Dimanche 22 décembre 2024
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Zebiya, la “rebelle” de “Dieu”

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Zebiya, la “rebelle” de “Dieu”


31/01/2018
Dossier réalisé par Gilbert Armel Bukeyeneza . Edition : Elvis Mugisha Images : Gilbert Armel Bukeyeneza

Editorial/ Zebiya, ou quand l’irrationnel côtoie le fanatisme

Par Antoine Kaburahe

Antoine kaburahe

Le 12 mars 2013, une trentaine de fidèles de Zebiya, la « voyante » de Businde, sont tués par la police. Les Burundais effarés découvrent l’emprise de ce nouveau mouvement religieux, mais aussi la brutalité d’une police incapable de gérer des foules. Une de ses missions pourtant.

Pendant plus de quatre ans, Gilbert Armel Bukeyeneza, dans la grande tradition du journalisme d’investigation, a suivi le mouvement de Zebiya.

De Businde jusqu’au récent massacre de septembre dernier à Kamanyola (RDC). C’est l’un des rares journalistes burundais qui a couvert directement les deux carnages. Mieux, Gilbert Bukeyeneza est quasiment le seul journaliste qui a parlé avec Zebiya depuis son entrée en clandestinité.

Sur base de faits précis, vérifiés, il nous emmène à la découverte et dans les soubresauts de cette histoire où l’irrationnel côtoie le fanatisme.

Au-delà de ce que certains pourraient considérer comme une banale histoire de « brebis égarées de l’Église catholique », le mouvement de Zebiya devrait nous interpeller sur la montée, l’emprise de plus en plus croissante de « leaders » religieux au Burundi. Il suffit de voir la multiplication de nouvelles Églises, les unes plus « charismatiques » que les autres.

Il faut dire que l’environnement politique et économique est propice à une telle prolifération. Le désespoir, la paupérisation, pousse la population dans les bras des « prophètes. »

Il faut de toute urgence revenir sur ce principe fondamental de notre Constitution : le respect de la laïcité. Le Burundi est « une République unitaire, indépendante et souveraine, laïque et démocratique… ». Pour parler plus simplement, laisser à « César ce qui est à César ». Aujourd’hui, les versets bibliques se retrouvent mêlés aux discours politiques…

Enfin, plus que jamais, il faut investir dans l’éducation. C’est le moyen le plus sûr pour enrayer cette dynamique vers l’irrationnel. Les « prophètes » profitent de notre désespoir, de nos doutes et surtout de notre ignorance.

Ainsi, savez-vous pourquoi les adeptes de Zebiya ne consomment pas les aliments contenus dans les boîtes de conserve ? Dans cette interview, la « voyante » explique que celles-ci contiennent des « puces électroniques » dangereuses pour les fidèles…


Notre grande enquête

Gilbert Armel Bukeyeneza

Pendant plus de quatre ans, le journaliste d’Iwacu Gilbert Armel Bukeyeneza a suivi le mouvement dit « Zebiya ». Cette femme originaire de Businde (Kayanza) se disait « prophétesse. » Elle affirmait recevoir notamment des messages de la Sainte-Vierge. Zebiya d’abord tolérée par l’Eglise catholique a fini par agacer les autorités ecclésiastiques. Zebiya draine des foules, de toutes catégories, même des intellectuels. Les autorités inquiètes vont finir par interdire les rassemblements de ces milliers d’adeptes sur le site de Businde. Ceux-ci résistent. Le 12 mars 2013, c’est la catastrophe. La police tire sur les adeptes de Zebiya, il y a des morts. Zebiya entre en clandestinité. Gilbert Armel Bukeyeneza, le correspondant du journal Iwacu dans le nord a suivi toutes les péripéties du mouvement. En septembre 2017, il est à Kamanyola où il couvre le massacre de plusieurs dizaines d’adeptes de Zebiya réfugiés au Congo.

Fait rare, Armel Gilbert est quasiment le seul journaliste qui est parvenu à décrocher une interview de Zebiya qui n’a plus fait parler d’elle depuis de nombreuses années.

Des faits racontés avec précision. Un récit extraordinaire. Gilbert Armel Bukeyeneza, aujourd’hui correspondant de Jeune Afrique fait honneur au métier. Iwacu est fier de toi. La relève est assurée, bravo Armel Gilbert !

Antoine Kaburahe

Le carnage de Kamanyola
La trentaine de victimes de la fusillade militaire a été inhumée à quelques mètres du camp des rescapés, en bas de la route qui mène à Uvira

Le 15 septembre 2017, près d’une quarantaine de réfugiés burundais, tous fidèles de la voyante Zebiya ont été tués par des militaires congolais, au Sud-Kivu. Retour sur un massacre qui en rappelle bien un autre.

Kamanyola, une contrée de la RDC un peu perdue à la frontière rwandaise et burundaise.
Jusqu’au 15 septembre 2017, Kamanyola était une terre d’asile dans cet immense Congo. En tout cas, les fidèles de la voyante de Businde croyaient y avoir déplacé leur sanctuaire pour y prier en paix.

Kamanyola sera leur nécropole pour une trentaine d’entre eux. C’est un vendredi après-midi que la mort va frapper. 37 Burundais, des demandeurs d’asile, tous fidèles de Zebiya, la voyante de Businde (Kayanza dans le nord du Burundi) sont massacrés par des militaires congolais.

À l’entrée de la petite ville, après le poste frontalier rwando-congolais, des regards inquiets. Désespérés.

Une petite route macadamisée vous jette devant les blindés peints aux couleurs des Nations Unies avant d’aller droit vers la ville d’Uvira, puis Bujumbura. L’arsenal militaire appartient à la Monusco (Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République Démocratique du Congo) qui, depuis le 15 septembre, assure la sécurité des milliers de rescapés, tous des adeptes de Zebiya.

Au bout de la route, en plus des enfants qui courent dans tous les sens, des mamans font la cuisine. Des hommes taillent le bois pour monter de nouvelles huttes.

Trois longues files impressionnantes de jeunes filles et de vieilles mamans se bousculent pour puiser l’eau. Un petit robinet vient juste d’être installé.

Le site regroupe 1017 femmes, 953 enfants, 522 hommes soit 2492 réfugiés d’après Dionyse Nyandwi, un de leurs représentants. Ils se terrent sous les centaines de bâches du HCR, construites à la va-vite, côte à côte avec le camp des forces onusiennes.

Les bâches, fragiles, font à peine un mètre de haut. Elles ne peuvent pas résister à la pluie. Ouvertes à tous les vents, elles protègent peu du soleil. Les “pèlerins de Businde”, comme ils se nomment eux-mêmes, se battent pour survivre, s’adapter.

Il est 15 heures. C’est l’heure de la prière. Un sanctuaire a été prestement monté à l’intérieur du camp. Des fidèles se précipitent pour aller réciter le chapelet. Ce jour, ils vont « prier pour les 37 âmes » inhumées en bas de la route, tout près des latrines sans toit. Là, quelques cercueils montent encore la garde comme s’ils attendaient de nouvelles victimes. Les blessés sont nombreux. « Une fillette a reçu des balles dans le ventre. Ses chances de survie sont très minces », lâche avec colère un fidèle de Zebiya.

Mais, que s’est-il vraiment passé à Kamanyola ?

Les témoignages des rescapés, des journalistes, des activistes des droits de l’Homme ou les déclarations des autorités congolaises convergent sur plusieurs points.

Tout commence le 12 septembre 2017 dans la soirée. Des militaires en patrouilles arrêtent quatre hommes parmi les fidèles de Zebiya. Ils sont accusés d’être en possession d’armes blanches: des gourdins. Des accusations confirmées par une vidéo prise lors de l’interrogatoire par une source locale.

Les personnes arrêtées sont plus tard acheminées au bureau de l’Agence Nationale des Renseignements (ANR) à Kamanyola, à un jet de pierre du camp de la Monusco. Des femmes tentent de leur amener à manger, en vain. « Les agents de l’ANR ont refusé », témoignent des sources au sein du camp. « Certaines femmes ont même été battues », renchérissent-elles.

Mais elles ne se découragent pas. Le 15 septembre, elles y retournent, toujours avec de la nourriture. L’ANR reste inflexible.

Elles restent là, insistent. C’est alors qu’un véhicule de l’armée arrive et embarque les quatre Burundais. Il prend la direction d’Uvira. Les femmes qui assistent impuissantes à la scène, craignent une expulsion vers le Burundi.
Leur peur est fondée : quelques jours plus tôt, les autorités locales avaient menacé de « rapatrier de force incessamment » les fidèles de Zebiya. Ces menaces ont été confirmées par plusieurs sources. Alors que le véhicule emmenant leurs compatriotes s’éloigne, paniquées, les femmes rebroussent chemin et courent alerter les autres réfugiés. Une terrible tragédie se met en marche.

La nouvelle de la “déportation” des personnes arrêtées vers le Burundi se répand comme une traînée de poudre parmi les adeptes de Zebiya. À cette heure, ils sont en train de prier dans les 38 maisons faisant office de chapelles (chacune peut accueillir environ une centaine de personnes).

Les trois mille fidèles (peut-être plus, car les statistiques ne sont pas très sûres) se mobilisent spontanément pour aller s’enquérir du sort des leurs.

D’après un journaliste congolais qui était sur les lieux au moment des faits, dans un premier temps, un officier de police veut donner une chance au dialogue, et demande aux Burundais de choisir une équipe de cinq interlocuteurs. Mais d’autres policiers sabotent l’initiative et “s’expriment par leurs matraques.” Les fidèles de Zebiya répondent avec des jets de pierres. La bagarre éclate. Un policier ouvre le feu. Emelyne, une jeune adolescente, est la première à être tuée. La balle la frappe en pleine tête. Arrivés en pick-up, des militaires congolais débarquent.

D’après des témoignages concordants, un fidèle de Zebiya attrape le fusil d’un soldat congolais et l’abat. Il vient de signer le début de l’hécatombe. Un militaire charge « sa mitrailleuse » et tire dans la foule. « La terre tremblait. Des gens tombaient comme des mouches, des mamans, des enfants, des hommes. Le tir n’a duré que très peu de minutes », raconte le journaliste, encore bouleversé. Juste quelques petites minutes, trois ou quatre, personne ne peut le dire avec exactitude. Quand l’engin de mort se tait, une trentaine de cadavres jonchent la rue. Des centaines de blessés. Des cris. Des personnes agonisantes. Du sang partout.

Les rescapés parviennent à récupérer tous les corps et les déposent devant le camp de la Monusco. Ils seront enterrés deux jours plus tard. Les blessés, eux, seront acheminés dans les établissements sanitaires de la localité.

Qui sont les quatre Burundais arrêtés par les FARDC ?

« Tous des fidèles de Businde », affirme la représentation des réfugiés réunis au Camp de Kamanyola qui rejette les allégations selon lesquelles ces personnes seraient des rebelles. « Ils priaient avec nous même à Businde. Ils sont venus ici en RDC en avril 2015 comme nous tous ». Leur identité est en effet connue:

• « Il s’agit de Nimbona Dieudonné, Didace Ntamavukiro, Libert Riyazimana et Athanase Ntakamurenga ».
Nimbona Dieudonné, originaire de la province Mwaro.


Didace Ntamavukiro, originaire de la province Bubanza, commune Musigati, colline Higiro.


Libert Riyazimana, de la province Kirundo, commune Vumbi à Gasura.


Athanase Ntakamurenga, originaire de Kayanza, commune Gahombo, colline Ruzingati.

Source : la représentation des « pèlerins de Businde » vivant dans le camp de Kamanyola.

