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« Déplacés pour toujours ? » (1ère partie)

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« Déplacés pour toujours ? » (1ère partie)

24 ans après, les sites des déplacés sont toujours là. Iwacu a recueilli leurs peurs et leurs espoirs


26/10/2017
Dossier réalisé par Agnès Ndirubusa, Fabrice Manirakiza, Félix Haburiyakira, Rénovat Ndabashinze, Hervé Mugisha, Parfait Gahama, Clarisse Shaka, Egide Nikiza, Dorine Niyungeko, Lorraine Josiane Manishatse, Bella Lucia Nininahazwe, Pierre Claver Banyankiye. Edition : Elvis Mugisha. Coordination : Antoine Kaburahe et Léandre Sikuyavuga Images : Agnès Ndirubusa, Fabrice Manirakiza, Félix Haburiyakira, Rénovat Ndabashinze, Hervé Mugisha, Parfait Gahama, Clarisse Shaka, Egide Nikiza, Dorine Niyungeko, Lorraine Josiane Manishatse, Bella Lucia Nininahazwe, Pierre Claver Banyankiye

EDITORIAL │ « Déplacés » pour toujours ?

Par Antoine Kaburahe

Ils font partie du paysage depuis près de 24 ans. Rescapés des massacres qui ont frappé les campagnes burundaises après l’assassinat du président Ndadaye en octobre 1993, certains ont tout perdu.

Regroupés dans l’urgence près d’un poste militaire pour leur protection, les « déplacés» espéraient que la crise serait de courte durée. Qu’ils allaient retrouver leurs propriétés, rebâtir leurs maisons détruites, revivre chez eux !

Mais les années sont passées. Les déplacés, pour la plupart, ne sont pas rentrés. Les raisons sont multiples. La plus grave : ceux qui ont tué les leurs n’ont jamais été inquiétés. Les survivants, traumatisés, craignent d’être « liquidés » s’ils retournaient chez eux.

L’autre raison, tout aussi importante, c’est la misère qui frappe ces gens. Ils n’ont rien et ne vont rien retrouver chez eux. Leurs maisons ont été détruites, leurs biens pillés. Et depuis 1993, aucun gouvernement n’a mis en place la moindre politique d’aide au retour sur les collines.

Alors, les déplacés tentent de survivre comme ils peuvent. Certains arrivent à exploiter leurs champs, mais n’osent pas rester sur les collines et rentrent dans les sites.

D’autres se sont intégrés dans les villes proches des sites, se sont urbanisés et tentent de survivre avec des petits boulots.

Iwacu a mené une enquête sur la vie dans les sites des personnes déplacées à travers tout le pays.
Les reporters ont recueilli les peurs et les espoirs de ces gens. Officiellement, ces « sites n’ont plus de raison d’être » puisque « la paix est totale ». Mais les « déplacés » ne sont pas rassurés.

24 ans après, ces sites restent comme des stigmates d’un passé violent, qui ne veut pas passer. Le jour où leurs habitants retourneront volontairement sur leurs collines, ce sera un excellent baromètre d’un retour réel de la paix…

« Déplacés » pour toujours ?

Octobre 1993, le Président Ndadaye et plusieurs de plus proches collaborateurs sont tués. Le Burundi plonge dans une grave crise. Les campagnes s’embrasent et des massacres interethniques déchirent le pays. Dans plusieurs coins du Burundi, des Tutsi sont tués par des foules en colère. Le président Ndadaye a été tué par l’armée dominée alors par la « minorité tutsi ». Les rescapés pour la plupart Tutsi, mais parfois des Hutu, quittent leurs collines et se regroupent sur des sites sous la protection de l’armée. Les « camps de déplacés » viennent de naître. 24 ans plus tard, ils sont toujours là. La vie y est souvent misérable. Les déplacés peuvent aller cultiver leurs champs, récolter, mais n’osent pas encore retourner revivre sur leurs collines malgré les discours officiels rassurants. Quelques sites se sont développés, même urbanisés.

