Mercredi 30 octobre 2024
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Sébastien, la mémoire de Kizi

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Sébastien, la mémoire de Kizi

16/01/2017
Roland Rugero et Antoine Kaburahe Images : Martina Bacigalupo, photographe indépendante

Cinq dates marquées derrière la porte. La lumière d’une torche éclaire cinq traînées d’encre rouge : « Personne ne sait la signification de ces chiffres. Ils me rappellent qu’à cinq reprises, la mort m’a rendue visite », murmure Sébastien*, 59 ans.

Sébastien, Hutu, veuf, éleveur et agriculteur, visage vif, dans lequel on lit des choses dites et d’autres tues… Il a noté toutes les attaques. « La première, celle 29 mars 1995. Ce matin-là, les militaires tout être humain sur leur passage sur les colline de Kizi », raconte Sébastien qui perdra sa mère et un de ses fils. Le millier de familles vivant alors à Kizi est presqu’exclusivement hutu, « les rares Tutsi ayant rejoint les sites de déplacés par peur des massacres comme ceux de 1993 ».
Parmi les militaires en opération ce mercredi de mars 1995, des civils qui tuaient et surtout pillaient, des déplacés tutsi du camp de Gitaramuka (Karusi). Les massacres feront « deux cent morts » selon les décomptes des habitants de Kizi, qui procèdent à l’enterrement des leurs quelques jours .
Moins d’un mois après, le 20 avril 1995, les rebelles attaquent Sébastien, soupçonné d’être de mèche avec l’armée et les déplacés de Gitaramuka. Le veuf parvient à échapper à la mort. Il survivra encore à trois autres attaques.

Bien des années après, le calme est revenu à Kizi. Ce père de famille de six enfants, se dit prêt à témoigner devant la CVR. « L’essentiel, c’est que les auteurs des différents crimes qui ont endeuillé notre pays soient connus, reconnaissent leurs crimes, se repentent et demandent pardon. Sinon, le pays risque de retourner dans la guerre ! Moi-même, j’ai perdu des membres de ma famille, mais je ne suis pas en train de demander justice. »
Pour lui, il faut restaurer la confiance: « Vous autres qui vivez à Bujumbura, vous avez été à l’école, votre conception de la justice repose sur la punition (uguhana). Très différente de la culture du Burundi des bananerais (mu rutoke), celle que nous avons hérité de nos ancêtres. Eux ne punissaient pas physiquement les criminels, mais ils annonçaient à la communauté les noms de ceux qui ont commis un crime ».
D’après Sébastien, le criminel était mis au ban de la société. Lors des fêtes, on lui servait son vin à part, dans un pot cassé. Il était couvert d’opprobre. S’il venait s’excuser devant l’assemblée, les sages lui prescrivaient, selon la gravité de son crime, une amende. Puis il était réintégré dans la communauté.

On ne punissait pas physiquement celui qui avait tué, et surtout, on ne le tuait jamais. « Wihora uwawe ukamara umuryango »- « Tu te venges de la mort du tien, et tu décimes ta [propre] famille », confie Sébastien dans un large sourire. Pour lui, seul le pardon met un terme au cycle de violence.

Buta, « unis dans la mort »
Buta, Monument des Martyrs de la Fraternité, province Bururi

« Cette matinée du 30 avril est triste et sombre… Il fait froid », raconte l’abbé Zacharie Bukuru, assis à la terrasse d’un petit immeuble situé non loin du séminaire du même nom. L ‘endroit attire des hôtes qui viennent de loin, de d’Europe, des Etats-Unis : « Même le deuxième vice-président a passé une nuit ici », souligne-t-il, avant de nous renvoyer vers son livre-témoignage sur la tragédie qui a frappé son établissement.

Lors de l’attaque , Zacharie Bukuru est Recteur du petit séminaire de Buta, dans le diocèse de Bururi : « Buta dérangeait parce qu’il prenait le contre-pied des positions extrémistes des deux bords qui ne considéraient plus possible la cohabitation pacifique… Tel était probablement l’espoir des assaillants : séparer les élèves et armer les uns pour qu’ils aillent tuer les autres ».

L’attaque a été menée à partir de « 5 h et demie du matin par près de deux mille assaillants », se souvient l’abbé Bukuru. Caché « sous une natte traditionnelle », il a été sauvé par une serrure bloquée et une porte qui ont résisté aux assaillants.