Des antécédents

Il est difficile de dissocier le bain de sang de Kamanyola des tractations antérieures entre les autorités locales et les « fidèles de Businde ». Le carnage du 15 septembre est survenu une semaine après un discours musclé de l’administrateur du territoire de Walungu, auquel appartient Kamanyola, contre les réfugiés burundais.

D’après des informations que nous avons pu recouper sur place, Dominique Bofondo les a « menacés ouvertement d’expulsion, en leur disant qu’on ne veut plus d’eux à Kamanyola, la paix étant revenue au Burundi ».

Depuis ce jour, « tout a basculé pour nous », raconte avec tristesse Dionyse Nyandwi, un des représentants des fidèles de Zebiya. « Avant ce discours, nous nous entendions bien avec la population locale. Mais après les déclarations de l’administrateur Bofondo, elle a changé d’attitude. Les gens nous disaient « tutawa choma »( nous allons vous brûler). Pourtant, c’est cette même population qui nous avait accueillis, donné des terres pour cultiver, des maisons pour demeurer », témoigne M. Nyandwi.

Pire, expliquent les adeptes de « la voyante de Businde », « Donatien (une des victimes du 15 septembre) n’a pas été tué par les balles des FARDC. Il a été lynché à coups de pierres par les civils juste après le carnage ». Donatien figure sur la liste des personnes mortes le 15 septembre à Kamanyola. Il est inscrit sous « Donasiyano Nayize(ye) », et présenté comme « originaire de Ngozi ».

Selon plusieurs sources en RDC, le discours de l’administrateur de Walungu serait le résultat d’une « bonne collaboration entre les gouvernements burundais et congolais » pour rapatrier tous les réfugiés burundais. “Une délégation de Bujumbura avait été au Congo quelques semaines plus tôt pour négocier, entre autres, la rentrée des réfugiés ».
Le 14 août, un mois avant le carnage de Kamanyola, 24 ménages burundais du camp de Lusenda (territoire de Fizi, Sud-Kivu) étaient ramenés au pays.

Kamanyola, le remake
Le nouveau camp des fidèles de Zebiya, rapidement monté après le carnage du 15 septembre 2017 à Kamanyola

Une fois encore, la vie tourmentée de plus de trois mille ouailles de la voyante de Businde vient de basculer. En fait, Kamanyola est une macabre réédition.

Les victimes du 12 mars 2013 gisant encore sur le sol.

Le carnage du vendredi 15 septembre 2017 rappelle étrangement la fusillade policière quatre ans plus tôt, le 12 mars 2013, à Kayanza dans le nord du Burundi. Les adeptes de Zebiya et la police se sont affrontés sur la colline Businde, au centre Kigarama, à quelques centaines de mètres du lieu qui abritait leur sanctuaire. Le sang a coulé. Les échauffourées se sont soldées par des morts. Neuf fidèles ont été tués sur-le-champ, une dizaine blessés.

Le massacre fut l’aboutissement tragique des mois de tension entre le mouvement et l’Etat. Une tension née d’un bras de fer entre Zebiya et l’Eglise Catholique, cette dernière irritée par « certaines instructions de la voyante à ses fidèles contraires à la doctrine ecclésiastique ». Le point d’orgue a été le 21 octobre 2012 quand des adeptes de Zebiya ont défié publiquement la décision du curé interdisant de porter le voile pendant la messe. Ce dimanche, il n’y a pas eu de prière à la paroisse Rukago. Il y a plutôt eu des affrontements. La police est intervenue. Des coups de feu ont retenti, sans faire de dégâts humains.

Le 12 mars 2013, soit cinq mois après, la police a encore tiré à balles réelles sur les « pèlerins » de Businde. Ce fut une journée fatale avec neuf victimes, toutes mortes.

 

Mon reportage paru le 15 mars 2013 dans Iwacu sur le carnage du 12 mars 2013

Il est environ 5 heures quand les adeptes de Zebiya, qui apparemment n’ont pas logé loin du sanctuaire, affluent en masse vers leur lieu de prière en récitant des chants religieux. Les policiers, une trentaine, qui garde depuis quelques mois le sanctuaire, les arrête et les empêche d’atteindre leur lieu de culte. Les « Zebiyas » obéissent. Aucune résistance. Vu le nombre de ces adeptes, et craignant des débordements, la police sollicite un renfort auprès du commissariat installé à la paroisse Rukago. Le soutien débarque immédiatement sous le commandement de son chef de poste, Pierre Claver Nyandwi.

Vers 6 h, les fidèles de Zebiya sont repoussés, petit à petit, jusqu’à Kigarama, un petit centre situé à quelques centaines de mètres du sanctuaire. La police tente de les rassembler. Pour quel motif ? Les fidèles de Zebiya l’ignorent. Subitement, l’un d’eux sort une pierre qu’il avait cachée et la lance contre le chef de poste de police, par-derrière, sur son dos. Scandalisé, le chef de poste donne l’ordre à ses policiers, comme il le confirme lui-même, de tirer en l’air pour disperser la foule. Le chaos commence. Les coups de feu s’enchaînent, des jets de pierres y répondent, un bruit assourdissant, et les premières victimes tombent ! L’affrontement ne dure que quelques dizaines de minutes, mais le bilan est déjà lourd : trois hommes et trois femmes, tous fidèles de Zebiya sont tués. Certains témoignages racontent que des policiers auraient visé directement la tête. De plus, une quarantaine de blessés, dont deux policiers.

Les corps gisent en plein air. À leurs côtés, des blessés ensanglantés. Les rescapés se rassemblent, abattus, sous surveillance policière. La population voisine commence à affluer sur les lieux, de même que les autorités administratives, sécuritaires et judiciaires au niveau régional et provincial. Des images atroces ! Du sang qui coule à côté des cadavres, des blessures graves qui donnent le frisson. Même si une frange de la population en avait marre avec cette histoire de prières, la plupart des habitants de la localité semblent déplorer le comportement de la police qui a tiré à balles réelles sur des personnes sans aucune arme à feu.

Entretemps, une ambulance essaie d’évacuer les blessés vers l’hôpital de Gahombo. La tâche n’est pas facile du tout. Les blessés sont nombreux, certains sont grièvement touchés. Quelques vieilles mamans agonisent. L’opération dure presque tout l’avant-midi. À l’hôpital, le personnel est débordé. La capacité d’accueil est très faible. Tous les lits sont occupés. Quelques-uns ne peuvent même pas entrer à l’intérieur de la salle d’hospitalisation et reçoivent leurs soins à l’extérieur. D’autres sont allongés par terre. L’hôpital n’a pas suffisamment de sang en réserve pour transfuser ceux qui ont beaucoup saigné. Pas d’électricité non plus pour stériliser le matériel médical. Un blessé succombe à l’hôpital. C’est une femme qui a subi une grave hémorragie. Trois autres personnes perdront la vie dans les 24 heures après le carnage. Sur le coup de 14 h, une large délégation débarque à Kigarama, lieu de la catastrophe. À sa tête, Edouard Nduwimana et Gabriel Nizigama, respectivement ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique. Des rencontres à huis clos se tiennent entre autorités locales et les deux ministres. Les autorités tiennent ensuite des discours plutôt fermes.

Tour à tour, les intervenants nient explicitement l’implication de la police dans les violences qui viennent d’avoir lieu. C’est le gouverneur de Kayanza, Athanase Mbonabuca, qui prend la parole en premier : « Nous regrettons les pertes en vie humaine qui ont eu lieu ce matin dans les affrontements entre les adeptes de Zebiya et la population avoisinante. N’eût été l’intervention de la police, le bilan serait encore beaucoup plus lourd ». Un propos appuyé par le ministre l’intérieur: « Vous avez voulu des martyrs, en voici ! Mais qu’ils soient les derniers sur cette colline Businde ».

Edouard Nduwimana, après avoir assimilé les ouailles de Zebiya à la secte nigériane de Boko Haram, ne s’arrête pas là. Pour lui, s’il y a récidive, les adeptes de Businde seront considérés comme une rébellion à combattre comme telle, car, selon lui, « il ne s’agit plus d’une affaire religieuse, mais d’une question sécuritaire ». Toutefois, le ministre de l’Intérieur boucle son propos en souhaitant la mise en place d’une commission d’enquête, pour déterminer les responsabilités des uns et des autres dans ces violences.

La Genèse
Des milliers de fidèles de Zebiya en pleine prière à Businde.

Qui est Zebiya ? Comment est né son mouvement traqué depuis le Burundi jusqu’en RDC ? Retour sur plus d’une décennie retraçant l’histoire d’une jeune fille devenue une célèbre voyante avant de tomber dans la disgrâce des Institutions.

Troisième d’une fratrie de six enfants, Zebiya est, selon les témoignages de ses proches, une fillette comme les autres. Née le 7 novembre 1986, elle mène une vie normale, banale. Rien ne la distingue au départ des autres gamines de la contrée. Zebiya joue, va à l’école, comme tous les enfants. Elle n’aura pas la chance de poursuivre ses études. Ses notes ne le lui ont pas permis.

En troisième année de l’école primaire, elle vire vers l’école catéchiste à la paroisse Rukago. Sa préoccupation: se faire baptiser.

En cinquième année, elle atteint son objectif: elle décroche son baptême au sein de l’Église Catholique. Et sa vie se fait toute dévote. Zebiya est presque au rendez-vous de toutes les messes matinales.

Après la catéchèse, elle enchaîne avec un enseignement professionnel au Foyer de Rukago, sous contrôle des Sœurs « Bene Dorothée ». Elle y apprend la couture. À côté de sa formation professionnelle, sa vie spirituelle s’affermit. Sa dévotion n’échappe pas aux Sœurs.

En 1997, elle est choisie pour préparer une équipe de jeunes qui animeront en permanence par des danses et des chants certaines fêtes religieuses. La mission l’enchante : elle rencontre ainsi son désir profond de partager, de vivre sa foi avec l’entourage. Pour former son équipe, elle ne va pas bien loin : elle recrute dans le voisinage. Un groupe de jeunes filles et garçons est créé.

Tous les après-midis, à partir de 15 heures, les répétitions commencent. Après quelques jours, son programme s’étoffe : en plus des chants, elle y rajoute la prière et la prédication. Zebiya partage désormais ses convictions religieuses avec son équipe. Ainsi se constitue son premier carré de fidèles.

Au fil du temps, le mouvement grandit, les ambitions aussi. Et voilà que le surnaturel s’en mêle. Zebiya a des visions! Elle raconte à ces jeunes qu’elle entend “une voix audible l’exhortant à progresser tout en lui assurant un succès dans l’avenir.” On apprendra plus tard, de la part de Zebiya elle-même, que le message “provient de la Vierge Marie…” Zebiya la dévote change de statut. Elle devient Zebiya “la Voyante.”
Le mouvement vient de prendre une nouvelle dimension. Et rien ne sera plus comme avant. Les jeunes “boostés” par celle qui “ parle avec la Vierge Marie ” sont plus que jamais motivés.

Les rencontres sont encore très localisées et se tiennent sous un avocatier situé à côté du domicile des parents de la nouvelle prédicatrice. Petit à petit, l’histoire de Zebiya la jeune fille de Businde qui “parle avec la Vierge”, fait le tour du coin, puis de la province, enfin du Burundi.

Le soir, dans toutes les familles de Businde, les conversations tournent autour de l’exceptionnelle Zebiya et de ses visions sous l’avocatier prodigieux. La « prophétesse » devient petit à petit influente. Elle commence à faire des tournées dans d’autres groupes de prière du voisinage.

