Jeudi 26 décembre 2024
Iwacu

Mourir de boire

Société

Mourir de boire

C’est un problème « national ». En ville, à la campagne, beaucoup de Burundais se réfugient dans l’alcool pour noyer leurs soucis. Faute de s’offrir les bières industrielles, les gens se rabattent sur des boissons prohibées, fabriquées dans la clandestinité. Ces liqueurs font des ravages sur la santé des consommateurs, déstructurent les familles , créent le chaos. Les reporters d’Iwacu sont allés à la rencontre des fabricants et des consommateurs. Ils ont interrogé les autorités qui luttent contre le fléau. Mais ces boissons fabriquées selon des normes commerciales pourraient générer des revenus.

16/06/2018
Dossier réalisé par Fabrice Manirakiza, Parfait Gahama, Clarisse Shaka, Rénovat Ndabashinze, Félix Haburiyakira, Lorraine Josiane Manishatse et Arnaud Igor Giriteka; Coordination : Antoine Kaburahe et Léandre Sikuyavuga; Graphiste : Ernestine Akimana; Traitement des photos : Onesphore Nibigira Images : @Iwacu
Une gamme variée de boissons
Le maire de la ville de Bujumbura, Freddy Mbonimpa, en train de déverser des sacs plastiques de Kanyanga saisis
Les boissons alcoolisées prohibées font des ravages au sein de la population. Dans les villes comme dans le Burundi profond. Le mélange des éléments ne suit parfois aucune règle. Leurs conditions de fabrication laissent à désirer. Sur le marché, un éventail de produits est proposé aux consommateurs.

Kanyanga, umunanasi, umuraha, umukororajipo, ikwete, umugorigori, ikibarube, umudiringi, igiti, umungazi,…Toutes ces boissons sont fabriquées de façon rudimentaire et, la plupart du temps, dans de conditions d’hygiène exécrables.

Légalement prohibées, elles sont pourtant souvent vendues au vu et au su de la police et de l’administration. Consommées sur tout le territoire national, leurs noms changent selon les régions. Mais les ingrédients restent globalement les mêmes.

L’ ‘’Umudiringi’’ est fabriquée avec de l’eau, du sucre et du thé. On y ajoute de la levure. Dans certaines provinces comme Bubanza, certains fabricants se servent même des engrais chimiques agricoles comme levure pour permettre une forte et rapide fermentation. La période de fermentation varie entre 4 jours et une semaine.

«Certains vendeurs de ces boissons n’attendent même pas deux jours», confie Marius, un fabricant de cette boisson de la zone Kamenge en commune Ntahangwa en Mairie de Bujumbura. D’après lui, pour 100 litres d’eau, il met 17 kg de sucre. Il ajoute ¼ kg de thé et 100 g de levure.

Des effets nocifs pour la santé

La boisson ‘’Umuraha’’ est fabriquée, quant à elle, avec des ananas. «J’utilise autant d’ananas que je veux. Je les pille et je les mélange avec de l’eau», raconte Jean Paul, un fabriquant d’Umuraha en province Cankuzo.

Le mélange est par la suite filtré. «On utilise parfois une moustiquaire neuf.» Le jus récupéré est mis dans un fût. On y ajoute du sucre et de la levure. Le fût doit être hermétiquement fermé. Ce dernier est mis à côté d’un feu. «Avant, la période de fermentation était d’un mois voire même 3 mois. Aujourd’hui, on commence à la consommer après 3 jours.» La boisson Umuraha est très prisée dans les provinces de Ruyigi et Cankuzo.

Pour l’Ikwete’’ ou «Umugorigori», on mélange la farine de maïs et de l’eau jusqu’à obtenir une pâte. On laisse cette pâte pendant 3 jours ce qu’on appelle «Gukandika». Au quatrième jour, on met sur le feu un demi-fût communément appelé «Igikarango», on y verse un peu d’eau et on y ajoute la pâte qu’on avait préparée avant. On malaxe avec une pelle pendant un certain temps. Le mélange est versé dans un autre fût. On y rajoute un ferment qui est pour la plupart du temps de l’éleusine. Après 2 jours de fermentation, la boisson est prête à la consommation. Dans les provinces de Ruyigi, Cankuzo, Muyinga et ailleurs, les habitants ne considèrent pas l’Umugorigori comme une boisson prohibée. «C’est une boisson traditionnelle comme le vin de banane», indique une consommatrice de la commune Cendajuru en province Cankuzo.

