Mardi 05 novembre 2024

Société

Lycée Kanura : Quand des malvoyants surpassent des clairvoyants

22/03/2022 Commentaires fermés sur Lycée Kanura : Quand des malvoyants surpassent des clairvoyants
Lycée Kanura : Quand des malvoyants surpassent des clairvoyants
Des élèves clairvoyants et malvoyants en train de suivre une leçon.

Plus de 60 élèves aveugles et malvoyants étudient au lycée Kanura de Gihanga, province Bubanza. Mêmes banc-pupitres, mêmes leçons et mêmes enseignants que les élèves clairvoyants. Ces élèves en situation d’handicap sont souvent les premiers de classe. Reportage.

Gihanga, à l’ouest du pays. Un centre semi-urbain très mouvementé où circulent nombre de cyclistes, de motards… De nombreuses vendeuses de farine de manioc devant les kiosques.

A l’arrière du nouveau bureau communal de Gihanga, l’on peut lire sur une des pancartes : « Bienvenue au Lycée Kanura ». A presqu’un demi-kilomètre, une école pas comme les autres. Là, on pratique l’éducation inclusive. Des enfants aveugles ou malvoyants partagent les mêmes bancs-pupitres, les mêmes enseignants et les mêmes leçons.

Le déroulement des leçons se fait dans des conditions particulières. Au cours de la leçon, les malvoyants ont des notes à l’avance. Histoire de leur permettre de suivre en même temps que les autres. Pendant que l’enseignant explique, eux, ils se concentrent sur leurs feuilles en écriture braille. Pour lire, ils détectent les lettres, les chiffres par leurs doigts. Idem pour effectuer des opérations.

Ces malvoyants possèdent leurs propres matériels. Des feuilles, des tablettes, etc. Ils sont aussi placés sur les deux premiers bancs-pupitres. Près du tableau noir.

10 h 30, c’est la récréation. Les malvoyants ou les aveugles se dirigent vers le réfectoire pour prendre le petit-déjeuner. Car ce sont des élèves internes. De leur retour dans la cour intérieure de l’école, on les voit jouer avec les autres, se lancer des blagues. Certains malvoyants sont d’ailleurs plus bavards que les autres.

« Nous n’avons aucun problème avec nos amis. Nous sommes très contents d’être avec eux. On se sent très bien et bien entouré », témoigne Phinès Ishimwe, élève malvoyant en 8e. Avant de confier qu’être là leur fait oublier leur handicap : « Quand nous sommes ici, on oublie même qu’on ne voit pas. On voit bien avec le cœur. Et on sait comment identifier tel ou tel autre par sa voix. »

Jean-Claude Tuyishime, 20 ans, élève aveugle en 1ère post-fondamental, abonde dans le même sens : « Être ici, avec des camarades de classe sans handicap me rassure. Cela me montre que nous sommes aussi capables, que nous sommes des enfants comme les autres. »

Ce natif de Cibitoke remercie leurs camarades d’être très compatissants envers eux : « Parmi nous, il y en a qui sont totalement aveugles comme moi. Alors, quand on sort dehors, c’est facile de se cogner contre un mur ou un arbre. Mais nos camarades veillent sur nous, ils nous guident et nous aident pour nous déplacer d’un lieu à un autre. »

De meilleures notes, des visions ambitieuses malgré leur handicap

A cette école, toutes les sources s’accordent sur le fait que les malvoyants ou les aveugles réussissent mieux. Le cas emblématique est celui de Goreth Nsabimana, élève malvoyante en 1ère post-fondamental. « Elle est vraiment très intelligente. Au 1er trimestre, elle a été la première de la classe avec 70,6% », témoigne Pascal Miburo, un enseignant à cet établissement. Il indique que Jean-Claude Tuyishime, élève aveugle de la même classe, a été classé 4e avec 54%.