Sa renommée grandit. Elle invite les fidèles à venir prier chez ses parents. Mais ce n’est pas si facile. Sa famille n’a pas une bonne réputation dans le voisinage. On la soupçonne de détenir des pouvoirs occultes. Ses parents ne sont pas non plus très emballés pour permettre de tels rassemblements dans leur maison. Bref, en raison de toutes ces « rumeurs », les fidèles catholiques sont réticents à l’invitation.

Zebiya doit convaincre. D’abord ses parents afin qu’ils permettent ces rencontres de prière dans leur propriété, mais aussi les Catholiques qui manifestent quelques réserves pour venir prier chez elle.
Ses parents finissent par céder. Les chrétiens aussi, mais à une condition : une “purification” doit d’abord être effectuée chez la “prophétesse” pour évacuer tout ce qui fait objet de suspicion. Les objets « douteux » sont tous jetés au feu. Désormais, les prières peuvent s’y dérouler en toute quiétude. Zebiya est très active. Les nouveaux venus ont droit au même « message de la Vierge Marie au travers de sa prophétesse ».

C’est l’âge d’or du mouvement. Zebiya ne cesse de drainer des foules. Colline après colline, zone après zone, plus tard, province après province et, pour finir au-delà des frontières nationales. On vient même de la lointaine RDC pour l’écouter. Businde devient « une Terre sainte » où convergent des pèlerins de tous horizons, et de toutes conditions. C’est là que naîtra également le célèbre rendez-vous du 11 de chaque mois : une rencontre importante à ne jamais manquer pour les pèlerins “ Un rendez-vous souhaité par la Vierge Marie, d’après Zebiya”.

Des réticences malgré tout

Le grand sanctuaire surmonté de la statue « de la Vierge »

Zebiya auréolée par ses visions et ses succès, suscite tout de même des critiques. On la soupçonne de « flirter avec les forces occultes ». Surtout quand elle annonce que la marche en récitant le chapelet prendra pour lieu de départ le fameux avocatier dans la propriété parentale.
D’après les voisins, les pratiques occultes que l’on prête à ses parents se déroulaient sous ce même arbre.
La procession devait s’achever dans une autre parcelle familiale à quelques dizaines de mètres du lieu qui finira plus tard par abriter « le sanctuaire de la Vierge Marie ». Les deux endroits intriguent. Certains adeptes du voisinage vont faire marche arrière. Mais le nombre des “pèlerins” venant des lieux beaucoup plus lointains ne cesse de croître.

De la résistance familiale

2005. Le succès de Businde et ses “pèlerinages” va crescendo. C’est alors qu’éclate un conflit familial concernant le partage de la propriété foncière.

Lambert Bakanibona, un cousin de Zebiya, sera l’un des acteurs majeurs de ce nouveau feuilleton. Lors du partage, la parcelle qui abritait le nouveau sanctuaire tombe dans le camp Buzinginyakamwe, grand-père de Bakanibona. Comme ce dernier le raconte, sa famille, agacée par les bruits des tambours pendant les prières nocturnes, et ces foules qui ne cessent de traverser les champs et piétiner les cultures veulent reprendre le site.

Bakanibona fait savoir à sa cousine voyante qu’il veut y développer la culture d’ananas, que tout rassemblement dans son champ est désormais interdit.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Début 2005, Bakanibona Lambert, ce jeune homme finaliste de l’école secondaire au Lycée Kayanza plante des ananas sur toute la parcelle.

Zebiya et son mouvement obtempèrent pendant quelque temps. Mais vers la fin de l’année 2005, précisément le 31 décembre, les “pèlerins” se ruent de nouveau dans le champ et arrachent tous les ananas du jeune homme.
C’est un casus belli. La nouvelle parvient aux oreilles de Bakanibona le soir vers 18 heures. Il se précipite pour aller vérifier. Il n’en croit ses yeux. Ses plants d’ananas gisent dans le champ. La guerre vient d’être déclarée. Cailloux, bâtons, machettes…tout est rassemblé pour ériger une barricade afin d’empêcher les fidèles d’effectuer leur marche menant au site. Bakanibona demande du renfort à ses frères. 18 h, 19h, 20h, 21 heures, personne n’ose pénétrer dans le site.

La guerre des mots commence. Bakanibona crie à qui veut l’entendre qu’un coup de machette sera la seule réponse à quiconque osera encore prendre son champ d’ananas pour un sanctuaire.

Minuit. La tension est à son paroxysme. Les “pèlerins” veulent à tout prix rejoindre « leur » site. Mais personne n’ose ouvrir la marche pour faire la procession. La prière continue sur place sous le fameux avocatier. 1 heure. 2 heures du matin. D’après les fidèles, c’est à cette heure-là que Umuvyeyi (la Vierge Marie) délivre son message. Ils décident alors de foncer. Telle une attaque militaire, un assaut est lancé. Les deux parties s’affrontent. Les coups de bâtons, de cailloux, de machettes pleuvent. Bakanibona et ses frères mettent en déroute le mouvement. Mais après l’affrontement on compte déjà des blessés et quelques fractures…
Le lendemain, la Justice est obligée d’intervenir. Bakanibona est mis face à ses victimes tandis que les “pèlerins”, eux, doivent s’expliquer sur les ananas arrachés, leur présence nocturne à Businde (certains viennent de loin).

La sentence tombe. Les “pèlerins” perdent le procès. Certains écopent de la prison y compris leur leader Zebiya. Ils seront relâchés quelques jours plus tard. Les rassemblements sur le site sont aussi interdits. Une mesure qui ne fera pas long feu, car avec la fin de l’année 2006 le mouvement se reconstituera.

Un autre incident va provoquer une nouvelle fois le tollé à Businde. Des écoliers refusent de réceptionner du matériel scolaire, don de Pierre Nkurunziza, le chef de l’État, arguant que la Vierge Marie, au travers de Zebiya, leur a interdit de toucher à ces cahiers. Le dossier défraie la chronique. Les images de ces gamins se retrouvent sur les différentes chaînes de télé locales et leurs voix retentissent presque dans toutes les radios. Zebiya est de nouveau arrêtée pour être emprisonnée à la brigade de Kayanza pendant deux mois. À sa libération, elle sera vite conduite à Bujumbura, apprendra-t-on, par certains de ses fidèles.

Rebondissement et déclin

2007. Zebiya est une personnalité publique. Elle n’est plus cette pauvre “ prophétesse ” de Businde que l’autorité locale malmène à sa guise. Elle vit sous protection de certaines grandes familles aisées de Bujumbura, toutes adeptes du mouvement. Elle vient à Businde les 11 de chaque mois. De quoi faire taire les querelles familiales autour de la parcelle qui abrite le sanctuaire. Bakanibona le jeune cousin fait profil bas et n’ose plus affronter Zebiya.

Les ennemis d’hier deviennent des alliés. L’administration, l’Église catholique finissent par reconnaître Businde. En 2008, c’est l’apothéose pour Zebiya: la paroisse Rukago bénit le site et une grande croix y est érigée en signe de reconnaissance. C’est une grande victoire pour la jeune femme. Une route menant au sanctuaire est construite. Un orphelinat est bâti. Tous les 11 du mois, des milliers de fidèles viennent des quatre coins du Burundi, des pays limitrophes et convergent vers Businde. Le succès est à son zénith.

Mais les bonnes relations entre l’Église et Zebiya ne dureront pas longtemps. D’après des témoignages, la « prophétesse » commence à introduire des pratiques qui irritent l’Église: elle proscrit aux fidèles de consommer certains aliments, de porter certaines tenues. Des sources l’accusent d’interdire aux époux de “partager le lit conjugal.”

L’Église catholique prend ses distances. Les relations deviennent petit à petit glaciales pour ne pas dire tendues entre Businde et la paroisse.

La goutte qui a fait déborder le vase sera une mesure relevant de la cuisine interne au sein de la paroisse Rukago. Le curé de l’époque, l’abbé Remy Nsengiyumva, a interdit le port de voile pendant la célébration de la messe. Zebiya et ses fidèles ont refusé d’obtempérer. Et le bras de fer a débouché sur le fameux clash du 21 octobre 2012. Le voile étant une instruction de Zebiya pour ses adeptes.


2012-2017 : les très longues cinq années

En 2012, outre le divorce entre Zebiya et l’Eglise, l’Etat veut en finir avec Businde. Les 6 et 7 décembre de la même année, l’administration locale mobilise la population pour démolir toute construction érigée sur le lieu des prières et saccager tous les objets servant aux fidèles. Le grand podium surmonté de la statue de la « Vierge Marie » est rasé en une soirée. La grande croix qui servait de repère aux nouveaux pèlerins est également abattue. Une fouille autour du site permet la saisie de plusieurs objets et statues avant d’y installer deux positions de police.

2013 est marquée par le bain de sang du 12 mars. S’en suit une vraie chasse aux sorcières des fidèles qui refusent d’abandonner le site. Ils sont systématiquement arrêtés, puis emprisonnés. Zebiya, elle, disparaît complètement de la scène. À Bujumbura, plusieurs sources évoquent sa” fuite”. Où ? Difficile à savoir. Elle est l’une des personnes les plus recherchées du Burundi. 2014 c’est le statu quo. Puis 2015. Le pays sombre dans une grave crise politique dite « du troisième mandat ». Des centaines de milliers de Burundais quittent le pays pour trouver asile dans la sous-région. Les « pèlerins » de Businde partent au Congo au fur et à mesure qu’ils sont libérés. Un départ pour le moins douloureux, surtout dans leurs familles. D’après des témoignages, des femmes s’en vont sans laisser un mot à leurs maris. Des enfants abandonnent les études sans informer les parents pour se volatiliser en RDC.

La dure vie d’exil

Les milliers de fidèles s’installent au Sud-Kivu, principalement dans la petite ville de Kamanyola. C’est la vie d’exil qui commence, avec son lot de challenges. Jeanine (nom d’emprunt), a dû abandonner ses études alors qu’elle était en terminale dans l’une des universités de Bujumbura pour se « consacrer à la prière » d’après ses dires. Emprisonnée depuis 2013, puis libérée en août 2015, elle a vite rejoint les « milliers de fidèles » au Congo. Alors qu’elle était en visite discrète à Bujumbura en 2016, elle témoigne :

« Nous sommes plus nombreux que ce que les gens peuvent croire. Il y a des mamans, des papas, des enfants,…Nous vivons par groupe de quatre, de six,…selon les moyens. Chaque jour, nous nous réveillons à 3 heures du matin. Ceux qui habitent la même maison se rassemblent d’abord pour la prière matinale. 5 heures, il faut être sur la chaîne, une longue file de ceux qui attendent des fermiers à la recherche d’une main-d’œuvre agricole. Les travaux champêtres s’arrêtent à midi. Nous sommes payés 1000 Francs congolais (environ un dollar) par personne et par jour. Ceux qui ont des moyens louent des terres pour cultiver. Il y en a qui ont du bétail déjà et des moyens de transport».

Une vie relativement tranquille donc pour les milliers de fidèles de Zebiya qui passeront deux ans à Kamanyola, priant paisiblement, travaillant dur pour survivre, jusqu’à ce que la mort les retrouve le 15 septembre 2017 pour frapper encore plus fort.

Grande interview/ Zebiya : « Quand je n’aurai plus de visions, je me rendrai »

Depuis plus de quatre ans de flou, de questions et de mystère sur son sort, Zebiya a encore une fois accepté de briser le silence…

Après le carnage du 15 septembre 2017, le nom de Zebiya revient de nouveau sur le devant de la scène. Elle vient de passer plus de quatre ans dans l’anonymat total. Introuvable, ça fait déjà trois ans que j’essaie de la contacter pour cette enquête…en vain. Si certains ignorent où elle se trouve, d’autres se montent méfiants. Il faut faire avec. Ne pas lâcher prise. Espérer toujours.