Le ‘’Kanyanga’’ est une boisson extrêmement forte qui est consommée sur tout le territoire national. Les fabricants de ce produit prohibé se servent de la farine de maïs avec des déchets d’écorces pourries des maniocs et couverts de moisissures. «On met ce mélange sur le feu. Le fût doit être hermétiquement fermé pour éviter que la vapeur sorte», raconte un fabricant de Kanyanga de la province Ruyigi.

La vapeur est récupérée dans un autre fût relié à l’autre fût par un tuyau. La vapeur redevenue liquide est réchauffée encore une fois dans un autre fût, lui aussi hermétiquement fermé. Sa vapeur est également récupérée dans un autre fût à l’aide d’un tuyau. «Cette opération est renouvelée autant de fois. Ça dépend de la qualité de Kinyanga que tu veux avoir.»

Les conditions d’hygiène dans ces mini-usines de Kanyanga sont déplorables. Parfois, les fûts et les tuyaux dont ils se servent sont rouillés.

Les effets sur les consommateurs de ces boissons sont très inquiétants. Les consommateurs maigrissent à vue d’œil à cause de l’inappétence, la peau devient noirâtre ou transparente, les jambes gonflent et à la fin les consommateurs ne parviennent plus à marcher. «Ils présentent des œdèmes au niveau des joues, des orteils, des pieds, des jambes et des bras. Certains ont des difficultés à accomplir des rapports sexuels», confie un administratif de la commune Cendajuru. Certains perdent presque la raison et s’adonnent à des scènes obscènes sur la place publique.

Aimable Nahishakiye : « L’alcool est mon meilleur ami »
Aimable Nahishakiye : « Les boissons prohibées coûtent moins cher.»
Une consommation excessive de ces boissons peut conduire le consommateur dans un état de dépendance. Iwacu a rencontré un accro d’ «Umudringi».

Originaire de la sous-colline Rugegenge, colline Gihinga en commune Kayokwe de la province Mwaro, un endroit réputé dans la fabrication et la commercialisation des boissons prohibées, Aimable Nahishakiye est un alcoolique dépendant d’«Umudringi». Une boisson interdite fabriquée à base du sucre, du thé, de l’eau et de la levure. Il raconte qu’il la consomme depuis son enfance.

Finaliste de l’école secondaire au Lycée communal Kayokwe en 2013 et homologué à l’Institut pédagogique appliquée (IPA) dans le département des mathématiques, il mène aujourd’hui, la vie d’un simple « paysan. » Sa forte dépendance à l’alcool l’a empêché de suivre les études universitaires. Il s’occupe de petits boulots : cultiver les champs des voisins, faire le veilleur, ou aide-maçon.

M. Nahishakiye confie qu’il s’est inscrit trois fois à l’université du Burundi. « Comble de malheur, je n’ai jamais dépassé deux semaines d’études après l’inscription.» Impossible de résister à l’appel de l’alcool. « Faute de moyens financiers pour me procurer de l’alcool, j’ai préféré retourner chez moi où la consommation est presque gratuite. Mon grand-père, mon père ainsi que nos voisins fabriquent, commercialisent et consomment cette boisson depuis longtemps. C’est ainsi que l’alcool m’a entraîné vers la dépendance . »

Selon son témoignage, M. Nahishakiye souffre quand il manque sa boisson. Il a des tremblements, manque de sommeil, de concentration et de force. Pour être satisfait, révèle-t-il, il consomme au moins cinq bouteilles de cette boisson par jour. Il ne peut pas passer toute la journée sans prendre au moins deux bouteilles.

Cet amateur explique que ces boissons coûtent moins cher que les boissons industrielles ou traditionnelles reconnues par la loi. « Une bouteille d’ «Umudringi » de 72 Cl se vend à 600 Fbu alors qu’une bouteille de la bière Primus coûte 1 600 Fbu. »

Il exhorte le gouvernement à soutenir les fabricants de ces boisons pour qu’ils puissent améliorer leur fabrication afin d’éviter des maladies pour les consommateurs.