Certains habitants vivent toujours dans l’espoir de retourner définitivement sur leurs collines. Mais ils n’ont plus rien, il faudrait une véritable politique d’aide au retour. Pas seulement des discours. D’autres déplacés, traumatisés par ce qu’ils ont vécu n’envisagent pas le retour. Surtout que ceux qui ont tué les leurs n’ont jamais été inquiétés. Iwacu est allé à la rencontre de ces citoyens un peu oubliés dans des sites qui font aujourd’hui partie du paysage. Des déplacés qui vivent entre la misère, l’espoir ou la peur.

Une épine dans le pied de Bujumbura
Gaston Sindimwo, pour la sensibilisation au retour volontaire des déplacés

Décidément, les déplacés des déplacés ont la vie dure. Vingt ans après, ils sont toujours là. Pour le Cndd-Fdd, c’est la manipulation qui contrait les gens à y rester. Pour l’Uprona, c’est une question de survie. Le gouvernement avance, sans beaucoup convaincre, des pistes de solutions.

1993, dans la foulée du sommet de La Beaule, le vent de la démocratie souffle aussi sur le Burundi. Un président est démocratiquement élu : Melchior Ndadaye. Trois mois plus tard à peine, il est assassiné.

Le pays plonge dans une grave crise. Des dizaines de milliers de Burundais, essentiellement des Hutu, prennent la route de l’exil. D’autres, des Tutsi, se « déplacent » quittent leurs collines et se « déplacent » pour se regrouper à des endroits qu’ils estiment mieux sécurisés.

En pleine crise, le gouvernement construit en catastrophe des sites de fortune pour les accueillir. Les « centres pour personnes déplacées » viennent de naître.

On les retrouve sur des terres domaniales, des terrains appartenant à l’Église catholique ou à des particuliers.

Plus de 20 ans plus tard, la situation a évolué. Certains déplacés sont rentrés chez eux et plusieurs sites ont été fermés. D’autres sont toujours là.

Pour le parti au pouvoir, les camps de déplacés n’ont plus de raison d’être. Selon la Secrétaire nationale chargée de l’Information et de la Communication au CNDD-FDD, Nancy Ninette Mutoni, les raisons à l’origine de l’existence de ces sites sont plus d’ordre politique que sécuritaire. Pour elle, ces déplacés sont manipulés et pris en otage par des politiciens de mauvaise foi qui les utilisent dans leurs propagandes sans fondement. « A cet effet, nous encourageons le gouvernement à accélérer la mise en œuvre du projet de transformation de ces camps en villages de paix. »

Tatien Sibomana, du parti UPRONA non institutionnel fustige le point de vue du parti au pouvoir qui semble « infantiliser ces déplacés. » S’ils ne sont pas rentrés, c’est parce que leurs bourreaux se la coulent douce. Pour M. Sibomana, même ceux qui étaient arrêtés ont été relâchés sous des prétextes fallacieux. « Ils ne peuvent pas se jeter dans la gueule du loup ». Il va plus loin et qualifie ces sites de preuves de génocide commis contre les Tutsi après l’assassinat du président Ndadaye en octobre 1993.

Il rappelle que lors des pourparlers d’Arusha, l’Uprona s’était positionné en G10, avec la mission de protéger la minorité tutsi dont l’épée de Damoclès reste suspendue sur la tête. « Notre parti est responsable de la protection de cette minorité contre un nouveau génocide.» Et de conclure : « Depuis 2015, on assiste à des assassinats et des disparitions. Comment dire aux rescapés de retourner là où ils ont vu leurs familles décimées ? »

Un appel au retour volontaire

Le gouvernement se retrouve avec un vrai dilemme. D’un côté, il y a la rhétorique officielle qui soutient que la sécurité est maîtrisée. De l’autre, il y a ces sites des déplacés… Ces camps traduisent tout de même la peur de ces personnes de rentrer chez elles.

Le vice-président de la République, Gaston Sindimwo, a indiqué que la mission du gouvernement est d’assurer la sécurité de ces personnes qui ont quitté leurs domiciles à cause de la crise.

Il conteste néanmoins l’appellation « camps ou sites de déplacés ». Pour lui, « un enfant qui y naît aujourd’hui est appelé automatiquement déplacé. Dans son propre pays. Cette étiquette est absurde ! »
Selon le premier vice-président, l’autre défi auquel le gouvernement fait face est lié aux terres.