C’est après ma descente à Kamanyola que je relance une ancienne source connue lors de mes reportages à Businde vivant désormais en exil. Elle est traumatisée, méfiante. Je mise sur la patience. J’insiste. Après plusieurs jours de tractations, elle me connecte à un « intermédiaire » qui me permet de joindre Zebiya qui vit depuis cinq ans cachée, sans téléphone.

Deux semaines après le carnage de Kamanyola, je vais parler à Zebiya, quatre ans après sa fuite du Burundi.
L’interview se passe bien. Elle est calme, sereine.

Au Burundi comme en RDC, vous vivez cachée. Qu’en est-il de votre sécurité personnelle ?

Mauvaise ! Je suis en danger. Jusqu’à présent, je ne suis même pas allée à Kamanyola voir ce qui s’est passé. Aujourd’hui, je suis recherchée par l’État, mais comme l’Église est aussi impliquée, je dois vivre cachée, car l’Église Catholique est partout. Quand je me déplace par exemple, des personnes viennent à ma recherche après mon passage, en provenance du Burundi parfois.

Près d’une quarantaine de vos fidèles viennent d’être tués par des militaires congolais, quel est votre commentaire ?

C’est la persécution qui continue. De toute façon c’était prévisible. Il y avait des problèmes de sécurité des jours auparavant. Ceci a été rapporté par plusieurs médias. Il y avait des gens qui venaient intimider les pèlerins. Et une semaine avant la fusillade, l’administrateur de la localité a déclaré que celui qui sera attrapé en train de prier sera brûlé avec sa maison. Il l’a dit dans des réunions publiques. Pourtant, jusque-là, il y avait une bonne cohabitation entre les habitants de Kamanyola et nous.

Les autorités congolaises veulent que vous retourniez au Burundi. Allez-vous obtempérer ?

Est-ce qu’elles nous ont tués pour que nous retournions au Burundi ? Il y avait moyen de nous refuser l’asile sans tirer sur les gens même si retourner au Burundi c’est se jeter dans la gueule du loup. En réalité nous ne savons plus quoi dire. Le pays qui nous avait accueillis nous tue. Notre propre pays nous pourchasse. Il ne nous reste que la prière.

Votre mouvement n’est plus reconnu par l’Église Catholique quoique vous continuiez à vous définir comme chrétiens catholiques. Pourquoi vous ne demandez pas, ou vous n’avez pas demandé, votre propre agrément au ministère de l’Intérieur comme cela avait été suggéré par le Conseil National de Sécurité dans son communiqué du 19 mars.

L’Église Catholique a dit qu’elle mène encore des enquêtes. Nous attendons toujours les conclusions. D’ailleurs, j’ai beaucoup discuté avec la commission qu’elle avait mise en place. Je suis même restée en contact avec son chef après les tueries du 12 mars 2013 quand j’étais encore à Bujumbura. Il me disait que les enquêtes se poursuivaient. Nous étions toujours dans l’attente des résultats. Nous avions beaucoup d’espoir. Et on ne nous a jamais dit publiquement qu’on nous excommuniait. Et puis, même si vous ne pouvez pas le comprendre, nous ne sommes pas une religion. Il s’agit d’une mission divine. Et quand Dieu m’envoyait, c’était au sein de l’Église Catholique même. C’est-à-dire que je ne peux pas fonder une religion. Ce n’est pas ce que Dieu m’a demandé de faire.

Se réclamer de l’Église Catholique et refuser d’obéir à sa hiérarchie n’est-ce pas contradictoire ? Je pense aux premiers incidents d’octobre 2012, quand vos fidèles ont rejeté l’ordre de la paroisse Rukago qui exigeait à toutes les femmes catholiques de ne plus porter de voile pendant la messe…

Quand j’étais encore petite, il y a ce que l’on appelait « agasombantambara » (un casus belli) qu’on collait au front. Y toucher en premier équivalait à une déclaration de guerre et c’était des coups de poing qui pleuvaient. Et cette histoire de voile c’est exactement pareil. Le curé de l’époque nous insultait beaucoup avant l’incident des voiles du 21 octobre 2012. Mais il a été clair d’après ce qui a été rapporté dans les médias que c’était un coup qu’il avait préparé à l’avance. Les Écritures le disent aussi. Dans « Corinthiens », elles demandent aux femmes de se voiler, à part que c’est aussi dans la culture burundaise. Moi j’ai grandi voyant ma mère voilée. Jusqu’à aujourd’hui, elle n’a pas changé. Le problème, le curé ne nous a pas réunis pour nous expliquer pourquoi nous ne devrions plus porter nos voiles. À rappeler que ce n’était pas une directive de toute l’Église Catholique, mais plutôt circonscrite à la paroisse Rukago. Le curé cherchait tout simplement des accusations à nous coller. Il n’avait trouvé rien d’autre à nous reprocher.

L’évêque de Ngozi vous accuse de manipuler les Saintes Écritures pour vous rebeller…

Nous respectons la hiérarchie au sein de l’Église Catholique. Personnellement, j’ai été élevée par des chefs de l’Église, des prêtres et des sœurs. J’étais comme leur enfant. Même quand j’étais persécutée par l’État, l’Église me soutenait avant 2008-2009. Nous ne sommes pas rebelles. Mais quand Dieu parle, tu dois Lui obéir.

C’est Lui qui a créé les chefs de l’Église et des gouvernements. Surtout que son message est d’ailleurs souvent destiné à ces mêmes autorités. Et je ne peux pas dire « Non » à cette mission. Tout ce qu’elles me demandaient qui n’est pas contraire à la volonté divine j’obéissais toujours. Mais je ne peux pas écouter quelqu’un qui veut que je ne fasse pas ce que Dieu m’a dit de faire.

Votre mouvement interdit à ses fidèles de consommer certains aliments, de porter certaines tenues…n’y a-t-il pas des excès dans vos pratiques ?

En 2003, nous avons été accusés dans les médias de ne pas manger de petits pois, des légumes, du sel, de l’huile… Nous ne savions pas d’où venaient de telles rumeurs. C’était une autre forme et une continuité des persécutions. Il fallait fomenter des choses à nous coller sur le dos. Seulement, depuis les années 90 quand nous avons commencé à recevoir des visions, celles-ci nous empêchaient de continuer à prier les idoles et à consommer la nourriture sacrifiée à elles. Avec une certaine Dévote, une amie d’enfance, nous avons fait le tour de toute la paroisse en brûlant des objets idolâtres et, effectivement, nous disions aux gens d’arrêter de manger ce qu’ils y avaient sacrifié. Ceci créait des conflits dans les familles dont les enfants ou les mamans qui prient à Businde refusaient de manger cela. Mais cette époque, les chefs de l’Église qui étaient tout près de moi voyaient bien que je consommais tout, sans distinction. C’est pourquoi ils n’ont pas porté beaucoup d’intérêt à ces accusations.

Vous interdisez par exemple à vos fidèles de toucher aux boîtes de conserve…

Nous avons reçu un message clair venu du ciel nous prévenant de l’utilisation des puces électroniques que l’on implante dans le corps humain et qui permettent de contrôler l’humanité, ce qui attirerait des problèmes à notre foi et constituerait un danger pour l’avenir. Le message a été donné entre 2010 et 2011. Ceci a poussé à des gens à faire des recherches sur la provenance de ces puces électronique. Ils se sont informés en regardant des films, en lisant des livres et ils ont trouvé que l’un des moyens par lesquels viennent ces puces électroniques sont les boîtes de conserve. Et les fidèles ne les consomment pas non pas parce qu’ils détestent le contenu, mais plutôt par prudence de ce que cela pourrait cacher.

Vous auriez aussi empêché les personnes mariées de partager le lit conjugal…

Il n’y a jamais eu d’ordre pour exiger aux couples de divorcer. Mais effectivement nous nous sommes rendu compte qu’il y a des couples en difficulté, pas à cause de Businde. Il s’agit plutôt des foyers dont la femme prie seule, sans son mari, ou vice versa. Ils sont souvent en désaccord sur certaines pratiques. Parfois ils finissent par se séparer. Le problème n’est pas le fait de prier parce que Dieu nous demande de vivre dans l’amour et la paix. Faire sa vie avec quelqu’un qui ne prie pas, c’est toujours difficile. Sinon, n’eût été le mariage, moi aussi je ne serais pas née. Mes grands frères et sœurs sont mariés. Et ils vivent paisiblement.

Cela fait plus de deux ans que vos fidèles sont en RDC. Des jeunes ont abandonné l’école. D’autres ont quitté leurs maris ou leurs femmes et vous ont rejoint sans un mot aux leurs. Savez-vous que certaines familles vous en veulent aujourd’hui?

Il faut avoir l’intelligence et pouvoir discerner les choses. Moi j’ai fui avant les autres. Quand il y a eu des manifestations à Bujumbura, des Burundais ont vu que le pays brûlait et ont également quitté le pays. Ceux qui priaient à Businde ont pris la direction du Congo parce que c’est là où ils avaient des amis. Parmi eux, il y a des femmes qui ont été envoyées par leurs maris. Le problème, c’est que ces derniers les ont abandonnées.

Ils ont coupé la communication alors qu’ils devraient continuer à les aider jusqu’à ce qu’elles rentrent. Pour les jeunes écoliers et élèves, ils ont été chassés de l’école les uns après les autres sur de fausses accusations quand ils étaient encore au Burundi. Pour éviter qu’on en fasse encore un prétexte pour nous accuser d’avoir empêché les enfants d’étudier, j’ai pris les enfants que j’encadrais à Businde et je les ai mis dans une école à Bujumbura. Mais ils ont fini par être renvoyés parce qu’à un certain moment je ne pouvais plus payer leur minerval. Ils ont fui avec les autres en avril 2015 et sont venus au Congo. Tous vont à l’école sauf un seul qui est resté au Burundi. Pour dire que ne pas aller à l’école n’est pas leur choix, mais plutôt une des conséquences des mauvaises conditions de vie en exil.

En évoquant les débuts de vos prières, les voisins à Businde dénoncent les pratiques occultes dans lesquelles vos parents auraient trempé et font une liaison avec vos visions…

Mon père est mort quand j’étais encore très petite, je ne l’ai pas beaucoup connu. Mais ce que j’ai vu de mes propres yeux est qu’il n’y avait pas des idoles chez nous. Mes parents allaient à la messe comme tout le monde. Ils étaient de simples chrétiens. Et cette histoire de pratiques occultes est venue après pour déstabiliser les gens. Quand nous avons commencé à prier, personne n’en parlait. J’ai même entendu à la radio des gens qui disaient des mensonges comme quoi on m’a tiré de l’enfer ( ikuzimu). Si on accuse mes parents d’être des païens, ils devraient savoir que Dieu est venu pour les pécheurs et non pour les croyants.

Votre famille baignait dans l’occultisme, dit-on. D’ailleurs, avant de venir prier chez vous, les voisins auraient exigé que toutes les idoles soient brûlées…

C’est faux. J’ai déjà dit que nous avons été les premières à brûler les idoles dans toutes les maisons du coin, voire au-delà de la paroisse Rukago. Qui pouvait nous exiger quoi que ce soit alors que presque tout le monde n’était pas encore converti pour croire en Dieu?

Zebiya reçoit toujours des visions ?

Bien sûr ! Le jour où je n’aurai plus de visions, tout sera fini. Et je me rendrai.

Depuis que vous êtes en RDC, beaucoup d’informations circulent sur votre personne. Il y en a qui disent que Zebiya s’est mariée…

Je ne comprends pas pourquoi les gens se posent ce genre de questions. Moi j’appartiens à Dieu, je fais ce qu’il me demande de faire. Que ce soit être marié ou se consacrer entièrement ( Kwihebera Imana). Je demande tout simplement qu’on n’entre pas dans ma vie privée, qu’on me fiche la paix.