De la consommation à la fabrication

A défaut de continuer ses études universitaires, Aimable Nahishakiye s’est lancé en 2014 dans la fabrication et la commercialisation de cette boisson. Un business qui génère des bénéfices, selon ses propos. « Le coût de production d’un fût de 100 litres de cet alcool s’élève à 50 mille.» Mais avec cette quantité, le bénéfice minimum est de 40 mille Fbu.

Trois ans plus tard, il a dû suspendre la fabrication des boissons prohibées. Pour cause : les fouilles régulières de la police et les amendes exorbitantes infligées aux fabricants et aux consommateurs des boissons prohibées. Mais il assure que ses voisins n’abandonneront ni la fabrication ni la consommation de cet alcool.

Témoignages des anciens amis de Nahishakiye

D’après N.N, un de ses amis depuis l’école primaire, M. Nahishakiye était un garçon fort, intelligent et bon footballeur. Les autres écoliers le surnommaient « Chaka le lion » à cause de sa force et de son gabarit. Actuellement, il est difficile de le reconnaître. Il a perdu du poids et il est faible. « La consommation excessive des boissons prohibées a corrompu son esprit. »

F.N., un autre ami déplore l’ivresse de M. Nahishakiye. « Quand nous étions à l’école secondaire, précisément au Lycée Mwaro, il passait trois ou quatre jours chez lui sans la moindre permission des éducateurs. Il oubliait parfois le chemin qui mène à l’école. Parfois, il dormait dans la brousse. »

Deux semaines après son orientation à ce Lycée, il a été un renvoyé temporairement pour une durée de deux semaines. Alors qu’il était finaliste, il a été renvoyé définitivement : il était resté quatre jours de suite chez lui. Sans autorisation.

Une société « émasculée »
Pour ce sociologue, les consommateurs des boissons prohibées sont dénués de toute responsabilité familiale.
Violences conjugales, irresponsabilité familiale… Ces boissons sont un désastre pour la société, particulièrement la famille, explique un sociologue.

Deux raisons principales sont à l’origine de la consommation de ces boissons prohibées d’après le sociologue Désiré Manirakiza. Du point de vue anthropologique, il existe un lien social entre la société burundaise et l’alcool. Généralement, les Burundais sont enclins à consommer beaucoup d’alcool. « Et ce n’est pas seulement la boisson qui est importante mais ce lien autour de la consommation de l’alcool. »

Cependant, observe le sociologue, consommer l’alcool ne suffit pas. Il faut se soûler. Montrer que l’on a bu, suffisamment.

Cependant, depuis un certain temps, explique-t-il, il est difficile pour un Burundais moyen de pouvoir trouver de l’argent pour se payer une « vraie » bière (Amstel, Primus, etc.).

Certains optent alors pour une boisson beaucoup moins chère mais qui soûle très vite. Consommer l’alcool donne l’illusion de résoudre les problèmes. Ils pensent qu’en se soûlant, on va pouvoir oublier ses soucis financiers, familiaux, etc.

« Deux verres de ces boissons suffisent pour être ivre », affirme Dr Désiré Manirakiza. Alors que pour une primus il faudrait tout un casier pour s’enivrer.

M.Désiré Manirakiza affirme que peu importe la prohibition, les gens consommeront toujours ce genre d’alcool. Même ceux qui sont censés faire les contrôles (les policiers) ne résistent pas toujours.

Dans certains villages, témoigne le sociologue, il y a toujours eu une entente informelle, une certaine complicité entre les autorités (elles mêmes parfois consommatrices) et les producteurs de ces boissons. Ceci explique le manque de fermeté pour combattre la production de ces boissons .

Les consommateurs de ces boissons prohibées sont plus plus accros que les buveurs de la bière industrialisée, « classiques. » M. Manirakiza estime que les causes de la dépendance résident probablement dans la composition de ces boissons.

Conséquences sociales fâcheuses

Pour le sociologue, les grands consommateurs des boissons locales prohibées (kanyanga, umugorigori, umunanasi, etc.) sont généralement dépourvus de toute responsabilité.

Pire, s’il a une famille, il y a toujours des problèmes dans le ménage : la violence conjugale, violence avec les enfants, etc. Le conjoint n’est jamais là. Bref, il affiche une irresponsabilité totale auprès de sa famille. Quand il a la chance de gagner un peu d’argent, il court chercher sa dose. « Imaginez alors un village où sur 100 personnes, 80% consomment ces boissons. C’est une société foutue.»

