Par Laura Sheïlla Inangoma
23 ans, actrice de la troupe de théâtre « Les Enfoirés de SaNolaDante », Sheïlla Inangoma évoque son expérience au théâtre de Konstanz. Elle rentre marquée et plus engagée que jamais.
Ma première prestation sur une scène théâtrale, c’était en 2013, à l’Institut français de Bujumbura. La Troupe était encore très jeune, mais avec déjà un bon et beau public lycéen. D’ailleurs, c’est toujours le cas pour la majorité de notre public.
Je n’aurais jamais cru un jour pouvoir jouer en Europe. Et pas n’importe où. Au théâtre de Konstanz, une véritable institution en Allemagne. Un théâtre aimé et respecté depuis… 1617 ! Quatre cents ans donc !
Nous sommes quatre acteurs à partager la belle aventure : Sophie Raïssa Ndoricimpa, Renaud Niyonkeza, et Diogène Rukundo. Il y’a aussi notre metteur en scène, Freddy Sabimbona qui dirige le festival de Théâtre Buja Sans Tabou.
Freddy était sur la mise en scène en collaboration avec Clémens Betchel, un autre professionnel du théâtre allemand.
Nos partenaires étaient deux acteurs allemands et une actrice, un assistant des metteurs en scène, ainsi qu’une stagiaire étudiante.
Une grosse équipe avec la scénographe, qui assistait aux répétitions pour étudier ce qu’il faudra comme décor, les costumiers, les maquilleurs, etc. Tout ce monde participait aux répétitions générales.
Nous sommes partis le 12 septembre. Le 14, le travail commençait déjà ! Un mois à répéter tous les jours de 10h à 14h et de 19h à 22h. Théâtre la journée et le soir. C’était merveilleux, une véritable école. On entrait vraiment dans nos rôles, après les répétitions, de retour à la maison, on se remettait joyeusement dans « les corps de nos caractères respectifs ».
Du 14 septembre au 20 octobre, nous répétions sans nous lasser. La pièce intitulée « Die Farbe der Lachens ». Cela veut dire « Les Couleurs du Rire ».
C’est une version réadaptée de la pièce « L’affaire de La Rue de Lourcine » de l’auteur français, Eugène Labiche.
Jour « J »
Le 21 octobre était la première de « Die Farbe der Lachens » dans la salle de Spiegehalle à Konstanz. Nous appréhendions beaucoup cette représentation. On s’interrogeait sur l’accueil du public. La pièce était jouée en quatre langues : le français (langue originelle de la pièce), l’allemand parce qu’on jouait pour le public allemand, l’anglais (pour la communication et pour les monologues faits à des moments du jeu) et le kirundi (pour marquer la richesse de diversité par la présence d’acteurs du Burundi).
L’affaire de Rue de Lourcine, pièce originale parle d’un couple bourgeois qui se retrouve dans une situation des plus dramatiques remplie d’hilarants quiproquos. La pièce joue sur la panique, l’état d’ivresse, la différence de classe sociale entre deux hommes qui ont eu une nuit arrosée.
Dans la version adaptée de la pièce, le plus intéressant était l’implication du jeu du « théâtre dans le théâtre ». Nous jouions « une répétition » pour finir tous dans la situation de « coup de théâtre » de nos rôles.
Ainsi, le public avait à la fois l’occasion de voir à quoi ressemblaient nos répétitions, mais aussi d’assister au spectacle complet. J’admire le travail qu’on a pu faire avec le metteur en scène et tout ce que nous avons pu apprendre , la contribution des dramaturges et des professeurs en littérature durant nos répétitions générales, etc.
La pièce a été jouée dix-huit fois dans la même salle. Chaque fois, nous avons eu un beau public. De la première à la dernière, nous avons eu un jeu mature, fruit d’une complicité acquise durant les répétitions, mais aussi enrichie par les activités extra professionnelles que nous faisions. Ainsi, nous avons eu des échanges avec des invités burundais qui sont venus partager leurs impressions sur « l’humour humain ». Parmi eux, le musicien burundais Bahaga a touché nos cœurs et nous a apporté une douce nostalgie du pays que nous avions quitté depuis six semaines.
Qu’est-ce qui fait rire les hommes ?
Le projet en son ensemble est appelé Comédie humaine 21ème Siècle. L’objectif était d’analyser ce qui fait rire les gens. Qu’est-ce qui fait rire les Burundais ? Qu’est-ce qui fait rire les Allemands ? Est-ce qu’il y a une ressemblance dans l’humour des deux peuples ? Laquelle ?
Déjà, au cours d’un atelier en novembre 2016, on avait beaucoup réfléchi sur ces questions. On se demandait si on peut rire de tout, s’il y a des rires divisionnistes, etc. La façon dont le rire était étudié était très enrichissante.
Nous avons eu l’occasion d’échanger avec une chercheuse qui a étudié le rire « comme une science ». Je demandais à ce propos, durant cette discussion, à un de nos collègues allemands si on peut « étudier le rire », qui, pour moi, devrait rester un mystère pour rester authentique… J’ai compris que le rire, sa beauté est tellement attrayante, profonde, que l’on peut effectivement faire une recherche sur lui, en faire un objet d’étude.
A côté de « Die Farbe der Lachens », nous travaillions sur une pièce pour les enfants, sous la direction de Freddy Sabimbona. Une comédie aussi, avec un titre insolite : « Pas drôle ». C’est une pièce écrite par Marshall Mpinga Rugano, le metteur en scène de notre troupe, Les Enfoirés de SaNoLaDante. L’adapter pour le contexte a été un véritable défi. La pièce était en français or peu d’écoliers allemands parlent cette langue. Notre collègue devait traduire tout en jouant ! Chose qu’il a faite avec une fluidité extraordinaire.
