Ce texte est tiré d’un article de la section « Affaires » de l’hebdomadaire The East African, intitulé « Uganda turns to lifestyle audits to curb fraud. »N.d.l.r.
<doc5488|left>Voici l’histoire d’un jeune homme, comptable junior au service des achats de la firme de communications MTN, à Kampala. Jeune homme modeste qui, pendant les weekends, portait les sacs des golfeurs du sélect club de golf de Kampala. Du jour au lendemain il passe du statut de caddy à celui de caïd.
Un jour, il s’enregistre au club, paye sa cotisation et devient un membre de ce cercle très sélect, réservé aux gens fortunés. Il ne vient plus au club de golf en bus; il s’y rend avec sa luxueuse voiture flambant neuve. Cette situation intrigue ses collègues golfeurs au point que l’un d’entre eux, homme d’affaires prospère, en parle avec les patrons de MTN et leur suggère de procéder à une enquête « train de vie ».
La société MTN vit à ce moment de très sérieux problèmes de fraude, particulièrement dans le secteur du transfert de fonds par téléphone. Elle a perdu presque 10 millions de dollars au cours de la dernière année. Elle décide donc de faire appel à une firme spécialisée dans les enquêtes en matière de fraude financière : la Deloitte and Touche South Africa.
Depuis quelques années déjà, cette société s’est spécialisée dans les enquêtes en profondeur sur le train de vie de certains employés pour essayer de détecter des enrichissements rapides et douteux qui pourraient indiquer des cas de fraude.
Rapidement, les enquêteurs découvrent que notre nouveau golfeur a acquis une grande villa qui domine les berges du lac Victoria, une Mercedes Benz classe A et une autre Mercedes de classe E. De plus, le jeune homme dispose de 650,000$ sur son compte en devises et de bons du trésor d’une valeur de plus de 500,000$! L’enquête permet de découvrir qu’il a réalisé des transactions frauduleuses de l’ordre de 3,8 millions de dollars. Il a été arrêté et est poursuivi en justice.
Des indicateurs spécifiques pour les enquêteurs
Les crimes liés à la fraude ou à la corruption sont généralement peu visibles et difficiles à détecter. Comment procède la firme spécialisée pour les mettre à jour? « On procède à des audits qui reposent sur des indicateurs liés au mode de consommation d’un éventuel suspect. On arrive à compiler les informations en combinant les revenus, ceux de la conjointe, les actifs déclarés. On compare le tout avec ce que la personne consomme mensuellement. »
Un autre indicateur qui ne ment pas : des prêts énormes qui sont hors de proportion avec les revenus de l’emprunteur. Un enquêteur confirme que « les biens et les actifs peuvent être déclarés ou cachés, mais le train de vie d’une personne peut livrer d’importantes informations sur un cas possible de corruption ».
L’Office Ougandais des Recettes applique cette méthode pour détecter des cas d’évasion fiscale. Selon un cadre responsable de la gestion des taxes de Deloitte and Touche Ouganda, « il est grandement temps qu’on applique cette technique aux fonctionnaires et employés de l’État ».
Cette approche peut s’avérer très utile, en Ouganda et dans la plupart des pays de la région où, comme le souligne un rapport de la firme Deloitte and Touche, la fraude dans le domaine financier a atteint des proportions inquiétantes. En effet, au court des 18 derniers mois, la fraude bancaire à elle seule s’élèverait à quelque 48,3 millions de dollars.
Signes extérieurs de richesse
Les enquêteurs spécialisés dans le domaine des fraudes financières ou de la corruption utilisent souvent les signes extérieurs de richesse comme point de départ de leurs enquêtes pour comprendre les mécanismes d’enrichissement, souvent illicites.
Ces signes extérieurs concernent les éléments les plus visibles tels que les maisons et les voitures luxueuses, les comportements exagérés comme les dépenses publiques extravagantes, les achats de bijoux, les voyages fréquents à l’étranger, etc.
Un autre indicateur important est la rapidité avec laquelle ces biens ont été acquis ou la soudaineté des comportements hors de l’ordinaire. Les enquêteurs en sont à se demander comment telle ou telle personne, soudainement, dispose de tant de ressources financières.
Les enquêteurs regardent alors de plus près les activités de ces personnes, leurs sources de revenus régulières pour établir s’il y a adéquation entre les revenus et les dépenses. Ils vont alors vérifier auprès des institutions financières les actifs monétaires détenus par ces individus dans des comptes bancaires.
Si les enquêtes démontrent qu’il peut y avoir irrégularité en raison de l’importance des montants impliqués et de la rapidité avec laquelle ils ont été accumulés, ils peuvent alors interpeller les personnes concernées pour leur demander de rendre des comptes. C’est là que, normalement, intervient l’appareil judiciaire.
Ces techniques d’enquête sont largement utilisées dans plusieurs pays pour traquer les trafiquants et les réseaux criminels internationaux. Dans plusieurs pays, aussi, les personnalités publiques, et particulièrement les élus, sont tenus de faire régulièrement une déclaration de patrimoine pour vérifier leur indépendance et s’assurer qu’il n’y a pas d’enrichissement illicite rapide.
Dans les pays où ces mesures ne sont pas en vigueur et où il n’existe pas de mécanismes indépendants de surveillance et de suivi, il est difficile de traquer la fraude et la corruption. Le relais est alors pris par la population ou par les organisations de la société civile.
À cet égard, le cas du Mali du début des années ‘90 est particulièrement instructif. À cette époque, les dirigeants du régime du président Moussa Traoré s’enrichissaient d’une façon très visible dans un pays où régnait une grande pauvreté. Malgré toutes les revendications et toutes les dénonciations, rien n’était fait. Il a fallu que les organisations syndicales et étudiantes fassent elles-mêmes les enquêtes et, finalement, s’en prennent à tout ce qu’ils appelaient « biens mal acquis ». Des milliers de villas luxueuses se sont envolées en fumée, attaquées par des émeutiers qui savaient exactement à qui elles appartenaient. Le mouvement a fini par emporter le régime.
Quid du Burundi ?
Le gouvernement du Burundi, accompagné par ses partenaires, a mis en place les instruments nécessaires pour lutter contre la corruption et la fraude. Il existe un tribunal anti-corruption et une brigade spécialisée dans les enquêtes sur la corruption. Plusieurs cas ont déjà faits l’objet d’enquêtes.
Cependant et malgré ces efforts, les organisations de la société civile burundaise continue de réclamer des autorités que des enquêtes soient menées sur ce qui semble être des cas d’enrichissement illicite visible. Ces organisations font état, entre autres, de très nombreuses constructions de résidences onéreuses alors que peu de personnes en ont les moyens.
Les appels d’organisations telles que l’Olucome et le Parcem ne semblent pas avoir été entendus jusqu’à maintenant. Les techniques d’enquêtes développées par des entreprises comme Deloitte and Touche South Africa pourraient aider à voir clair dans ce dossier.