Après cette interview, Zebiya est retournée à son anonymat.

Analyses/ Des institutions défaillantes
Des juges burundais en pleine audience publique

De la Justice à la Police, le mouvement “Zebiya” permet de jeter un regard critique sur plusieurs institutions burundaises qui se sont illustrées par leurs défaillances…

Le 12 mars 2013, après la fusillade de Businde, le ministre de l’Intérieur clôture son propos en suggérant une enquête judiciaire « pour voir s’il n’y aurait pas eu violation des droits de l’homme, ou si la loi n’a pas été piétinée dans ces affrontements ». Il demande également « aux chargés de la sécurité, de la justice, de vérifier si peut-être dans ces combats, il n’y aurait pas des gens qui auraient abusé de leurs pouvoirs ».

Trois jours plus tard, le 16 mars, le procureur général près la Cour d’appel de Ngozi ordonne l’arrestation de trois policiers, Bosco Havyarimana, le commandant de police et deux autres agents, Syldie Nsengiyumva et Innocent Nizigiyimana. Ils sont remis en liberté provisoire le 29 mai de la même année.

Non seulement il n’y aura pas de rapport d’enquête comme l’a demandé le ministre de l’Intérieur, mais les présumés bourreaux de Businde ne seront jamais jugés.

En revanche, il y aura des procès express contre les prosélytes de Businde. Arrêter, faire comparaître, condamner et emprisonner, le tout en une journée, devient le modus operandi de l’administration, la police et la Justice. Une méthode simpliste qui envoie des centaines de fidèles en prison.

Le constat de plusieurs observateurs sera que les magistrats ont bâclé leur travail, que la Justice burundaise n’a pas de quoi pavoiser.

La police sur la sellette

Après le bain de sang du 12 mars 2013, des policiers au regard sévère

Toujours le 12 mars 2013. Neuf personnes meurent. Abattues. En pleine journée, des policiers tirent à balles réelles sur des civils sans défense. Dans l’opinion, le débat sur les capacités de la police nationale à assurer la sécurité est relancé. Le massacre de Businde est une goutte qui fait déborder le vase. L’institution est déjà sous le feu des critiques. Elle est accusée d’avoir la gâchette facile, d’être à la solde du parti au pouvoir, le CNDD-FDD, cité dans de nombreux cas de bavure et d’exécutions. Un élément joue aussi en sa défaveur: nous sommes en pleine campagne de la “ police de proximité” qui suppose plus de rapprochement avec la population. Il lui est donc impossible d’échapper au test de professionnalisme. L’épreuve de Businde est un échec à cet égard.

Pourquoi ? Esdras Ndikumana, correspondant de Radio France Internationale au Burundi, donne une réponse intéressante dans son article paru dans le magazine mensuel d’Iwacu du mois de mars 2013. Extrait :
La police nationale du Burundi, la PNB, est née de l’accord de paix d’Arusha. La PNB, telle qu’on la connaît aujourd’hui est une émanation de l’accord pour la paix au Burundi, signée en 2000 à Arusha. Jusqu’à la fin 2004, la fonction de police est assurée par l’armée à travers la gendarmerie, la Police municipale à Bujumbura, des polices communales. Sans oublier certaines organisations, la JRR durant «l’Ikiza de 72 (La Grande Catastrophe de 72, NDLR) » ou la milice des Gardiens de la paix durant la guerre civile. Puis les accords de cessez-le-feu entre le pouvoir de Bujumbura et les différents mouvements rebelles issus de la communauté hutu, surtout le principal, le CNDD-FDD sont venus compléter ce texte fondateur.

Fin 2004, le président de transition Domitien Ndayizeye signe le décret portant création, organisation, composition de la PNB. Du jour au lendemain, on assemble plus de 20.000 hommes issus, – tenez-vous bien – de 7 anciens mouvements rebelles -, ainsi que l’ancienne Police municipale, de la Gendarmerie, de la PAFE, de la Police judiciaire… On leur donne un uniforme bleu, car ils ont déjà une kalachnikov à la main et plein de chargeurs, puis on les « lâche » au sein de la population pour assurer l’ordre.

De nombreux observateurs considèrent, à l’époque, que le pouvoir et les ex-rebelles du CNDD-FDD n’ont pas envoyé leurs meilleurs hommes dans ce nouveau corps. Il s’agit, côté rébellions surtout, de jeunes Hutus recrutés fraîchement, et qui ont tout juste appris à marcher « au pas cadencé », dans un des nombreux sites de rassemblement, sous protection des Casques bleus de l’ONU, qui préfèrent fermer les yeux. Car les meilleurs combattants sont incorporés dans l’armée. Souvenez-vous alors de nombreux élèves, domestiques, paysans qui désertent écoles, champs, travail, pour aller s’enrôler. Autre tare de naissance : tous ces nouveaux policiers, dont une bonne partie sait à peine lire et écrire, [est] sans aucune formation.

Contrairement à ce qui se passe alors dans la nouvelle armée du Burundi, la Force de défense nationale (FDN), où l’on va intégrer les nouveaux venus dans l’ancienne armée, les Forces armées du Burundi (FAB), bien formées, plutôt disciplinées malgré de nombreuses bavures durant la guerre civile, la PNB est donc un nouveau corps, sans moyens, sans tradition et qui doit travailler tout de suite au sein de la population, alors que la guerre contre la dernière rébellion du Palipehutu-FNL se poursuit.

La laïcité en question
Edouard Nduwimana, ministre de l’Intérieur, en costume bleu ciel, prononce son discours devant les rescapés et la population de Businde.

A Businde, devant les rescapés de la fusillade policière, Edouard Nduwimana, ministre de l’Intérieur, accuse Zebiya de “ se convaincre de prier Dieu”, qualifie « ses apparitions » de ” mensongères ” et les “ pèlerins” de “ soi-disant fidèles”. Il appelle les victimes « des martyrs », compare les fidèles à la secte nigériane Boko Haram. Un propos religieux pour gérer une “affaire d’État ”. Et c’est loin d’être gratuit. Le discours du ministre est en réalité un arbre qui cache la forêt. « Dieu », les versets bibliques, sont depuis quelque temps à la mode dans les discours officiels où religion et politique sont mêlées. Foi et res publica se côtoient constamment au risque de se confondre. Une attitude troublante, surtout chez les défenseurs de la laïcité, un principe consacré par la Constitution: « Le Burundi est une République unitaire, indépendante et souveraine, laïque et démocratique… » (Article 4).

Effectivement au Burundi, « la liberté de pensée, de conscience, d’expression et d’association en matière religieuse » est garantie. Du moins sur papier ! (Article 27 de la Constitution). Zebiya et ses adeptes ont, normalement, le droit de croire en ce qu’ils veulent. C’est en partie cela la laïcité. Un pilier même de notre démocratie. Une jeune démocratie qui, hélas, titube encore .

Depuis 2005, le pays vit au rythme des croisades « évangéliques » organisées par le président de la république en personne. De hauts dignitaires y sont conviés. Les moyens de l’Etat sont engagés. « Par croisade, c’est une affaire de 187 millions de Francs Burundais (environ 111 000 dollars) tirés des deniers publics pour une activité mentionnée nulle part dans le budget », alertait déjà fin 2016 l’Observatoire de la lutte contre la corruption et les malversations économiques (OLUCOME), une des organisations de la société civile burundaise. Assez suffisant pour se questionner sur le sens accordé à « l’autonomie de l’Etat vis-à-vis de la religion », un autre fondement de la laïcité.

Toute cette confusion aura des conséquences fâcheuses, surtout à Businde. D’aucuns trouvent que l’inflexibilité du mouvement Zebiya aurait été nourrie par cette rhétorique religieuse des autorités, elle-même issue de cette interdépendance Etat-religion. Enfin, que pouvait être le plaidoyer des fidèles à part démontrer qu’ils sont victimes d’une persécution orchestrée par l’Etat lui-même ? Pierre Nduwayo, un rescapé du 12 mars 2013, affirme que “ le discours du ministre de l’Intérieur est une preuve que le carnage était prévu”. Qu’” Edouard Nduwimana a maintenant à faire avec Dieu”. Audace Nzoyisaba, un autre fidèle, va plus loin : « le ministre ne savait peut-être pas ce qu’il disait. Quand j’ai vu cela, je me suis dit que c’était la volonté de Dieu qui s’accomplissait. Le ministre de l’Intérieur sera, je l’imagine, dans l’avenir éclairé pour comprendre la teneur des mots qu’il a prononcés ce jour ».

Nduwayo, Nzoyisaba, tout comme d’autres adeptes de la voyante se sont sentis attaqués sur ce qu’ils ont de plus cher : leur foi. La réaction a été de se replier sur soi, engager un bras de fer, voire de se battre, ce qui a conduit à des scènes de violence, avec tous les dégâts humains, matériels et sociaux qui en ont découlé.

Traduction libre du discours du ministre de l’Intérieur le 12 mars 2013 à Businde

Je voudrais remercier le gouverneur de la province Kayanza pour son discours d’accueil et la façon dont il vient de nous résumer ce qui s’est passé récemment sur cette colline de Businde en commune Gahombo.

Nous étions déjà au courant de pas mal de choses. Dès que nous avons reçu ces informations, en tant que ministre de l’Intérieur avec celui de la Sécurité Publique, le gouvernement nous a envoyés pour voir ce qui s’est passé ici, cette catastrophe qui vient de surgir. Nous voudrions d’abord présenter nos condoléances à toutes les familles qui ont perdu les leurs ici. C’est douloureux. Voir six cadavres ici sur cette colline de Nyagatobo Businde, avec des blessés c’est vraiment regrettable, c’est même un malheur pour le pays, un malheur pour cette colline, un malheur pour les familles.

Le gouvernement vous présente ses condoléances et nous saisissons de cette occasion pour demander aux autorités locales et aux agents de sécurité de donner les noms de ces personnes pour que les leurs puissent venir récupérer les corps.

Le deuxième message concerne les causes de perturbation de la sécurité sur cette colline de Nyagatobo Businde.
Ce n’est pas pour la première fois que nous nous exprimons. Là où il y a quelqu’une, dit avoir des apparitions, qui se convainc de prier Dieu. Quelqu’une qui dit que les messages de la Vierge Marie passent à travers d’elle. Mais avec le temps, nous découvrons que cette histoire est bourrée de mensonges. Nous avons déjà dit que le site de Nyagatobo Businde est fermé. Même les autorités administratives et les agents de sécurité y ont mis une position pour la sécurisation. C’est pour montrer que ce lieu est protégé et qu’il est interdit d’y aller pour toute prière. L’Église Catholique, à laquelle vous réclamez l’appartenance, s’est déjà prononcée disant que ces prières que vous faites ici n’ont rien à avoir avec celles de l’Église Catholique. Aujourd’hui vous dites que vous venez recevoir un message ici à Nyagatobo Businde, au travers d’Euzébie qui n’est même pas ici. Vos arguments ne tiennent pas. Vous voyez les choses qui sont en train de se dérouler ici.

Pire, vous semblez venir préparés au combat. La plupart ici: femmes, hommes, vous portez trois pantalons. Les femmes vous portez des jeans sous vos jupes. Vous venez avec de la nourriture pour tenir longtemps. Visiblement, vous ne venez pas pour prier, mais pour perturber la paix et la sécurité. Nous voudrions le répéter au nom du gouvernement, ce n’est pas la question de foi ni de l’Église Catholique, c’est une affaire sécuritaire. Car, lorsqu’il est déjà arrivé de tels dégâts dans un endroit, le gouvernement ne peut pas s’abstenir. Sauf si vous voulez devenir des Boko Haram du Nigéria. Et le gouvernement ne peut pas s’abstenir pour ça. Je voudrais, avant de continuer, demander s’il y a parmi vous un représentant. Qu’il se lève d’abord.