Les représentations aux écoles étaient très intéressantes. La pièce commence par la chanson de salutations à la Burundaise (Yego yego, yego ma !) elle continue par deux personnes qui se battent pour une mangue et un extraterrestre qui vient de nulle part demandant où il avait atterri. Les acteurs vont alors lui expliquer qu’il est au Burundi, le pays « du lait et du miel. » Les enfants écoutaient avec attention et, à la fin, posaient beaucoup de questions sur le Burundi, notre mode de vie, ce que font les enfants pendant leurs temps libres, ce que nous avons comme plats, etc.
Un échange m’a marquée. Il était question de punition à l’école, pouvant inclure quelques coups de chicotte sur les fesses, ici au Burundi… Pour les jeunes Allemands, cela était inimaginable. Alors qu’un souvenir de quelques coups de chicottes reçus nous faisait rire, chez les petits Allemands c’était le choc. Pour eux, cela était « de la torture ». Une grande personne n’a pas le droit de lever la main sur un enfant. « Ce n’est pas drôle, du tout » disaient-ils. Mais en dépit de ces différences de perceptions culturelles, nous leur parlions de notre beau pays, des plages, du bon climat, des fruits savoureux, des montagnes vertes. A la fin, tous ces jeunes brûlaient de venir découvrir le Burundi.
Les leçons du théâtre de Konstanz
J’ai vécu mon rêve. Celui de travailler sur ce que j’aime. Comme un médecin qui se réveille pour aller dans son cabinet, au théâtre de Konstanz, les acteurs se réveillent le matin pour aller répéter. Avant de faire ce métier, ils étudient quatre ans pour avoir un diplôme d’art dramatique, du spectacle vivant.
Le vrai défi est de toucher le public, pour que celui-ci rentre en se posant des questions. Je crois que ce questionnement peut aider les gens à changer leur mentalité, à s’ouvrir à l’autre, au monde. Le théâtre peut être un pont entre deux mondes. Pour notre cas, le monde occidental et le monde africain.
Pendant les deux mois de travail au « Theater Konstanz », j’ai réalisé la profondeur de la vérité qu’Odile Sankara, grande comédienne du Burkina Fasso, nous avait dite lors d’un atelier de théâtre qu’elle a dirigé pendant deux semaines avec Aristiide Targanada à l’Institut Français de Bujumbura. « Le métier de théâtre est exigeant ! Il ne suffit pas de considérer cela comme une passion, c’est plus grand : le théâtre est le lieu de l’exigence, du travail ». Un comédien doit entretenir sa voix, focaliser son énergie, rester concentré sur son caractère. Quand tu prends la parole sur scène, tu la prends en connaissance de cause.
A Bujumbura, cela peut paraître facile comme on n’a pas l’occasion de jouer une dizaine de fois la même pièce au même endroit. Mais jouer cinq, sept, dix fois la même pièce, on pourrait se dire «rejouer, refaire la même chose, faire le cynique ou faire le clown jusqu’à quand ? » Au théâtre de Konstanz, j’ai appris qu’il faut répéter et répéter. Viser pour essayer de frôler la perfection.
J’ai appris que peu importe ton état, il faut assumer sa présence sur scène, être généreux. Rire s’il le faut, même si tu t’es levé du mauvais pied. Pleurer quand la scène le demande, rester insensible aux grimaces de tes amis assis dans le public.
J’ai appris qu’il faut que je prête plus attention aux caractères que j’interprète. Je dois me poser plus de questions sur le caractère du personnage avant d’oser prendre la parole à sa place.
J’ai aimé le respect et les mobilisations faites à Konstanz pour le théâtre. Le ministère des Affaires étrangères aide le théâtre. Dans le bâtiment, divers métiers travaillent ensemble pour donner les meilleurs spectacles : des couturiers, des menuisiers, des techniciens des lumières et des sons, des agents administratifs, etc.
Je me souviens aussi que nous sommes allés assister à d’autres représentations, des pièces jouées, mais en allemand. Je ne parle aucun mot allemand. Mais je riais au moment de rire, la tristesse, je la sentais. La connexion, je dirais mieux, la communion entre l’acteur et le public va plus loin que les mots.
Car c’est vrai que la parole est importante dans le théâtre, mais le jeu du corps, les mimes, tout ce qui est physique sur scène parle très fort aussi. Sans paroles, une femme jouant un accouchement, avec tout le travail qui va avec (les cris, les halètements, etc.) est plus expressive qu’une femme qui viendrait sur scène pour dire « j’ai accouché ».
Une autre grande leçon : le théâtre peut rapprocher les peuples. C’est un échange. Je suis Burundaise, je joue à ma manière. Ainsi, le public peut découvrir comment une femme burundaise réagit face à une situation. A mon tour, je vais voir comment une Allemande vit une telle situation. C’est la magie du théâtre. C’est le partage.
Enfin, mon vœu est qu’il y ait plus de spectacles, plus de théâtres dans notre ville de Bujumbura. J’invite les Burundais à venir plus nombreux dans nos salles de théâtre. Plus que jamais, nous avons besoin de « respirer ». Le théâtre peut contribuer à « casser les murs », les malentendus et autres stéréotypes qui divisent. Le théâtre peut nous aider à « bâtir des ponts » entre nous et entre les peuples.
Les théâtres en kirundi seulement svp ? http://www.arib.info/index.php?option=com_content&task=view&id=17530&Itemid=1