Mais les rebelles sont parvenus à s’introduire dans le dortoir des élèves du cycle supérieur, où 85 jeunes séminaristes « se tortillent de peur sous leurs petits lits de 85 cm de largeur ». Dans un premier temps, raconteront les témoins rescapés de la boucherie, les rebelles du CNDD-FDD tirent dans le tas, avant de lancer : « Sortez du dessous des lits et rangez-vous. Les Hutus ici, et les Tutsi là ». Refus des élèves de se séparer.

Alignés plus tard contre un mur du dortoir, toujours unis, une femme parmi les assaillants tirera de rage dans le groupe, avant que l’on ne jette parmi ceux qui restent une grenade. « Les rebelles resteront dans ce dortoir quatre heures durant pour achever les agonisants et piller leurs pauvres effets », décrit l’abbé Zacharie.

Bilan du massacre : sur les 400 pensionnaires, 43 élèves seront tués. La majorité des séminaristes a pu à s’enfuir aux premières heures de l’attaque. Une soixantaine seront blessés et hospitalisés.

Sur les lieux, on y a construit un sanctuaire dédié aux Martyrs de Buta, « perçu par tous ceux qui y viennent, Hutu et Tutsi, comme un lieu de grâce pour les personnes qui désirent être guéries des blessures de notre histoire », témoigne l’abbé Zacharie. Trois ans après le massacre, il s’est retiré dans la vie monastique. Pour lui, « fondamentalement, la vérité doit être établie. Elle guérit au moins à moitié. Puis, que ceux qui ont tué répondent de leurs crimes : il faut une punition, une réparation, de quelque manière que ce soit », avant de conclure que la plus grande leçon de Buta reste le pardon.

Teza, morts dans les effluves de thé
Teza, usine de thé, Province de Muramvya

Une jolie trace de fumée blanche s’élève du vaste hangar dans lequel des turbines tournent, alors que des sacs de thé sont chargés, que les ouvriers entrent et sortent, que les oiseaux chantent la beauté de cet après-midi paisible. Nous sommes à Teza.

En 1996, dans certains ménages des cadres de l’usine, des déplacés tutsis avaient trouvé refuge dans l’espoir d’être protégés par les militaires positionnés là-bas.

Le 3 juillet 1996, Rénovat* avait été de garde la nuit à l’usine. A 6 heures moins le quart, les rebelles [Hutu] encerclent toute la colline de Teza, et les tirs commencent : les postes militaires stationnés à l’usine ne tiennent pas face à la digue humaine d’hommes armés. Ils tuent tous sur leur passage.

« L’usine employait des Tutsi [auxquels il faut ajouter les déplacés] ainsi des Hutu [notamment comme grooms chez les cadres des lieux]. Après l’attaque qui a duré plus d’une heure, les rebelles ont pillé des sacs de thé, puis tenté d’emporter un coffre-fort qui, vu son poids, s’est retrouvé jeté au milieu de la route pendant plusieurs jours », raconte Rénovat.

Plus de 70 personnes seront enterrées, quelques jours dans le cimetière de Bukeye. On dénombrera plus de 100 morts et enlèvements [très majoritairement Tutsi].

Selon Rénovat, une stèle en carreaux blancs en hommage aux disparus de Teza sera construite vers 2000. De là partira chaque année une procession religieuse de recueillement en mémoire du massacre organisée par la direction de l’usine, « une tradition respectée jusqu’en 2005. Après, on n’a plus refait ce pèlerinage. Sans raison apparente », assure Rénovat, qui aura perdu une trentaine de personnes de sa famille élargie, tuées par les rebelles.

Ferdinand, un des rescapés tutsi s’interroge : « Mais qui resterait, si on décidait de punir les criminels ? » et puis conclut-il, « punir n’est pas la solution, car cela appelle la vengeance, et le pays deviendrait invivable. »

Aujourd’hui, les enfants Tutsi, Hutu et Twa jouent ensemble à Teza. Les habitants des parages traversent même sans crainte la forêt de la Kibira naguère fief des rebelles. De l’usine, la région offre un panorama d’une beauté à couper le souffle…

Pour les «combattants de la liberté»
Monument pour les combattants du CNDD-FDD, province Bubanza

En provenance de Bujumbura, c’est sur la route qui mène à l’hôpital moderne de Mpanda, à quelques centaines de mètres de l’établissement. Sur le bas-côté de la route goudronnée, une arche en branches de palmiers ceint une grande croix en béton enduite de chaux. Il y est marqué Ntihica ubwoko hica ubutegetsi bubi (Ce n’est pas l’ethnie qui tue, mais un mauvais pouvoir).