Les consommateurs n’ont plus ni le temps ni la force de travailler. Ils passeront leur temps dans des débits de boissons. Sur le plan socioéconomique, la production baisse.

Le sociologue souligne que pour se rendre compte de l’ampleur de l’impact sur la société, il faut analyser les effets sur chaque famille. Le ménage c’est en effet le noyau de toute la société. Les troubles familiaux dans un ménage se répercutent sur toute la société. « Ce sera une société émasculée. » Une société affaiblie, où la production baisse, où les enfants sont abandonnés à eux-mêmes. Une société caractérisée par des chicanes familiales, des mauvais traitements, des violences…


Tu bois le foie et le cerveau trinquent !

Ces boissons alcoolisées prohibées sont des produits très toxiques. Ils endommagent principalement le foie. Un médecin explique.
Pour Dr Janvier Nihorimbere, les consommateurs de ces boissons prohibées mettent en danger leur foie, un organe vital.

 

Dr Janvier Nihorimbere classe ces boissons au même niveau que les liqueurs, avec plus de 40% d’alcool. D’après lui, certaines d’entre elles (Kanyanga par exemple) sont produites par distillation. Il n’y a même pas de brassage. « Elles sont de loin plus dangereuses que la bière », précise ce médecin.

Il dénonce des produits très toxiques qui touchent principalement le foie, organe vital dans le fonctionnement de l’organisme. La cirrhose, l’ascite (ventre rempli d’eau)… plusieurs maladies graves du foie auxquelles les grands consommateurs ne peuvent pas échapper, d’après Dr Nihorimbere.

Si le foie est touché, poursuit le médecin, le cerveau est menacé forcément. La fonction du foie étant essentiellement de détoxiquer les aliments ou boissons pour empêcher l’acide de monter au cerveau. « D’où ces troubles comportementaux chez les consommateurs, similaires à ceux qui consomment la drogue. »

L’estomac et les reins, pas en reste

Pire, cela peut entraîner le sujet dans un coma éthylique (due à l’alcool) par inhalation ou hypoglycémie pour ceux qui en consomment sans avoir mangé. Le risque de mort n’est pas à écarter.

Ce médecin affirme que certaines de ces boissons comme « umunanasi » ne sont pas bien fermentées. Le processus de fermentation se poursuit donc dans l’organisme. Cela peut être dangereux pour l’organisme.

L’estomac n’est pas en reste. La grande quantité d’acide contenant dans ces boissons provoque les ulcères d’estomac. Ce n’est pas tout, prévient encore Janvier Nihorimbere. Le foie contribue en grande partie au métabolisme. Il maintient le bon fonctionnement des autres organes comme les reins et le cœur. S’il ne peut plus assurer ses fonctions, ces organes sont aussi en danger.

Dr Janvier Nihorimbere signale enfin des conséquences à long terme pour ceux qui deviennent accros: troubles érectiles et impuissance à la longue, asthénie physique (faiblesse, tremblements du corps, perte de poids…).La liste est loin d’être exhaustive.

Les boissons prohibées désormais pénalisées
Béatrice Nibaruta, administrateur de Cendajuru
Le code pénal burundais du 29 décembre 2017, en ses articles 520 à 523, punit les fabricants, les vendeurs et les consommateurs des boissons prohibées.

«Constituent des boissons prohibées au sens des dispositions de la présente section les boissons alcoolisées ou non alcoolisées fabriquées artisanalement au niveau local ou importées, classées comme telles en application des dispositions de l’ordonnance du ministre ayant la santé publique dans ses attributions », stipule le code pénal révisé dans son article 520.

D’après l’article 521, §1, leurs fabricants et vendeurs sont punis de la servitude pénale d’une année à deux ans et d’une amende de cinq cent mille à deux millions de francs burundais (Fbu).

Ce qui n’épargne pas les consommateurs. Selon l’article 522, « ils sont punis de la servitude pénale de trois mois à six mois et d’une amende de dix à deux cents mille Fbu », précise l’article 522 du même code.

Une fois coupable de cette infraction, les forces de l’ordre et de sécurité et les administratifs sont doublement punis. « Ledit code double la peine des infractions prévues aux articles 521 et 522 de ces catégories de personnes ».