Essentiellement pour ceux qui s’étaient exilés et qui au retour retrouvent leurs terres occupées par ces déplacés. « Vous vous imaginez leur frustration ? » Les raisons de frustration sont encore nombreuses. Certains déplacés ont gardé leurs champs qu’ils vont cultiver la journée. Le soir, ils rentrent au site. Ils laissent leurs propriétés et leurs champs pour dormir sur une terre qui n’est pas la leur…

A l’époque, le gouvernement avait dressé ces camps dans l’urgence. Il tablait sur le retour à l’ordre et à la sécurité pour inciter les gens à rentrer. « La situation n’était pas prévue pour perdurer », explique un ancien responsable politique.

Face à tous ces défis, Gaston Sindimwo parle de campagnes de sensibilisation pour aider au retour volontaire de ces déplacés. L’autre projet du gouvernement est la construction des villages. « A cet effet, des tôles sont en train d’être distribuées. »

Bugendana, les plaies sont toujours ouvertes

L’attaque du site des déplacés de Bugendana de 1996 est toujours dans la mémoire des déplacés. Avec leurs anciens voisins restés sur les collines, des relations respectueuses, mais pas très cordiales.

«GENOCIDE DES 648 TUTSI RESCAPES DE 1993 à BUGENDANA»

La phrase est écrite sur une longue croix. Noire. Plantée à l’entrée du site. Nous sommes à Bugendana en province Gitega (centre du Burundi). La date est toujours dans toutes les mémoires. C’était un samedi. Un 20 juillet 1996. Ce jour, 648 Tutsi sont froidement tués par le CNDD-FDD encore mouvement rebelle.

Personne ne reste indifférent sur le site. Autour de la grande croix noire, d’autres petites croix en bois, sans nom, tentent de rester debout au milieu des herbes sèches. Certains passants, émus, prennent des photos. Certains, dépassés par les témoignages de la barbarie de ce samedi laissent couler une petite larme.
D’autres restent impassibles. Indifférence ? Résilience ? Personne ne peut le dire.

Oswald Ntirampeba : « Nous
sommes toujours traumatisés par
ce que nous avons vécu.»

Ils contemplent en silence ces centaines de croix dont certaines disparaissent déjà sous les herbes folles.
Créé en 1998, ce site compte 600 ménages et le nombre des personnes qui y vivent s’élevait à 2647 en 2016. Le site est calme. Mais les séquelles sont toujours là. « Non, on n’a pas oublié. Nous sommes traumatisés. Tu le remarques quand des coups de feu retentissent. Les rescapés de cette attaque y pensent toujours », confie Oswald Ntirampeba, chef du site des déplacés de Bugendana. « Ici nous vivons avec le souvenir de cette attaque», souligne un jeune homme.

Une cohabitation avec suspicion

Quid des relations avec ceux qui sont restés sur les collines, leurs anciens voisins. Ces déplacés vont toujours cultiver sur leurs collines, mais avec quelques appréhensions. «On se respecte mutuellement, mais on se craint». Cette phrase résume parfaitement les relations entre les habitants du site et ceux des environs. « Au début de la crise de 2015, des Imbonerakure avaient commencé à nous provoquer, mais les autorités sont vite intervenues», indique un habitant du site. « Malgré quelques chamailleries, nous cohabitons, mais il y a toujours une certaine tension», confie un habitant du chef-lieu de Bugendana.

D’après eux, personne n’ose retourner vivre sur les collines. Ceux qui ont les moyens préfèrent acheter des parcelles au chef-lieu de la commune. «Retourner y vivre n’est pas pour demain», raconte Pierre Claver. «Ceux qui ont tué nos parents sont toujours là. Ceux qui ont perpétré l’attaque de 1996 sont toujours là. Tu crois qu’on se sentira à l’aise au milieu d’eux ?», renchérit Véronique, un visage hagard. «Tant qu’il n’ y’ aura pas une vraie Commission Vérité et Réconciliation, c’est impossible», dit Chantal, une déplacée.

Selon les témoignages de ces déplacés, la population et l’administration veulent les chasser de ce site. « Ils disent que nous serions installés sur un terrain de l’Etat où sera construit l’Aéroport de Bugendana».