Idem dans d’autres classes où il assure que ces élèves malvoyants ou aveugles arrivent dans les dix premières places de classement. Il fait savoir que l’année passée, lors de l’Ex-Etat, c’est une fille malvoyante qui a obtenu la meilleure note à cet établissement. « En plus de leur intelligence naturelle, ces enfants n’ont pas de temps à perdre. Ils se concentrent sur leurs cours et ont un bon encadrement parce qu’ils sont internes », tente-t-il d’expliquer. Ce qui rejoint en partie les explications données par les élèves clairvoyants. « Ils ne sont pas distraits alors que nous, nous perdons souvent du temps dans des choses futiles comme le copinage, etc », glisse I.K., un élève de la 8e année fondamentale.

Interrogés, ces enfants vivant avec handicap soulignent que ces bonnes notes les réconfortent. « Quand je me classe première de la classe, je me sens très contente. C’est une preuve que nous sommes aussi capables, intelligents que les autres », confie Goreth Nsabimana. Cette jeune fille confie son secret : « Je fournis beaucoup d’efforts pour étudier. Aucune minute à perdre. Et en cas d’incompréhension, je demande à mes condisciples des explications. » Elle est très ambitieuse : « Une fois mes études terminées, je vais être une grande entrepreneuse agro-pastorale.»
Quant à Jean-Claude, il veut se lancer dans la comédie : « Aujourd’hui, il faut être créatif et innovant pour gagner la vie. »

Sous les applaudissements de ses camarades de classes, il signale qu’il s’y prépare déjà : « En dehors des cours, j’écoute déjà d’autres comédiens sur les radios. » Contrairement à Mlle Nsabimana, il compte fonder un foyer après ses études.

Des défis aussi

Ernest Nindagiye demande que l’école soit surtout assistée matériellement.

« Pour exercer ici, c’est vraiment très difficile. On doit fournir un effort spécial et se sacrifier », confie M.Miburo. Il indique qu’au moment où d’autres enseignants font une seule préparation, eux, ils doivent faire une double tâche : « On doit préparer les notes pour ces malvoyants. Et là, on utilise le braille. Ce qui leur permet de suivre et d’avancer avec les autres.» Il ajoute que le temps réparti à une leçon est aussi impacté : « Nous devons nous rassurer que tous les enfants ont bien assimilé les leçons, surtout ces malvoyants. On doit les traiter avec attention pour ne pas les blesser moralement. »

Cet enseignant indique que tous les enseignants ne maîtrisent pas le braille : « Pour être affecté ici, on ne regarde pas si tu maitrises cette technique. Tout est appris sur le tas. Heureusement que notre directeur se débrouille pour former les nouveaux dans cette technique. »

Martin Misago, un autre enseignant, évoque des problèmes de matériels : « Les machines Perkins ne sont pas suffisantes. Ce qui fait que tous les enseignants se rencontrent sur une seule machine. Ainsi, le travail traîne en longueur. » Il demande que les enseignants soient dotés d’ordinateur individuel afin qu’ils fassent les préparations à la maison. « Actuellement, nous sommes obligés de revenir pour la préparation des cours. C’est beaucoup d’heures supplémentaires, souligne-t-il.

En raison de leurs efforts, M.Miburo estime qu’il devrait y avoir une prime ou un traitement spécial pour eux.
Quant à Ernest Nindagiye, directeur de cette école, il évoque le manque d’enseignants, notamment ceux formés au braille, le manque du matériel spécialisé, comme les machines, les livres, les papiers. Il évoque aussi le manque de couchage, l’alimentation, etc.

Le directeur demande que cette école soit surtout assistée en matériels qui coûtent cher : « Une machine Perkins coûte 835 euros, une tablette est achetée à 22 euros, un poinçon à 3,5 euros. Pour avoir 200 papiers braille, on doit débourser 120 mille BIF.»

A cette école, M.Nindagiye indique qu’ils n’ont que deux imprimantes braille, chacune coûtant environ 4 mille euros. « Nous avons besoin au moins de quatre imprimantes».

Créée en 1989, le lycée Kanura est sous convention de l’Eglise Emmanuel. Elle compte aujourd’hui 200 élèves, dont 62 malvoyants et aveugles. Et l’éducation inclusive y a commencé en 2011.

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