Vers l’éradication effective ?

Dans certains coins du pays, des administratifs se mobilisent désormais pour lutter contre les boissons prohibées.

A Cendajuru, province Cankuzo, ‘’Umuraha’’ ou ‘’Umunanasi’’ et ‘’Kanyanga’’ ont été trop consommés pendant un certain temps. Aujourd’hui, Béatrice Nibaruta, administrateur communal affirme que le combat est en train d’être réussi. « En collaboration avec les forces de sécurité, les Eglises, les partis politiques, une campagne de sensibilisation a été menée.» Il était question de montrer les méfaits de telles boissons. Et puis, il y a eu une phase pour traquer tous les fournisseurs. « Une amende allant de 500 mille à 1 million de Fbu leur a été infligée. »

Néanmoins, Mme Nibaruta indique que le paiement d’une amende seulement n’a pas été très efficace. En effet, certains considéraient ces amendes comme une sorte de permission. Ce qui a poussé l’administration à changer de tactique en déversant ces boissons et en emprisonnant les vendeurs et consommateurs appréhendés. Selon l’administrateur, les résultats ont été positifs.

Les conflits dans les couples ont sensiblement diminué et les anciens consommateurs ont désormais plus de temps pour aider leurs épouses à labourer, à s’occuper des affaires familiales.

Mme Nibaruta estime néanmoins que le combat n’est pas encore totalement gagné : « Quelques poches de résistance existent encore et des consommateurs s’approvisionnent dans les communes limitrophes comme Gisuru, Mishiha et Cankuzo. »

Elle appelle à une synergie avec les administratifs de ces communes pour éradiquer totalement ces boissons.
A Mwaro, la lutte aboutit à des résultats encourageants. Adrien Ntwunzwenimana, administrateur de la commune Nyabihanga, indique qu’il s’agit d’un travail sans relâche. En effet, il arrive des cas où ces boissons semblent disparaître et, après un certain moment, elles refont surface.

D’après cette autorité, les quantités saisies sont déversées et les vendeurs remis aux officiers de police judiciaires (OPJ) pour confectionner les dossiers.

Les Eglises s’impliquent dans la lutte

Abbé Juvénal Hajayandi, Curé de la Paroisse Mbogora

L’intervention de l’Eglise catholique dans la lutte contre ces boissons prohibées n’est pas négligeable. « Nous avons organisé des séances de sensibilisation pour montrer les conséquences sur la santé, l’économie familiale et la sécurité dans les ménages de la consommation des boissons prohibées », confie Abbé Juvénal Hajayandi, curé de la Paroisse Mbogora, dans la commune Nyabihanga.

D’après lui, les consommateurs d’Umunasi (vin d’ananas) présentent certains signes : peau jaunâtre, ventre gonflé, d’autres semblent souffrir du kwashiorkor, etc. Cela finit par entraîner la mort.

L’Abbé Hajayandi indique que la consommation de telles boissons ruinent les familles. « Des hommes vendent clandestinement les récoltes de haricot, de maïs, des bananes, pour avoir de l’argent à boire.»
L’ivresse entraîne des conflits dans les couples et crée le chaos dans les familles.

Le curé de la Paroisse Mbogora organise des réunions de sensibilisation avec le comité paroissial. « Nous avons fait des descentes dans les succursales, sur les collines pour inviter nos chrétiens à abandonner ces drogues-là ».

Le curé affirme que la tâche n’a pas été facile. « Certains nous ont catégoriquement dit qu’au lieu d’abandonner ces boissons, ils préfèrent ne plus revenir à l’église ».

L’Eglise exige même des redevances ‘Impongano’’ aux chrétiens accusés de consommer ces boissons avant d’avoir droit à un sacrement. Cette sanction, selon le curé, pousse beaucoup de gens à se ressaisir.

Des stratégies pour ne pas être appréhendé

Interrogé, un ancien consommateur de la colline Mubuga, commune Nyabihanga, province Mwaro dit que n’eût-été la pression de l’Eglise, il n’aurait pas abandonné ces ‘’drogues’’. « Je ne pouvais pas passer une journée sans prendre au moins deux bouteilles d’Umunanasi’’.»