Pour Oswald Ntirampeba, le responsable du site, utiliser la force ou un ton menaçant ne résoudra rien. « Nous sommes prêts à acheter ces parcelles, mais à un prix abordable pour nous.» Interrogée, l’administratrice de la commune Bugendana, Béatrice Bukuru, n’a pas voulu s’exprimer.

Mutaho, tout va bien malgré…

Pour des raisons de sécurité, les déplacés du site sont réticents à retourner chez eux. Pour l’administration locale, ils doivent partir, car la commune a besoin du terrain et «la sécurité règne à 100%» .

Denis Niyomuhanyi : «Ils vont
partir coûte que coûte»

Nous sommes sur la route nationale N° 15, au chef-lieu de la commune Mutaho, à une quarantaine de kilomètres de la ville de Gitega (centre du pays). Des haut-parleurs diffusent des chansons à la mode. Des badauds s’agglutinent pour savourer cette musique. Hommes et femmes, en petits groupes, sirotent une bière en chuchotant entre eux.

Les vendeurs courent partout, interpellant les clients. C’est le jour du marché. A quelques mètres des bureaux de la commune, le site des déplacés de Mutaho.

Sur quatre rangées, des maisons en briques adobes et en tôles ou tuiles s’étirent sur plus d’un kilomètre. Sous le soleil, des enfants se prélassent sur les nattes étalées devant les maisons. D’autres puisent de l’eau à une borne-fontaine. A quelques pâtés de maisons, une maman pile des feuilles de manioc. Sa voisine pile du riz. « C’est le repas du soir», confient les deux femmes, avec un sourire.

Hutu, Tutsi et Twa cohabitent

Créé en 1993, le site de Mutaho héberge 405 ménages et compte plus de 1000 personnes. « Ils sont majoritairement originaires de la commune Mutaho, d’autres viennent de la commune Ruhororo en province Ngozi et dans la moindre mesure de la commune Gihogazi de la province Karusi», explique Janvier Ngezahayo, chef a.i. du site de Mutaho. Les habitants sont de toutes les ethnies (Tutsi, Hutu et Twa).
Pour se nourrir, les déplacés cultivent leurs champs sur leurs collines d’origine. « Mais nos anciens voisins nous volent tout le temps nos récoltes » , se plaint un déplacé. Pour améliorer leurs conditions de vie, ces déplacés font aussi du petit commerce. « Au départ, on recevait de l’aide, mais aujourd’hui personne ne nous assiste.»

«Ils doivent partir»

Selon ces rescapés, pour le moment ils n’ont aucun problème avec les gens des environs. « Lors des manifestations de 2015, les Imbonerakure, en faisant du sport, s’arrêtaient devant le site pour nous intimider. Ils disaient que nous troublons l’ordre public et les gens avaient très peur», témoigne B.M, un habitant de ce site. Malgré quelques frictions, il assure que la situation s’est normalisée.

Ces déplacés indiquent qu’ils ne peuvent pas retourner chez eux parce qu’ils ne se sentent pas en sécurité. « Les relations avec ceux qui sont restés sur les collines ne sont pas au beau fixe ». Tous estiment que ce n’est pas encore le temps de vivre avec les gens qui ont tué leurs familles. « Pourquoi l’administration veut nous chasser alors qu’on ne lui demande rien. Qu’on transforme plutôt ce site en village de paix et que les autres viennent construire ici. »

L’administrateur de la commune Mutaho, Denis Niyomuhanyi, ne l’entend pas de cette oreille. « Ils vont partir coûte que coûte.» Il explique qu’une partie du terrain où est érigé le site appartient à la commune et l’autre aux particuliers. « La commune a besoin de cet espace pour réaliser ses projets de développement. De plus, les particuliers réclament leurs parcelles.» Denis Niyomuhanyi trouve que les raisons avancées par les déplacés ne sont pas fondées. Pour lui, ce sont des prétextes pour rester. «Ils se cachent derrière des mobiles politiques et ils se croient forts et intouchables. Je leur ai toujours dit que la sécurité règne à 100%. Ils doivent partir. » L’administrateur communal les exhorte à retourner chez eux ou d’acheter ces parcelles à leurs propriétaires.