Qui est votre représentant? Qui est votre représentant? (après 5 secondes) (personne ne se lève)! Comment se fait-il que des gens aussi nombreux puissent se rassembler sans représentant? Vous ne voyez pas que c’est pour perturber la paix et la sécurité? Vous ne voyez pas que votre mouvement a pris une nouvelle tournure? Car parmi vous se cachent de nombreux malfaiteurs. Des gens viennent avec des gourdins. On nous a même dit qu’il y en a parmi vous ceux qui viennent avec des fusils, vous qui dites que vous venez pour prier. Les signes sont réels ici: les gourdins et les pierres qu’on vous a surpris avec. Personne, comme le gouverneur l’a dit, ne va prier Dieu, implorer Dieu avec un gourdin. Quel est ce Dieu que vous priez? On vous a déjà dit que ce lieu est fermé, normalement une personne qui respecte Dieu respecte l’administration et la loi. Et vous, vous priez quel Dieu? Nous voudrions vous le dire encore pour la dernière fois, les martyrs que vous cherchiez, vous avez dit que vous cherchez des martyrs qui tomberont ici, vous venez de les avoir. Que ce bain de sang soit le dernier sur cette colline. Qu’il soit le dernier! Les martyrs que vous cherchiez, en voici ! Le drame s’est produit. Nous voudrions vous dire que le gouvernement ne peut pas s’abstenir pour des gens comme vous, car vous êtes la source d’insécurité, des pleurs dans les familles, des douleurs partout dans le pays.

Nous remercions les autorités administratives de la commune Gahombo pour leur patience. Elles ont supporté l’insupportable. Nous remercions aussi les forces de l’ordre pour leur attitude depuis le début de cette affaire, jusqu’à installer une position ici. Nous leur remercions de la manière dont elles se sont comportées jusqu’aujourd’hui.

Nous voudrions annoncer à ceux qui viennent de différentes régions : de Ngozi, Kirundo, Karusi et Gitega. Au sein de l’Église Catholique, ils prient beaucoup la Vierge Marie. Approchez vos Eglises respectives, vous aurez le même message. Puis par ailleurs, même celle qui était supposée vous transmettre ce message a fini par disparaître, elle s’est enfuie. Elle s’est vue démasquée par les habitants de cette colline qui savent désormais qu’il n’y a pas d’apparition de la Vierge Marie ici. Nous voudrions alors vous donner ce message, et vous demander tous de regagner vos ménages. Mais encore nous avons demandé qui est votre représentant et vous n’avez montré personne. Nous allons solliciter à la Justice de suivre de près cette question, d’identifier les meneurs pour être jugés.

En outre, il faut que des enquêtes soient menées pour voir s’il n’y aurait pas eu violation des droits de l’homme, ou si la loi n’a pas été piétinée dans ces affrontements. Nous demandons aux chargés de la sécurité, de la justice, de vérifier si peut-être dans ces combats, il n’y aurait pas des gens qui auraient abusé de leurs pouvoirs. Nous voudrions alors, Excellence Monsieur le ministre de la Sécurité, vous demander de dire un mot à ces gens qui s’autoproclament des «gens de la prière» (abasenzi), je pense qu’ils s’autoproclament puisqu’ils ne le sont pas. Moi ce n’est pas pour la première fois que je m’exprime devant eux, maintenant c’est pour la troisième fois. C’est votre tour de leur faire comprendre, au nom du gouvernement, que ce lieu est fermé, que celui qui vient ici c’est pour perturber la paix et la sécurité des habitants de cette commune, des habitants de cette colline.
Je vous remercie.
Que Dieu vous bénisse.

De la liberté de culte

Face à l’interdiction de l’administration, aux emprisonnements de la Justice, aux matraques et aux kalachnikovs de la police, Zebiya et ses fidèles ont toujours brandi le bouclier de la liberté de culte. Elle a été l’argument phare de toutes les voix qui se sont levées pour défendre Businde. Parmi les plus retentissantes : celle de Charles Ntagwarara, un magistrat expérimenté (ancien procureur de la République à Gitega et procureur général près la Cour d’appel de Ngozi avant d’être au secrétariat permanent du Conseil Supérieur de la Magistrature). Il a, à maintes reprises, signé plusieurs articles dans la presse locale, pour « défendre la cause de Businde et demander l’arrêt des persécutions dont sont victimes les pèlerins». Il a même écrit une lettre au numéro un burundais, puis à l’évêque du diocèse de Ngozi. Dans une interview qu’il m’a accordée, l’intellectuel est revenu effectivement sur la question de la liberté de culte. Extrait :

Comment avez-vous rejoint le mouvement de Businde ?

J’ai posé pour la première fois mon pied à Businde en 2008 sur invitation d’un ami. C’était pour prier, mais aussi par curiosité. Mon ami m’avait dit que sur ce site, la Vierge Marie apparaît aux fidèles. Je n’ai pas été déçu, pour la première fois j’ai entendu sa voix au travers de la prophétesse “Eusèbie”.

Que disait-elle ?

Rompre avec les péchés qui sont d’ailleurs nombreux dans ce pays. On assiste à des meurtres, à l’avortement, il y a des vols, etc. Elle invitait les chrétiens à se repentir, à aller à la messe. Dans ce pays nous prétendons être des chrétiens pratiquants, des églises sont toujours bondées de fidèles, mais la foi manque.
Vous êtes parmi les intellectuels qui vont prier à Businde. Certains vous taxent d’être même les vrais “cerveaux” de ce qui se passe sur cette colline…

Moi j’ai commencé à fréquenter Businde en octobre 2008. Les apparitions publiques, elles, ont débuté en 2004. Ensuite, les apparitions se font à ciel ouvert, le message se délivre en kirundi. Et puis nous avons une date, le 11 et le 12, c’est la Vierge Marie qui nous a donné cela, personne n’a besoin de passer par qui que ce soit. En quoi ceux que vous qualifiez d’intellectuels joueraient un quelconque rôle dans ça ? Puisqu’il n’y a aucune structure. Nous sommes des chrétiens catholiques. Je rappelle que j’ai servi comme membre du conseil paroissial de la Cathédrale Regina Mundi de Bujumbura pendant quatre ans.

Par ailleurs, partout où la Vierge Marie est apparue, elle passait par des gens modestes non pas ceux qui se disent être “intellectuels.” Ne soyez pas surpris si vous voyez qu’elle n’est pas apparue à Monseigneur l’évêque de Ngozi ou une autre autorité. Et quand moi je vais là-bas, c’est pour écouter le message de la Sainte Vierge. C’est tout. Et c’est un privilège pour moi. Et personne, je dis bien personne, y compris les pouvoirs publics, les lois de ce monde, ne pourront m’en empêcher.

Vous êtes un homme de droit. L’administration locale a sorti une décision vous empêchant de fréquenter Businde. Mais vous continuez à y aller. N’est-ce pas une faute répréhensible pour ne pas parler de rébellion ?

Je vais répondre sur les deux : à la décision administrative et à la rébellion qui est une infraction prévue par le Code pénal burundais. J’ai eu l’occasion de répondre à ces questions en audience publique et j’ai gagné le procès. Qu’on ne vienne pas tromper l’opinion. La fameuse décision ne nous a jamais été communiquée en tant que pèlerins. Une lettre adressée à Eusèbie Ngendakumana, en quoi peut-elle m’engager ? Est-ce que j’ai été informé de cette décision ? Ensuite, une décision d’un gouverneur de province peut-elle peser lourd à côté d’une loi ? La Constitution de la république du Burundi, la loi fondamentale, garantit la liberté de culte.

S’ils veulent que la liberté de culte ne soit plus garantie, qu’ils y consacrent une loi. Quant au mot « rébellion », ceux qui nous dirigent aujourd’hui savent vraiment ce qu’est une rébellion. Qu’on ne vienne pas violer la conscience de nos magistrats, on ne peut pas parler de rébellion à Businde. Un rebelle c’est quelqu’un qui va attaquer avec des armes à feu ou avec des armes blanches.

Mais vous avez été surpris avec des armes blanches (des cailloux) le 12 mars 2013 ?

Et vous avez cru à ce discours ? Les crimes contre l’humanité qui ont été commis le 12 mars 2013 se sont passés à quelques kilomètres du sanctuaire, au centre de Kigarama. Les pèlerins rentraient. À cet endroit, c’est de la terre rouge. Il n’y a pas de cailloux. S’il y en a eu dans cet endroit, ce ne sont pas les pèlerins qui les ont amenés. C’est peut-être pour des gens qui érigeaient des caniveaux là-bas. Cette histoire des cailloux est une invention. En droit, pour parler d’infraction, il y a trois éléments qui doivent être réunis : éléments matériel, légal et intentionnel. Pour l’élément matériel, ces pèlerins devaient avoir aussi des armes par exemple, comme les kalachnikovs dont disposaient les policiers. Pour celui intentionnel, ces pèlerins avaient l’unique intention d’aller s’agenouiller sur le site de Businde pour contempler le Seigneur Jésus descendre sur les nuées au travers de l’hostie. Quand un seul élément des trois manque, on ne peut pas parler d’infraction. Donc, il n’y a pas de rébellion.

Les instances de l’Église Catholique ne vous reconnaissent plus. Sous quelle couverture juridique vous réunissez-vous à Businde ?

Ça c’est une nouvelle information. L’Église a mis en place une commission d’enquête. On ne peut pas juger des gens avant la publication de ses conclusions. Nous sommes des chrétiens catholiques. Nous nous réunissons comme tous les autres le font au travers des fraternités. En plus, le décret du 25 janvier de 1983 publié par Sa Sainteté le Pape Jean Paul II reconnaît le droit de publier, d’imprimer, de répandre tout ce qui relève du surnaturel.


La liberté de culte a (mal) heureusement des limites

Agglomération d’églises au Burundi

Rien à redire. La liberté de culte est un droit reconnu par la Constitution, Cfr le fameux article 27: « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion et de culte dans le respect de l’ordre public et de la loi. L’exercice du culte et l’expression des croyances s’effectuent dans le respect du principe de la laïcité de l’Etat ». Le débat est-il clos pour autant ? Loin de là. La liberté de culte est en effet l’un des droits que les Burundais jouissent le plus largement possible. Le pays, à 92,7% chrétien dont 65,7% sont catholiques et 27,6% protestants d’après l’Observatoire de la liberté religieuse, compte des centaines d’Eglises. Les Musulmans (1,4%) se réunissent sans problèmes.

Une bonne note donc, loin d’être ébréchée par Businde. Autant la liberté de culte est garantie, autant faudrait-il lire tout l’article que la consacre. L’Église Catholique a déclaré ne plus reconnaître Zebiya et ses adeptes. Sur quelle base légale Businde pouvait-elle continuer à défendre son existence ? Le communiqué du Conseil national de sécurité du 19 mars 2013 a été on ne peut plus clair : « Si elle [ Zebiya] veut continuer ses prières, elle est libre de créer une association ou une église conformément à la loi, comme l’ont déjà fait de nombreuses associations dans ce pays ».

Et quid « du respect de l’ordre public… » ? A maintes reprises, des habitants de la commune Gahombo ont vu leurs champs détruits, piétinés par les prosélytes de la voyante dont la présence à Businde, qui se soldait parfois par des émeutes, était devenue synonyme de tapages nocturnes. Des familles se sont disloquées. Des enfants sont devenus rebelles à leurs parents,… Fallait-il fermer les yeux et laisser-faire ?