Sur les gerbes de fleurs déposées le 8 janvier dernier, d’autres écrits : « Abarundi isinzi tuzoguma twibuka abiguze urugamba rwa demokarasi »- (Une foule de Burundais se souviendra pour toujours de ceux qui se sont donnés pour la lutte de la démocratie.)

Mais que s’est-il passé ce 8 janvier 1997, célébré chaque année depuis quelques années par une forte délégation du parti de l’aigle ? Pas facile de recueillir les témoignages. L’histoire apparemment gêne. Pas facile d’évoquer une lutte fratricide parmi les rebelles. Les passants regardent ailleurs quand on leur pose la question, ou baissent les yeux, ou vous rétorquent qu’ils n’en savent rien.

Un jeune homme originaire de Mpanda répond, tout de même : « Nous entendons dire que ces combattants du Cndd-Fdd ont été tués pour des raisons de régionalisme alors qu’il y avait des luttes de pouvoir au sein de leur mouvement ».

De l’autre côté de la route, un agriculteur du coin indique que, d’après ce qu’il sait, « ce sont les combattants de Léonard Nyangoma qui ont tué, sous ordre de celui-ci, leurs frères d’armes au motif qu’ils ne venaient pas de Bururi et qu’ils ne le servaient pas ».

Des détails de plus ? On vous renvoie au chef du Cndd-Fdd dans Mpanda, qui lui-même vous aiguille vers la Permanence nationale du parti. La réponse est claire, après soumission de la question à qui de droit : « Au niveau de notre parti, nous attendons la mise en place de la Commission Vérité et Reconciliation pour savoir ce qui s’est vraiment passé! » Le ton est poli et ferme…

Aux « Héros de la Démocratie » ou le symbole d’un gâchis
Mausolée de Ndadaye, Bujumbura

On ne peut pas le rater. C’est le premier monument que le visiteur découvre à l’entrée du centre ville. Toutes ces tombes, proprement alignées dans ce vaste espace ouvert, rappellent que l’histoire récente du Burundi est violente.

Une place de choix a été donnée au premier d’entre eux. Le président Melchior Ndadaye. Son buste sculpté trône au dessus des tombes de ses camarades de lutte qui seront assassinés dans les heures qui suivent la mise à mort par les militaires du premier président démocratiquement élu du Burundi.

Se dire que toutes ces personnalités ont été assassinées (le Président de l’Assemblée Nationale, des ministres, …) presque en même temps, a quelque chose d’effrayant. En quelques heures, le Burundi a perdu des leaders politiques et plongé dans la guerre civile qui durera plus d’une décennie.

Ce monument est le symbole d’un gâchis. L’entrée en démocratie de notre pays avait été saluée par le monde entier. La campagne électorale de 1993 s’était déroulée sans heurts notables. La passation du pouvoir entre le président Buyoya et son challenger, Melchior Ndadaye, sans fausse note, sous des invités admiratifs. Le Burundi avait-il enfin tourné le dos à ses démons ? On parlait déjà de « modèle burundais. »

L’illusion a duré à peine trois mois. Melchior Ndadaye ne sera resté au pouvoir que cent jours à peine.

Chaque année, les institutions du pays à commencer par le Président ou encore les représentations diplomatiques en place à Bujumbura viennent s’incliner devant le monument.

Le 21 octobre est aussi une triste date pour de nombreuses familles. Dans la foulée de l’assassinat du président Ndadaye et ses proches collaborateurs, de nombreux tutsi, surtout à l’intérieur du pays ont été assassinés. Les représailles de l’armée seront toutes aussi terribles contre les populations hutu, alors que Bujumbura verra des meurtres commis au grand jour, balkanisé seront les ethnies.

Le 21 octobre a ouvert une parenthèse sanglante dont le Burundi se relève péniblement. Et à la vue de cette place, des questions surgissent, restent :

– Qui sont les auteurs de cet assassinat ?