Buraza , «Nous voulons la sécurité, rien d’autre!»

Les déplacés de guerre de ce site ne comptent pas retourner sur leurs collines d’origine. Ils ne s’y sentent pas en sécurité. Ils racontent qu’ils sont menacés par la police et l’administration.

Hermès Habonimana : «Nous ne
vivons pas ici parce que c’est un
paradis, c’est parce que nous
avons des problèmes.»

Colline Buraza. Des montagnes vertes surplombent cette localité du centre du pays dans la province de Gitega. Des bananeraies à perte de vue. Dans les marais, les habitants vaquent tranquillement dans leurs travaux champêtres sans jeter un coup d’œil aux passants qui empruntent la seule route qui mène vers le chef-lieu de la commune Buraza.

Cette voie en terre divise en deux le site des déplacés érigé sur cette colline. Des voitures roulant à toute vitesse soulèvent des tourbillons de poussière. Ce qui semble ne pas gêner des «vieux» assis sur les deux bords de cette route. « Nous en avons l’habitude», disent-ils, fatalistes.

A l’intérieur du site, certains enfants déambulent entre les maisons. D’autres jouent au football avec un «ballon» fabriqué avec des morceaux de sacs plastiques. Au loin, une borne-fontaine dégouline. « Le robinet ne fonctionne plus depuis longtemps», racontent cinq jeunes filles en train de laver leur linge.

Un contraste saute aux yeux. Certaines maisons sont en briques adobes, d’autres en pisé. On remarque aussi de belles bâtisses de différentes couleurs. « On essaie d’améliorer notre vie comme on peut», confie une maman avec un petit sourire au coin des lèvres.

« C’est impossible de retourner sur les collines»

Ce site de déplacés de Buraza a été créé en 1993 après l’assassinat du président Melchior Ndadaye et la crise qui s’en est suivie. Il compte 474 ménages et environ 3 000 personnes à majorité tutsi.

Selon Hermès Habonimana, chef du site, les occupants sont originaires des communes Buraza, Bukirasazi et Gishubi. D’après lui, ils vivent de l’agriculture, sans autre assistance : « Avant la crise de 2015, certaines organisations nous assistaient, mais aujourd’hui on ne voit plus personne.»

Ces déplacés affirment qu’ils ont de bonnes relations avec les habitants des environs du site. « Seuls nos anciens voisins qui sont restés sur les collines constituent une menace», raconte D.K, une rescapée. «Ils nous volent toutes nos récoltes. On se contente de ce qu’ils ont daigné nous laisser», renchérit Pierre, son voisin.

Ces déplacés affirment mordicus qu’ils ne peuvent plus retourner sur les collines. Les raisons sont nombreuses : « Je ne peux y retourner alors que ceux qui ont massacré toutes nos familles sont toujours là», confient certains. «Nous sommes stigmatisés par nos voisins. Même malade, ils ne peuvent pas t’amener à l’hôpital. Allez demander à ceux qui y sont retournés», racontent d’autres. « Dans ce site, nous sommes solidaires. Eparpillés un à un sur les collines, ça risque d’être difficile de survivre», assure Hermès Habonimana.

Des menaces et des fuites

Ces déplacés de Buraza indiquent qu’ils subissent des menaces et des intimidations de la part de l’administration, de la police et quelquefois des Imbonerakure (jeunes militants du Cndd-Fdd). «Ils nous somment constamment de rentrer alors qu’on ne se sent pas en sécurité.» De plus, nous ne sommes pas autorisés à reconstruire même si notre maison s’effondre. «Ils te disent de retourner sur ta colline d’origine.»

Selon ces rescapés, certains d’entre eux ont commencé à fuir depuis la crise de 2015 à cause des menaces. « Notre ancien chef du site, Léonard Barampanze alias Nyangoma, a été tué en mai 2015 et les autorités ont brillé par leur silence.» Cela a poussé des déplacés, surtout des jeunes, à fuir . «Nous ne vivons pas ici parce que c’est un paradis, c’est parce que nous avons des problèmes. Nous voulons seulement la sécurité», insiste le chef du site. Iwacu a essayé de joindre l’administrateur de la commune Buraza, Didace Rutozi, sans succès.