Des gens ont même craint la naissance d’une nouvelle secte. C’est une peur fondée. Les symptômes que présente Businde se sont déjà vus ailleurs. En France par exemple, il existe depuis 1982 l’« Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victime de sectes », l’UNADFI. Cette dernière a même fait un manuel qui lui permet de détecter un mouvement sectaire sur bases des critères précis comme « la manipulation mentale (endoctrinement, contrôle de la pensée, mise sous dépendance, pressions). Une destruction de la personne, de la famille qui comprend entre autres éloignement imposé ou suggéré, rupture de la relation parents-enfants, séparations, divorces induits,…et enfin destruction de la société. Le tout mêlé d’une escroquerie intellectuelle, morale et financière ».

Que dire alors de la destruction des couples survenue après la fréquentation de Businde par l’un des conjoints, de ces écoliers qui n’écoutaient plus leurs parents, de tous les cas d’abandon scolaire ? Que penser de cette histoire de « puces électroniques » soulevée par Zebiya elle-même, une « information », digne des amateurs des théories conspirationnistes…

Somme toute, ma crainte est de voir Businde devenir l’exemple parfait de ce qui ne doit jamais être la liberté de culte au Burundi.

Communiqué du Conseil National de Sécurité sept jours après la tragédie du 12 mars 2013

Ce mardi le 19 mars 2013, le Conseil National de Sécurité a tenu sa réunion ordinaire sous la Présidence de Son Excellence Monsieur le Président de la République et Président du Conseil National de Sécurité.
À l’issue de cette réunion, le Conseil National de Sécurité communique ce qui suit :

1) Après avoir fait le tour d’horizon de la situation sécuritaire qui prévaut dans le pays, le Conseil National de Sécurité constate avec satisfaction que la paix et la stabilité règne sur tout le territoire national grâce à la synergie des forces de défense et de sécurité, de l’administration, de la justice et de la population qui se sont investies sans relâche pour maintenir la sécurité des personnes et des biens établis sur le sol burundais.

2) Cependant, le Conseil déplore les cas de violence essentiellement liés à la consommation des boissons prohibées qui ne cesse de causer des dégâts humains dans certaines provinces du pays notamment dans les provinces de Kirundo et Ngozi.

Sur ce, le Conseil recommande que ces mauvaises habitudes soient bannies et exhorte la population à vaquer au travail au lieu de s’adonner à ces pratiques aussi périlleuses que répréhensibles.

3) Le Conseil déplore également les pertes en vies humaines enregistrées au cours des démêlées de Businde.
À cet effet, le Conseil national de sécurité recommande que des enquêtes soient rapidement menées dans l’impartialité totale, et non sous la coupe d’une quelconque pression. Les résultats de ces enquêtes détermineront les responsabilités des uns et des autres dans cette affaire et les coupables devront être punis conformément à la loi.

4) Par ailleurs, le Conseil national de Sécurité regrette qu’il y ait encore aujourd’hui des Burundais qui se plaisent à violer la loi sans état d’âme, c’est notamment le cas d’Euzébie et ses adeptes. À notre connaissance, Euzébie n’est plus reconnue par l’Église Catholique qui est son église mère. Si elle veut continuer ses prières, elle est libre de créer une association ou une église conformément à la loi, comme l’ont déjà fait de nombreuses associations dans ce pays.

Face à cette situation, le Conseil recommande que « Euzébie et ses adeptes » soient considérés comme des hors-la-loi jusqu’à ce qu’ils changent de tir et rentrent dans la légalité. Le Conseil rappelle que la liberté de culte s’exerce dans le respect des lois nationales.

Le Conseil National de Sécurité profite de cette occasion pour demander au Gouvernement de sévir contre tout autre groupuscule illégal afin de maintenir l’ordre public et renforcer la sécurité et l’état de droit.

5) En outre, le Conseil est informé qu’il y a des personnes hôtes qui abusent de l’hospitalité leur offerte pour se procurer illégalement certains documents de voyage comme le passeport ou la Carte d’Identité Nationale du Burundi, sans avoir préalablement reçu la nationalité burundaise.

Ainsi, le Conseil national de Sécurité en appelle à la vigilance des autorités administratives et de la police pour dénicher tous les cas similaires et les traduire en justice.

6) Le Conseil National de sécurité décourage toutes les tentatives de poursuites d’exploitation des minerais et autres pierres précieuses qui entravent les activités de remblaiement. Le Conseil recommande au Gouvernement d’assurer un suivi régulier en vue de faire respecter les mesures récemment prises dans ce domaine afin d’éviter toute tricherie éventuelle.

7) Enfin, le Conseil National de Sécurité a analysé le Projet de la Stratégie Nationale de Sécurité. Celle-ci permettra au Gouvernement d’aborder et de traiter toutes les menaces à la sécurité de manière complète en assurant la synergie des efforts de tous les intervenants du secteur de sécurité. Le projet de ce document a été apprécié par le Conseil.

Néanmoins, il a recommandé que ledit document soit enrichi par les contributions émises par le Conseil national de sécurité avant d’être analysé par le Gouvernement pour adoption.

Fait à Bujumbura, le 19 mars 2013
Pour le Conseil National de Sécurité
Col. Prime NGOWENUBUSA
Secrétaire permanent.


Post-scriptum : Businde, une grande leçon pour un jeune journaliste

“L’affaire Zebiya” m’a beaucoup marqué. J’ai aimé et détesté mon métier. Le 12 mars 2013, quand les fidèles de la voyante se font massacrer à Businde, correspondant du journal Iwacu dans le nord, je suis parmi les premiers journalistes à arriver sur les lieux du drame, juste quelques heures après les tirs de la police.

À Kamanyola, le 15 septembre 2017, je débarque à nouveau une semaine après le drame. Là encore, je pense avoir été le premier journaliste burundais sur les lieux. Je trouve un climat lourd. Kamanyola est encore une zone rouge. Infréquentable.

Lors de ces deux moments clés, la violence m’est tombée “sur la gueule”. Brutalement. Je n’y étais pas du tout préparé. Et puis, peut-on être vraiment préparé à un tel déferlement de violence ? Dans ces cas, je crois que chacun essaie de gérer comme il peut. Il n’y a pas de manuel…Que dire en effet à une femme qui agonise devant tes yeux ? À un enfant aux entrailles éventrées par les balles et qui se vide de son sang ?

À Businde, je me souviens, j’errais parmi les morts et les blessés. Je m’accrochais, tel un naufragé, à mon pauvre carnet et mon enregistreur. L’appareil photo en bandoulière, je papillonnais d’un corps à l’autre. Puis, la peur au ventre, j’ai fixé ces moments. J’ai pris des photos terribles que j’ai du mal à regarder des années plus tard.
J’ai pris mon courage à deux mains. À Businde, comme à Kamanyola, j’ai essayé malgré mon désarroi et ma tristesse de faire mon métier. J’ai relaté la peur, l’angoisse, la douleur des “ pèlerins”, mais aussi leur courage.

Pourchassés par les autorités, “brebis égarées”, rejetées par l’Église, souvent honnies par leurs “frères fidèles à l’Église catholique romaine et universelle”, incompris par le public, j’ai raconté, dans mes papiers, leur désespoir dans les prisons, dans les maisons où ils vivent cachés. Mais c’est dur, traumatisant de parler avec des gens dévastés.

Devenus très méfiants, ils m’ont fait confiance. Ils m’ont pris un peu pour leur porte-voix. C’est une des forces du journalisme. Mais c’est aussi une grande responsabilité.

“L’affaire Zebiya” n’a cessé de me mettre dans des situations inconfortables, voire risquées. Le 12 mars 2013 à Businde, je me suis retrouvé presque seul, perdu sur une colline qui fumait encore de la poudre des kalachnikovs, nez à nez avec des policiers tendus qui venaient de tirer sur des civils désarmés. Mais j’ai tenu. J’ai approché les agonisants, les cadavres. J’ai pris des photos. Dévasté. Ce baptême par le feu, sans jeu de mots, m’a mûri, m’a armé, “blindé” pour la suite.

Quatre ans plus tard, en septembre 2017, je me suis rendu à Kamanyola, seul dans l’immense Congo, sans aucune connexion téléphonique, encore moins internet. À la frontière congolaise, j’ai été interrogé sans ménagement par des gens en civil sans savoir leur statut. Complètement à leur merci. J’ai été fouillé, mon téléphone scruté, traîné dans tous les bureaux de l’immigration, interrogé sur la présence de mes deux malheureuses cartes sim. Pourtant, dans ces contrées, les réseaux téléphoniques étant souvent capricieux, posséder deux cartes sim est une pratique courante pour avoir un numéro de “dépannage”. J’ai cru que je n’allais pas m’en sortir vivant. Le carnage de Kamanyola était très suivi, couvert par la presse internationale. Les “agents” sur les frontières étaient très nerveux.

Finalement, la police m’a laissé rentrer dans Kamanyola. Je me suis demandé si elle me laisserait repartir…Mais les sourires des rescapés qui venaient de m’accueillir, malgré le choc, ont mis un peu de baume sur mon cœur. J’ai compris que notre métier est certes dangereux, dans toute cette sous-région, mais aussi c’est un métier noble. Un journaliste est un vecteur d’espoir. Ces rescapés terrés, traumatisés, se sont soudain sentis moins seuls.

Car Bujumbura n’a pas brillé par sa compassion envers les victimes. L’histoire retiendra le silence assourdissant des autorités burundaises. Elles qui, des jours plus tôt, s’étaient proclamées solidaires de Paris, Barcelone, Nice, Zaventem, plus tard du Texas, et de toutes les villes occidentales victimes d’attaques et d’attentats meurtriers. Rien! Bujumbura n’a pas été “Kamanyola”. Aucun mot de compassion pour les rescapés du carnage de Kamanyola. La CCIB FM+, une radio locale qui a tenté d’en parler, de dénoncer cette omerta institutionnelle, a vu sa voix étouffée par le Conseil national de la communication, un organe de l’État, qui a suspendu ses émissions pendant trois mois. Son rédacteur en chef a été évincé par la suite. Il est en fuite depuis.

Les adeptes de Zebiya après avoir enterré leurs morts sont de nouveau retombés dans l’oubli dans l’Est de la RDC. Ils n’envisagent pas de retourner au Burundi.

Pour ma part, j’ai décidé de rester journaliste. Malgré tout. Un métier devenu à haut risque au Burundi. Le souvenir de mon collègue Jean Bigirimana hante encore les esprits. Il a été enlevé alors que l’on venait de passer 10 jours de formation ensemble au Rwanda. Mais je veux toujours m’y accrocher. Car je garde espoir de revivre un jour un Burundi apaisé. Pour faire du journalisme en toute indépendance.

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Forum des lecteurs d'Iwacu

24 réactions
  1. Vyizigiro

    C’est la cadence de l’Eglise Catholique. Il est telle qu’elle était et elle sera ainsi. Elle ne veut pas encore voir des mouvements sortant d’elle. Le protestantisme de Luther, le Calvinisme et l’Anglicanismes l’ont assez blessée. Elle cherche maintenant se réconcilier aux protestants plutôt que voir un autre mouvement tenter sortir d’elle; malgré ces fautes innombrables.

  2. yves

    ils ont le droit de mener une vie religieuse de leur choix , les persécuteurs s’exposent à des condamnations pour crimes contre l’humanité ! laissez les en paix pratiquer leur religion !