– « … »

– Pourquoi l’a-ton assassiné ?

– « … »

– Comment expliquer le bain de sang qui a suivi l’assassinat du Président Ndadaye, emportant des dizaines de milliers de vies humaines ?

– « … »

– etc.

Itaba , indifférents « au monument »
Monument pour les civils tués, Itaba, Province de Gitega

Rien ne montre que l’endroit évoque la mort de 275 personnes. Rien . Autour des deux dalles en béton armé, soutenu par trois colonnes surmontées par une croix, de l’herbe sauvage. Des détritus ici et là. Et, pour narguer la symbolique, du linge sèche sur la haie qui entoure en partie le monument.

Ici, personne ne semble croire vraiment dans le monument construit en 2005 sous l’impulsion de Jean Minani (alors président du Sahwanya Frodebu en pleine campagne électorale). « C’est un geste purement politique » dit la population du coin.

Car « ce monument aurait dû être construit à Kanyonga, là-même où 175 personnes ont été tuées de sang froid par l’armée régulière en 2002 », souligne Tharcisse*, un des habitants de la commune Itaba.

Rappel des faits : c’était un lundi 9 septembre 2002, les combats entre les rebelles du Cndd-Fdd et les Forces Armées Burundaises faisaient rage dans la localité de Kanyonga et dans les environs. « Vers 10 heures, les habitants de la sous-colline Ngoma fuient leurs habitations à cause des échanges de tirs, très violents.

Généralement, lorsque les rebelles s’installaient dans une région, la population se retirait pour ne pas pâtir de combats qui pouvaient éclater avec les militaires de l’armée régulière. Sauf que les gens de Ngoma étaient restés quelques jours avec les rebelles, avant que ces derniers quittent la localité le 7 septembre ». Ils vont le payer cher.

Les forces de l’ordre, à la poursuite des rebelles, tombent sur les colonnes de gens qui fuient : « Peut-être qu’ils les ont pris pour des assaillants… », tente d’expliquer Tharcisse, avant d’ajouter, laconique, « pourtant, il y a avait parmi ces personnes rencontrées, des enfants, des femmes allaitant, des vieillards… ». Les militaires ne feront pas de quartier. 175 tués, d’autres qui parviennent à fuir, les maisons en paille de Ngoma brûlées.

La construction de ce monument sur les colonnes duquel on marquera le chiffre 275 de victimes honorées (les 175 personnes tuées de Kanyonga, plus une autre centaine qui avaient péri depuis 1993), a été vécue donc comme « une imposition » par la population des lieux.

Mais pour Tharcisse, « la négligence du monument s’expliquerait aussi par le fait que, traditionnellement, chez les Burundais, nous n’avons pas la culture du respect des restes d’un mort, fut-il un proche. Parfois, les monuments ne nous disent rien… Car le plus important pour la population, c’est la levée de deuil définitive, qui permet à ceux qui vivent encore de passer à autre chose ! »

Pendant ce temps, une poule picore studieusement au pied du monument d’Itaba. Dans l’indifférence totale.

Gitega, à toutes les victimes au Burundi
Monument pour toutes les victimes, province Gitega

Tout autour, un enclos de barres verticales aux couleurs du pays, vert, blanc et rouge. A l’intérieur, une pelouse bien entretenue, des allées en dalles de pierre montent vers ce monument aux six arcs surmontés par une coupole renversée, de laquelle montent un arsenal symbolisant les armes qui ont servi à verser tant de sang des Burundais, « depuis 1965 à nos jours » affirme le gardien des lieux.

Toute la panoplie de la mort est là : kalachnikov, machette, gourdin, arc et flèche… Les avis sont partagés. Pour certains visiteurs, toutes ces armes créent un malaise. « On n’aurait pu trouver mieux » dit un passant. « Il faut que ces armes nous rappellent tout le mal » rétorque un autre.

Impossible de savoir comment la population environnante accueille ce monument construite sur le flanc d’une colline située non loin du centre-ville de Gitega, car il n’a pas été officiellement inauguré.

