilisant des œuvres protégées par les droits d’auteur (textes, photos, vidéos…) sans mentionner la source.

Iwacu se réserve le droit de supprimer tout commentaire susceptible de contrevenir à la présente charte, ainsi que tout commentaire hors-sujet, répété plusieurs fois, promotionnel ou grossier. Par ailleurs, tout commentaire écrit en lettres capitales sera supprimé d’office.

Ajouter un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

A nos chers lecteurs

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, mais une information rigoureuse, vérifiée et de qualité n'est pas gratuite. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à vous proposer un journalisme ouvert, pluraliste et indépendant.

Chaque contribution, grande ou petite, permet de nous assurer notre avenir à long terme.

Soutenez Iwacu à partir de seulement 1 euro ou 1 dollar, cela ne prend qu'une minute. Vous pouvez aussi devenir membre du Club des amis d'Iwacu, ce qui vous ouvre un accès illimité à toutes nos archives ainsi qu'à notre magazine dès sa parution au Burundi.

Editorial de la semaine

Une crise de trésorerie à l’EALA qui en dit long

Une crise financière contraint l’Assemblée législative de l’Afrique de l’Est (EALA) à suspendre ses activités pour le premier semestre de 2025. La décision a été prise le 6 février. Hélas, cette suspension législative semble récurrente dans cette institution censée promouvoir (…)

Online Users

Total 2 953 users online