Par Agnes Odhiambo et Elin Martinez
En juin, le Burundi a rejoint un petit groupe de pays africains qui interdisent aux filles enceintes de poursuivre leurs études dans le système éducatif formel. Le ministère burundais de l’Éducation a interdit aux garçons qui se rendent responsables de la grossesse de filles, ainsi qu’à ces filles, de fréquenter les écoles publiques ou privées.
La décision du Burundi est contraire à sa constitution et à plusieurs lois nationales du pays et remet en cause les objectifs de l’État en matière d’éducation. En effet, la loi du Burundi contre les discriminations sexistes protège le droit des filles à retourner à l’école et établit clairement qu’il incombe aux responsables des écoles de respecter ce droit et de protéger les adolescentes devenues mères contre l’ostracisme et l’exclusion sociale. Au regard du droit international, le Burundi a également l’obligation légale de fournir une éducation à tous ses enfants, sans discrimination.
Human Rights Watch a récemment révélé dans un rapport que des milliers de filles enceintes et de jeunes mères étaient exclues de l’école à travers l’Afrique. Le Burundi faisait alors encore partie d’un groupe de 26 pays africains dotés de lois ou de politiques soutenant le droit des filles à l’enseignement, même en cas de grossesse ou de maternité et quel que soit leur statut matrimonial.
Par conséquent, cette nouvelle politique constitue un pas en arrière, par lequel le Burundi rejoint la Guinée équatoriale, la Sierra Leone, la Tanzanie et le Togo dans l’adoption d’une politique scolaire punitive et discriminatoire à l’encontre des filles enceintes et des mères adolescentes. Ces politiques ont pour effet de dénier à ces filles une éducation.
Dans ces pays, des responsables et des élus ont insisté pour l’adoption de mesures punitives à l’égard de filles qu’ils accusent de « faillite morale ». Et pourtant, le gouvernement du Burundi souligne aussi que ces filles sont des « victimes » de leur grossesse ou de leur mariage précoce. Sur ce point, le gouvernement a raison et par conséquent, il semble que ces filles ont besoin d’un soutien et non pas d’une punition. Bien que des statistiques soient difficiles à obtenir, les activistes des droits de l’enfant affirment que de nombreuses filles au Burundi ont des grossesses non désirées et même forcées, résultant souvent de violences sexuelles.
Malgré cette décision préjudiciable du gouvernement burundais, il y a un large soutien parmi les pays africains à l’idée de maintenir les filles enceintes et les mères adolescentes dans le système scolaire. Certains gouvernements, confrontés à des taux élevés de grossesse parmi les élèves des écoles, ont adopté des politiques très pragmatiques pour soutenir l’éducation des filles, tout en s’attaquant aux causes profondes des grossesses prématurées.
Des pays comme le Gabon, le Kenya et le Malawi ont adopté des politiques de « poursuite » de la scolarité ou de « réintégration » après l’accouchement. Les politiques de « réintégration » exigent que les filles enceintes et les mères adolescentes quittent l’école mais prévoient des possibilités de retour, sous certaines conditions. Par contraste, les politiques de « poursuite » de la scolarité permettent aux filles enceintes de continuer à aller à l’école aussi longtemps qu’elles le souhaitent et n’imposent pas de temps d’absence obligatoire après l’accouchement.
Mais même dans ces pays, de nombreuses mères adolescentes ne sont pas scolarisées à cause d’une mauvaise application des lois et des politiques, et d’une supervision déficiente du retour dans le système scolaire des mères adolescentes. Nos recherches ont montré que des mères adolescentes peuvent rester en dehors de l’école en raison d’un manque d’informations parmi les filles, les enseignants, les responsables des écoles et leurs communautés sur le fait que les filles peuvent et devraient retourner à l’école.
Les filles sont le plus souvent affectées par les obstacles financiers, par le manque de soutien de la part de leurs familles ou de leurs communautés, et par l’ostracisme au sein de leurs communautés et de leurs écoles. Les aspects punitifs et dommageables de certaines politiques de retour – tels que de longues périodes de congé de maternité et des conditions de retour complexes comme la fourniture de certificats médicaux, comme au Sénégal, ou l’obligation d’écrire des lettres à divers responsables de l’éducation sollicitant un placement dans une école, comme au Malawi – peuvent décourager les mères adolescentes de retourner à l’école ou de rattraper l’enseignement perdu.
À travers le continent africain, les filles sont confrontées à des défis particuliers dans leur rendement scolaire en raison d’inégalités structurelles et systématiques entre les sexes. L’Union africaine, en adoptant son Agenda 2063 – une stratégie de développement économique et social à l’échelle du continent – s’est engagée à mettre en valeur le « capital humain » de l’Afrique, qu’elle considère comme « [sa] ressource la plus précieuse », grâce à des investissements soutenus dans le domaine de l’éducation, y compris à l’élimination des « inégalités entre les hommes et les femmes à tous les niveaux de l’éducation. »
Exclure les élèves de sexe féminin de l’école uniquement parce qu’elles sont enceintes ou mariées revient à leur dénier la possibilité de s’instruire et d’acquérir des connaissances rémunératrices pour développer leur famille, leur pays et le continent. En tant que l’un des pays les plus pauvres du monde, le Burundi devrait donner des possibilités à ses filles, plutôt que de les empêcher de se réaliser.
L’Union africaine, ainsi que les pays de la région, devraient exhorter le Burundi à revenir sur cette décision d’exclusion. L’UA devrait appeler le Burundi et tous ses autres membres à mettre fin aux discriminations dans les écoles basées sur la grossesse et à adopter des politiques visant à assurer que toutes les adolescentes enceintes et les jeunes mères soient soutenues dans leurs efforts pour rester scolarisées.
Une grossesse et un accouchement sont pour de jeunes filles des événements qui changent leur vie de manière importante. De nombreuses adolescentes enceintes sont stigmatisées ou rejetées et ne reçoivent que très peu de soutien de la part de leur famille ou de leur école. Elles font l’objet de la condamnation des responsables gouvernementaux, se heurtent à des difficultés économiques et sont parfois victimes d’abus et de violences.
Les exclure de leur école ne fait qu’ajouter inutilement à leurs souffrances et ne devrait pas être toléré.
Agnes Odhiambo est chercheuse senior auprès de la division des Droits des femmes et Elin Martínez est chercheuse auprès de la division des Droits des enfants, à Human Rights Watch.