Il se rappelle même qu’un jour, il a passé la nuit en pleine nature croyant qu’il était à la maison. Et quand les policiers ont commencé à pourchasser les vendeurs et les consommateurs, certaines stratégies avaient été instaurées pour ne pas être repérés.

« On se retrouvait dans les marais, tout près de la rivière Kayokwe. Dans certains cas, le vendeur nous installait derrière sa maison et plaçait des guetteurs. »

Mieux, un jour, ils ont mis un bidon de 20 litres sur un brancard en faisant semblant d’aller inhumer une personne. « Nous l’avons bu en toute tranquillité au milieu du cimetière ».

S’exprimant sous anonymat, ce père de famille affirme qu’il n’hésitait pas à vendre sa récolte de haricot ou de maïs pour acheter cette boisson. « C’est grâce à la sensibilisation, aux conseils du Curé, que j’ai pu me ressaisir ».

Il précise que les notables s’impliquent aussi dans cette lutte. « Quand on te suspecte d’avoir bu ces boissons, on te met en quarantaine. »

Une norme pour rentabiliser les boissons prohibées
Aujourd’hui, chaque fabricant travaille à sa façon. Or, il faut respecter des normes très strictes pour pouvoir commercialiser officiellement ces boissons.

«Pour mettre en valeur ces boissons, il faut leur trouver une norme de fabrication», indique Dr François Havyarimana, directeur du Bureau burundais de normalisation et de contrôle de la qualité (BBN).

Pour la boisson prohibée « Kanyanga », explique-t-il, il faudrait d’abord analyser, du point de vue chimique, ses constituants et savoir ceux qui sont nuisibles à la santé humaine. Cette boisson contient en effet du méthanol, nuisible à la santé. D’autres boissons contiennent de l’éthanol. «Il faut purifier cette boisson en enlevant ses mauvais constituants »

Du point de vue microbiologique, il faudrait arriver à préparer un produit sans bactéries nuisibles ou un produit avec une charge bactérienne tolérable.

Quand les gens mettent le Kanyanga dans une bouteille, ils risquent de l’embouteiller avec des bactéries dangereuses pour la santé humaine.

Par ailleurs, comme le Kayanga est une liqueur, il faut chercher une norme sur les liqueurs et voir si le Kanyanga respecte celle-ci. « De cette façon, la boisson sera certifiée, puis commercialisée. »
Pour chaque produit, il faut trouver une norme de qualité qui lui est applicable. « C’est cette norme qui sera suivie dans la fabrication et dans le contrôle de la qualité ».

Avant de se lancer dans la fabrication de n’importe quel produit, il faut avoir une norme. M. Havyarimana invite les personnes intéressées à se renseigner auprès du service chargé de la documentation et de l’information sur les normes. «C’est la norme qui vous indique les paramètres qu’il faut mesurer pour voir s’il est bon ou mauvais ».

Qu’en est –il de la boisson dite « Rugombo » ?

Le directeur du BBN indique qu’il existe des gens qui mélangent cette boisson avec du sucre, du tabac ou des briques. D’après lui, ce mélange a de lourdes conséquences sur la santé humaine. Les consommateurs, ont des œdèmes des pieds, des ventres gonflés, des cheveux transformés, etc. «La microbiologie de ce mélange n’est pas contrôlée.»

Pour ce qui est de « Urugombo », l’autorité du BBN, recommande aux brasseurs de se regrouper en associations ou coopératives. De ce fait, le BBN pourra analyser la préparation de cette boisson afin de pouvoir leur octroyer un certificat.

Aujourd’hui, chacun brasse à sa façon, et il est difficile de contrôler la qualité et de donner un certificat à chaque brasseur.

Il donne l’exemple de «IMENA », une boisson brassée à base du jus de banane et qui est maintenant certifiée.
Il précise qu’il y a des associations qui ont déjà introduit des demandes pour que le BBN analyse si leurs produits sont de bonne ou de mauvaise qualité.

Dr. Havyarimana fait savoir que ses services sont en train d’élaborer une norme pour les boissons traditionnelles. Sans norme, insiste-il, vous ne pouvez pas prétendre faire le contrôle de la qualité. Et de conclure : « Sans norme, vous risquez d’arrêter injustement la commercialisation d’un produit ».