De retour à Bujumbura, un visiteur du Burundi qui l’a vu à travers les grillages ne se retient pas : « Placer un monument qui symbolise le Plus Jamais Ça, la réconciliation nationale dans un enclos n’est peut-être pas une bonne idée. Cela crée un sentiment d’enfermement, alors qu’il devrait être justement ouvert à tous, accessible à toute personne à l’image de la paix et de la liberté célébrées… »

Dans un article consacré par Iwacu au monument alors qu’il n’était encore qu’en construction, Pacifique Nininahazwe, délégué général du FORSC faisait part de son scepticisme : « …Avant de réparer, il faut d’abord connaître les victimes et leurs bourreaux. Il faut également instaurer un tribunal spécial pour sanctionner les commanditaires des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et de génocide. » Par ailleurs, pointait-il, « on ne peut pas construire un monument qui rassure tous les Burundais sans consulter les autres partenaires ».

Avis que ne partageait pas Philippe Nzobonariba, secrétaire général du gouvernement : « C’est l’initiative d’un gouvernement responsable qui estime qu’il est temps d’ériger quelque chose qui symbolise la souffrance des Burundais. […] Les deux mécanismes de justice transitionnelle (Commission Vérité et Réconciliation, Tribunal Pénal Spécial) prennent beaucoup de temps parce qu’ils sont plus délicats à négocier. C’est pourquoi on commence par le plus facile pour évoluer vers le plus compliqué, qui demande moins de débats ». Quant au choix de Gitega pour y ériger ce monument, « c’est lié à sa situation géographique, au centre du pays ». M. Nzobonariba considère qu’il n’y a pas lieu de polémiquer: « Si la critique repose sur la forme et non pas sur le principe, le gouvernement n’a rien à se reprocher ».

Le bosquet sacré
Inganzo de Mwezi Gisabo, Kibira, Province Kayanza

C’est un site pas comme les autres. En haut de la colline, un bosquet d’arbres visibles de loin domine la contrée, alors que tout autour courent des champs, passent des habitants et volent des papillons. L’air est frais, il faut marcher pour trouver le vieux gardien qui s’en allait voir ses cochons, là, en bas, de l’autre côté de la route par laquelle on accède au lieu sacré.

Quand on vous le montre, le vieux Matthias, autour de 70 ans, visage vif et espiègle, sa première réaction après les salutations d’usage est de vous poser une devinette : « Que mange Dieu? » Vous restez coincé, re-pensant à toute la mythologie burundaise, vous maudissez votre ignorance de la sagesse ancienne, vous vous sentez pitoyable… Puis le sourire édenté du descendant des Biru, ce clan hutu chargé de la gestion des tombes royales, s’élargit, et la réponse fuse, simple, énigmatique : « Dieu mange les hommes, et les hommes mangent les choses », énonce Matthias, son regard fixe. Une femme à côté précise : « Nous ne pouvons parler sans l’umubira- un présent ». C’est la tradition, depuis très fort longtemps, dans cette communauté qui vit paisiblement à quelques kilomètres de la forêt de la Kibira.

Le présent présenté , Matthias continue : « On ne peut jamais couper un arbre là-dedans [dans ce bosquet] sans se retrouver quelques jours plus tard à la prison de Ngozi », explique-t-il. Lui-même ne pénètre jamais au milieu de ces arbres dont il énonce les noms en kirundi (imivumuvumu, umurinzi, ibitongati, imyungo, imihefu) entourés par une petite végétation que même les chèvres du coin n’ont pas le droit d’approcher. Et chaque jour, il fait le tour des lieux, « au moins trois fois, pour m’assurer que les lieux sont tenus avec respect ».

Là repose donc le corps du roi Mwezi Gisabo. Le roi est décédé en 1908 de mort naturelle. Une malaria contractée dans la plaine de Bujumbura alors qu’il venait de rencontrer le Résident Allemand.

Nous avons décidé d’inclure ce site spécial qui montre que des gardiens de notre mémoire existent encore. Malgré tout. Un peuple qui oublie son passé ne trouvera pas son avenir.
Matthias n’a pas encore définitivement choisi lequel de ses fils prendra sa relève. Mais tous les enfants de la colline savent qu’ils sont les gardiens d’un lourd héritage : continuer à préserver, pour des temps et des temps, « l’honneur que le Grand Roi Mwezi Gisabo fit à Ndago, mon grand-père, en lui confiant son corps… »

CVR

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