  3. Laisse Zebiya en paix ,de toute façon ,c’est Dieu qui a le pouvoir de jugé l’humanité

  4. ndimwiza murhonyi Emmanuel

    je suis fortifié en lisant ce message, Nous vivons encore sous le joung de la colonisation des noirs contre les noirs, Le plus grand combat que nous devons mener c’est de chasser l’impérialisme de l’intérieur et espérer contruire des Etats indépendants en Afrique, du Nord au sud, de l’est à l’ouest, Nous devons construire une pensée unique, plusieurs idéologies peuvent proliférer en Afrique mais sache que nous menons un combat générationnel et un projet d’ensemble doit s’imposer…

  5. Didicov

    Merci a l’auteur de l’article. Courage M. Bukeyeneza. Pour ceux qui n’ont aucune compassion pour les fidèles de Zebiya, je vous plains . Ceux qui tirent sur Zebiya…pourront tirer sur vous ou vos enfants, ou vos parents, ou vos amis.
    Qu’on le veuille ou pas : l’histoore retiendra qu’Entre Zebiya et Nduwimana L’un était le bourreau l’autre la victime. Choisissez votre camps!!

  6. Ngabo

    @ Gacece
    J’aimerais savoir en quoi vous êtes diplômé et à quel niveau. Vous osez poser un diagnostic de trouble psychiatrique (schizophrénie) sans avoir vu ni entendu le patient, sans avoir administré un seul outil diagnostique…Cela relève du « miracle ». Je connais d’éminents psychiatres qui ne s’y risqueraient jamais. En passant, si vous n’êtes pas médecin mais que vous posez des diagnostics, cela s’appelle « usurpation de titre » et c’est puni par la loi chez vous. Prudence!

    • Gacece

      @Ngabo
      Je n’ai posé aucun diagnostic!… Mais cela ne prend aucun diplôme à quelqu’un pour savoir qu’« une personne qui entend des voix dans sa tête pourrait être atteinte de schizophrénie! »

      Remarquez que c’est elle-même (et elle seule) qui les entendait… même en présence des autres (ses adeptes)… Alors où se trouvait la source de ces voix?… Nulle part ailleurs que dans sa tête! Sinon les autres auraient aussi entendu!

      « On ne peut pas entendre quelque chose qui est en dehors de sa tête, sans qu’elle puisse être entendue par les autres personnes qui sont présentes au même moment au même endroit! »

      Conclusion : Tout le monde entend des voix… dans sa tête!

      Le problème, c’est quand on se persuade (et qu’on persuade les autres) que ces voix appartiennent à quelqu’un dont personne ne peut reconnaître la voix… Parce qu’il n’y a aucune référence d’origine : personne n’a encore entendu la voix de la Vierge-Marie, et par conséquent, personne ne peut affirmer sans l’ombre d’un doute qu’il s’agit d’elle qui parlait!

      Cher @Ngabo, si vous entendez la voix d’une femme dans votre tête, comment pouvez-vous affirmer que c’est celle de la Vierge-Marie? Parce que la voix elle-même vous l’a dit?

      D’accord! Mais alors… Demandez à cette voix de vous prouver qu’elle ne ment pas!

      Rien à cirer de vos diplômes! Moi j’y vais avec le bon sens! Et je crois que si je passais ne fut-ce qu’une trentaine de minutes avec votre dame illuminée, elle pourrait commencer à douter de ses croyances… Quitte à me considérer comme un envoyé du diable qui tente de la détourner de sa foi!…

  7. ntsimbiyabandi

    Dans cette histoire de Businde et Kamanyola, j’essaie de comprendre le rôle des fidèles de la Cathédrale Regina Mundi de Bujumbura, des intellectuels surtout de l’ancien establishment. Mon hypothèse est qu’ils ont changé de tactique de garder le pouvoir ne fût-ce que symbolique. On les retrouve dans les associations de la société civile, on les rencontre dans les nouveaux mouvements religieux, ils sont plus visibles dans les mouvements charismatiques ou dans certaines structures consultatives de l’Eglise quand ils ne fondent pas leurs églises. En tout cas, comment ne pas remarquer cette conversion (brusque) de tant de Saül en Saint Paul. La Commission Vérité Réconciliation saura en tirer profit ; comme du temps de Saint Paul ils témoigneront. En attendant, je garde ma conviction que c’est l’instrumentalisation du fait religieux pour des motifs d’accès ou de maintien au pouvoir. En effet, la religion est partout et cela confirmerait cette assertion: « le 21 siècle sera religieux ou ne sera pas ». Et les utilitaristes savent en tirer profit!

  8. Zebius

    La liberé religieuse oui, la pagaille non! Je doute fort que ce mouvement de zebianisme soit guidé par le Saint Esprit, cet esprit de rebellion, de combat et d’affrontement ne vient que du diable. Si c’était possible j’aurais souhaité que « la voyante » soit examinée pour voir si elle n’a pas de troubles mentaux. Ce qui me chagrine dans cette histoire ce sont ces vies humaines qui continuent de se perdre pour des convictions malfondées venant d’une personne qui devrait se faire soigner au lieu d’être suivie. Ce qui est encore regrettable c’est que ce journaliste essaie de montrer que le zebianisme est innocent et que les autorités sont des bourreaux seulement. Oui, la police a trop exagéré dans l’usage de la force mais comment pouvons nous évaluer l’impact négatif qu’un tel mouvement peut avoir sur un pays? Pourquoi tant d’actes provocatifs de la part d’un mouvement « venant » de la « Vierge Marie »????

  9. Uwimana J

    Saisissant!!! Une mine d’informations autour du mystère « Businde ». Merci beaucoup Gilbert-Armel!!! Ce travail est très intéressant. Cherches aussi du côté du Rwanda, j’ai entendu dire que ceux qui se trouvent là-bas sont maintenant organisés et se rencontrent régulièrement.
    Le journalisme est un métier passionnant mais qui comporte des dangers car on se trouve beaucoup affecté(j’en sais quelque chose moi-même étant journaliste.
    Bon courage et bonne continuation

  10. Rurihose

    Merçi Iwacu et son journaliste Phare.
    C est un article complet.
    Merçi aussi de relever que des hautes autorités Burundaises organisent des croisades. évangéliques où elles prétendent qu’elles ont parlé ou ont été choisies par Dieu.??
    Suivez mon doigt??

  11. Akanyoni katagurutse

    J’ai lu attentivement votre récit/reportage qui est d’aill Excellent et précis! Deux choses ont attiré mon attention, vous confondez énormément le principe de laicitÉ et la liberté religieuse, deux notions qui sont extrêmement différentes ( je peux vous recommander avec plaisir, un jeune burundais, enseignant – chercheur dans une Université parisienne, spécialiste de la laïcité en Afrique)
    La deuxième remarque concerne votre dernière partie dans laquelle vous semblez y mettre bcp de passion dans le récit pour influencer le lecteur. Votre métier consiste à raconter un récit avec neutralité, Etre le « porte-voix des sans voix », c’est mettre à la face du monde ce qui est caché pour que chacun se fasse une idée, sans passion…
    Évidemment ces quelques remarques ne remettent pas en cause la qualité de votre reportage qui est extraordinaire et saisissant.

  12. Gacece

    Elle entend une ou des voix et elle dit que c’est la Vierge-Marie!

    Comment elle sait que c’est elle? C’est sa voix qui lui a dit : « Je suis la Vierge Marie »?

    N’importe quoi!

    La Schizophrénie est caractérisée par des hallucinations auditives. Elle a juste besoin d’une bonne thérapie de choc!

    • Kwizera

      Pourquoi autant de condamnation vraiment. Alors Jésus, Marie, Elie,Moise et tout spirituel communiquant avec le divin qui se manifeste à travers maintes façon et tout les personnages de la Bible sont schizophrène , car ils ont eu des hallucinations mais qui comportait un message vrai. L’amour et la compassion inconditionnel même pour ceux que l’on ne comprends pas 🙂 C’est une belle thérapie de choc aussi pour nous non schizophrène 🙂 Urukundo rumwe

      • Gacece

        Oui! oui! Causez toujours! Alors comme cela, nous tous qui sommes des enfants de Dieu, avec qui Il a le pouvoir de communiquer aisément, il préfère passer par quelqu’un d’autre pour nous livrer son message? Au lieu de nous le dire directement?

        Je ne vous empêche pas de croire en ce qu’elle vous dit, ni de la suivre si vous en avez envie! Mais pour moi, laissez-moi aussi mon choix de remettre en question ce qu’elle prétend!

  13. Nyota

    A la lecture de cet article, je tiens à souligner le professionnalisme qui caractérise ce jeune journaliste. Mille bravo.
    Comme il le dit bien, un tel travail d’investigation ne peut pas laisser son auteur indemne. Cher Bukeyeneza, il est temps que tu prennes soin de toi. J’imagine que dans le cadre de votre métier il y a une prise en charge psychologique prévue pour vous aider à évacuer ce stress et traumatisme.

    • Armel-Gilbert Bukeyeneza

      Bonjour cher Nyota,

      Effectivement c’est difficile. Mais on s’en remet. Donc ni mitende ubu. Une occasion pour moi de remercier vous tous qui appréciez ce travail.

      Armel-Gilbert

  14. niyibigira

    « omne agens agit propter aliquem finem » d’ où tout acte humain est motivé par une fin, nous dit J. de FINANCE. Mes sincères remerciements à M. Gilbert A. BUKEYENEZA, tu as dévoilé la vérité malgré les conséquences,je t’encourage et je suis inquiet de mes frères et soeurs Burundais qui sont en exil alors qu’on se nomme Chrétiens et un pays laïc,nous voulons la paix la justice et la Liberté comme la stipule notre constitution. Mes condoléances à toutes les victimes de toute sorte. Tôt ou tard la vérité sera au beau jour.

  15. SIEMPRE HAGURUKA

    La laïcité n’existe plus au Burundi. Toute pensée divergente au système en place n’a plus sa place. Mtn, vivre en couple hors mariage est passible d’emprisonnement, tout cela montre jusqu’où veut aller ce système. celui qui a une idée contraire n’aura sa place soit en prison ou enterrée. voilà ce qui nous attend. c’est dommage et désespérant ce qui nous arrive…
    bravo à la relève d’iwacu qui se dessine déjà… bravo à la plume…

  16. Ininahazwe

    Très intéressant votre récit…merci bcp à vous cher Mr Bukeyeneza…juste une question, que sont devenus les 4 prisonniers de Kamanyola? Sont-ils toujours détenu à Uvira ou ont-il été « déportés » au Burundi? Du reste, je vous souhaite du courage dans votre noble métier!

  17. Eddy Patrick

    Merci pour ce recit, oh combien instructif et professionnel!
    Je retiens et je partage votre ESPOIR exprimé dans la dernière phrase de votre PS, celui de revoir la renaissance d’un Burundi nouveau, apaisé. Merci pour cette plume qui porte la voix des sans voix, des persécutés, …

  18. Un ami d'IWACU

    Merci Monsieur Bukeyeneza,
    Vous êtes l’incarnation du courage et de l’amour de votre métier. Je suis personnellement heureux d’avoir lu votre reportage qui est très poignant, riche en information et de surcroît bien fait. Je demeure surpris par la foi de ces personnes qui ont abandonné leur vie pour se consacrer à vouloir changer l’humanité par la prière et la foi dans les apparitions de la Sainte Vierge. J’ose croire que ce ne sont pas des affabulations collectives. En tout cas ils méritent au moins de vivre en paix et pouvoir prier tranquillement.
    Je vous souhaite une brillante carrière journalistique.

  19. CLAUDIO

    Merci bcp.

  20. Starfish

    Un grand merci à Mr. Bukeyeneza. Personellement je ne savais pas grand chose sur Businde mais vous venez de m apprendre bien des choses. Du courage dans votre metier. Que Dieu vous garde, être journaliste au Burundi…yes vous avez besoin de protection divine.

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