Rencontre: :« Le BBN a du mal à couvrir le territoire national »
François Havyarimana
Faute d’un personnel suffisant et d’équipement, le BBN, l’organisme ne parvient pas à analyser tous les produits fabriqués localement comme prévu par la loi.

Comment fonctionne le BBN ?

Le BBN comprend quatre services : Le service de Documentation et information sur les normes. Il est chargé de déterminer les normes qu’on peut utiliser pour certifier différents produits fabriqués au Burundi. Quelqu’un qui veut manufacturer un produit doit consulter les techniciens de ce service pour lui indiquer les éléments qui doivent composer ce produit.

Il s’agit également du service du Normalisation et métrologie. Ce dernier est chargé d’élaborer les normes pour chaque produit. En plus de la normalisation, il est chargé de vérifier les instruments de mesure sur tous les produits commercialisés au Burundi. Ce service doit se rassurer que les normes de la qualité et de mesures sont respectées.

Le service de Formation et assistance technique aux entreprises. Il se charge former les entreprises dans le but de comprendre les procédures pour fabriquer les produits remplissant les normes de qualité. Il est également chargé de guider les commerçants et les importateurs d’importer les produits de bonne qualité.

Enfin, le service de Certification qui consiste à attester que les produits fabriqué localement remplit les normes de la qualité.

Comment certifier un produit ?

Le service de certification doit se référer sur la norme établie par le service de Documentation et Information sur les normes. Ce dernier compare les normes de qualité d’un produit et les résultats du laboratoire. Il peut refuser de certifier les produits si les résultats prouvent que ce produit ne remplit pas les normes de qualité fixées par le BBN.

Quel est votre personnel et quelle est sa qualification ?

Le BBN a une cinquantaine de personnes, y compris moi-même, les veilleurs et les plantons. On a un personnel insuffisant alors que le BBN doit couvrir tout le territoire national. Nous avons des chimistes qui travaillent dans le laboratoire de Chimie, les biologistes pour le laboratoire de microbiologie ainsi que les techniciens et les ingénieurs qui travaillent dans le laboratoire de métrologie. Nous avons également un ingénieur en génie civil qui travaillera dans le laboratoire des matériaux de construction qui n’est pas encore opérationnel.

Quid de votre équipement ?

A part le travail administratif, tout le travail du BBN se fait sur terrain. Or, nous avons deux vieilles camionnettes qui tombent souvent en panne. Il nous est donc impossible de couvrir tout le Burundi.

Heureusement, dans le budget annuel de 2018, le gouvernement a prévu de nous acheter deux voitures. Le projet COMESA va également nous donner deux autres camionnettes. Là, nous pourrons plus ou moins fonctionner. Mais, ça ne sera pas aussi suffisant pour un bureau de normalisation qui doit contrôler les produits commercialisés tout le territoire national. Le manque d’équipements des laboratoires constitue également un grand défi pour le fonctionnement du BBN.

Est-ce que le BBN parvient à analyser tous les produits fabriqués localement?

Non, le BBN ne peut analyser que certains produits. Pour les autres, nous faisons recours aux laboratoires externes nationaux, notamment les laboratoires de l’Isabu, l’Université du Burundi, de la CNTA…Comme ces derniers ne sont pas aussi bien outillés pour analyser tous les paramètres nécessaires pour assurer la qualité d’un produit, nous faisons recours aux laboratoires étrangers. Nous collaborons souvent avec les Bureaux de normalisation des pays membres de l’EAC. En ce moment, c’est le fabriquant de ce produit qui doit payer les frais d’analyse.

Quid des produits importés ?

Comme le BBN n’a pas les moyens de contrôler la qualité de tous les produits importés, le gouvernement du Burundi a signé un contrat avec une société suisse, Société Générale de Surveillance (SGS) pour contrôler la qualité des produits importés au Burundi. Pour les produits importés qui portent la marque de certifications de l’un des bureaux de normalisation des pays membres de l’EACA, le BBN ne fait pas un autre contrôle. Les pays de l’EAC ont signé une convention y relative.

Quels sont d’autres défis?

La population Burundaise n’est pas sensibilisé sur la nécessite de consommer des produits qui remplissent les normes de qualité. La majorité de la population Burundaise ne tient pas compte de la certification avant d’acheter les produits. Dans nos campagnes contre les boissons prohibées, nous avons constaté que les gens n’osent pas dénoncer les fabricants de ces boissons.

Votre appel à la population burundaise ?

Nous appelons l’administration à la base, la police ainsi que les journalistes de s’impliquer davantage dans la lutte contre la fabrication et la commercialisation des boissons prohibées. Certainement que les administrateurs locaux savent les fabricants de ces produits.

Quid sur le piratage des produits certifiés
Des cartons de jus non certifiés saisis par les agents du BBN.
La certification des produits par le Bureau burundais de normalisation et de contrôle de la qualité (BBN) ne les immunise pas contre la contrefaçon. Certains produits, par des tours de passe-passe, sont piratés et parviennent sur le marché.

Selon François Havyarimana, directeur du BBN, son bureau n’est pas responsable de la propriété industrielle des produits. Son job est de s’assurer que la qualité du produit est bonne. Néanmoins, il atteste que les produits contrefaits sèment la confusion à ses agents. « Les contrefacteurs use de beaucoup de tacts pour nous échapper » reconnaît-il. Normalement, il existe un partenariat entre tous les bureaux de contrôle de la qualité de l’Afrique de l’Est.

Si un produit est certifié par un de ces bureaux, il est homologué dans tous les autres. Du coup, certains individus trafiquent les logos de ces instances et les accolent à leurs produits. Echappant ainsi aux contrôles. C’est le cas du jus« Heavy mango ».Sur les bouteilles de cette boisson, les fabricants avaient mis une marque de certification de la Tanzanie et sur d’autres celle du Kenya. Après vérification dans les bureaux de normalisation des pays respectifs, le constat a été que ce jus n’était pas certifié.

Le BBN délivre des certificats de conformité sur tous les produits fabriqués sur le territoire burundais. Leur durée de validité est d’une année renouvelable. Certaines personnes « mal intentionnées » peuvent s’approprier illicitement la certification. Comme l’explique M.Havyarimana, ils peuvent recourir aux techniciens des sociétés ayant leurs marques certifiées en les achetant. « Comme ça, on trouve deux produits avec un même label sur le marché, mais fabriqués par deux entités différentes ».

Contrefait mais souvent certifié

En outre, il indique qu’il est difficile de débusquer ces malfrats car ceux qui commercialisent leurs produits ne pipent mot sur l’identité des fournisseurs. L’original et le contrefait se trouvent entremêler dans étalages. Cela s’observe souvent pour les boissons non alcoolisés comme l’eau minérale ou les jus.

Pour toute question de piratage, le service habileté est la direction de la propriété industrielle. Ce dernier a pignon sur rue au ministère du commerce et de l’industrie. M. Havyarimana affirme « S’il signale un cas de piratage, le BBN prend acte et suspend la certification». Il étaye ses affirmations par un cas survenu entre deux entreprises qui produisaient une même boisson non alcoolisé. L’un avait copié presque tout le design de la bouteille, allant même jusqu’à emprunter presque la même appellation. Bien que la qualité de la boisson dudit entreprise ait été approuvée, le certificat devra être suspendu.

Le viol de la loi sur la propriété industrielle justifie la sanction. En effet, si une société désire se mettre à l’abri de tels mésaventures, il faut qu’elle l’enregistre auprès de la direction de la propriété industrielle. «Sinon si vous ne la protégez pas, n’importe qui peut le fabriquer n’importe quand sans être inquiéter »assène M. Havyarimana.

Du côté des commerçants, le BBN leur recommande de s’approprier une liste des produits certifiés avant de les acheter. Au cas où des produits non certifié sont saisis dans leurs étalages, les vendeurs se disent victimes d’une injustice. « C’est une grosse perte pour nous, nous ne sommes pas des fabricants de ces produits, la BBN devrait s’adresser à nos fournisseurs »s’est lamenté l’un d’eux.

C’était lors d’un coup de filet réalise par le BBN en collaboration avec la police. Une multitude de marques de boisson notamment Juice vivaqua, Coriandre gingembre, Raha tangawizi, Girubuzima gingembre, Umuhimu Tangawizi, Marakouca, Hozagara Urwarwa rw’iwanyu, avaient été saisie.

IWACU 2015, droits réservés. Long format réalisé avec le plugin Simple Long Form pour WordPress.