Kabanga, jusqu’à quand la vie dans le camp ?

L’impunité des auteurs des massacres de 1993 et la reprise de la crise politique depuis 2015 sont parmi les raisons majeures qui empêchent les déplacés du site dit « Ryanyoni » de regagner leurs collines.

Dieudonné Bukuru : «Nos jeunes
restent attachés aux bonnes
moeurs »

Situé près du chef-lieu de la zone Kabanga en commune de Giheta, le site des déplacés dit « Ryanyoni » a été créé en 1998 après la réouverture de l’école normale de Kibimba. Dans la fraîcheur de la crise de 1993, ces déplacés avaient d’abord été hébergés à Kibimba.

Le site compte actuellement 240 ménages (environ 1 286 personnes) provenant des communes de Giheta, Bugendana et Ndava. Il est érigé sur une terre domaniale.

« La majorité des déplacés vivent de l’agriculture pratiquée sur les propriétés d’origine. D’autres vivent du petit commerce. Les jeunes font du taxi-vélo», explique Dieudonné Bukuru, responsable du site.

Il se plaint des conditions de vie des déplacés. «Nous sommes fréquemment attaqués par la malaria.» Les déplacés se font soigner dans les structures sanitaires telles que le centre de santé de Murayi, l’hôpital de Kibimba ou le centre de santé de Bukinga.

Toutefois, le responsable du site se réjouit de l’existence des infrastructures scolaires suffisantes. « Les enfants fréquentent les écoles qui leur sont proches telles que l’Ecole fondamentale (ECOFO) Rweru I et II et l’Ecofo de Murayi.» Il apprécie aussi la disponibilité de l’eau potable dont les sources ont été aménagées par l’ONG Solidarité.

Pour ce responsable du camp, il n’y a pas de délinquance dans cette localité : «Nos jeunes restent attachés aux bonnes mœurs »

Par ailleurs, les déplacés cohabitent pacifiquement avec la population environnante. « La sécurité règne à l’intérieur et aux alentours du site ». Propos confirmés par un habitant rencontré dans le site : « Toutes les ethnies se rencontrent dans les fêtes, au marché et dans les églises. Même des mariages interethniques sont célébrés ».

Pourtant, le retour des déplacés sur les collines d’origine reste problématique. Des déplacés affirment qu’ils ne peuvent pas retourner dans leurs propriétés tant que certains de leurs bourreaux continuent à jouir de l’impunité. La crise politique de 2015 n’a rien arrangé non plus. « Si nous rentrons, il y a des ménages qui vivront isolés et il y a un risque que des malfaiteurs les attaquent pendant la nuit.»

Les jeunes eux disent qu’ils n’envisagent pas le retour sur les collines de leurs ancêtres. « Nous sommes nés et nous avons grandi ici. Il est hors question de quitter ce site. Nous risquons de vivre loin de nos écoles et des structures de soin ». Les jeunes demandent au gouvernement burundais de leur construire un village de paix où seraient regroupées toutes les ethnies.

Gihamagara, donner le temps au temps

Le site de Gihamagara, commune Itaba, province Gitega s’est formé quelques années après la crise de 1993.Aujourd’hui, les déplacés y vivent en paix, mais il leur faudra encore du temps pour retourner sur leurs terres.

Placide Habonimana , chef de site
de Gihamagara

Situé sur la Route nationale N° 13 à quelques mètres de son intersection avec la Route nationale N° 8, le site est visible de la route principale. Des maisonnettes entassées, soutenues par de grosses pierres pour résister au vent. Des briques adobes, des planches aux fenêtres, des toits de tôle ou avec des tuiles… Aucun jardin à l’intérieur du site.

Il est 13 h passé. A l’extérieur du site, seuls quelques enfants en train de chanter. A l’intérieur, un petit groupe de femmes bavarde. Deux d’entre elles se tressent les cheveux.

Le site de Gihamagara existe depuis 1998 et rassemble les habitants en provenance de la commune Itaba « Nous avons fui les massacres de 1993 vers la brigade de Mwanzari. En 1998, nous nous sommes réunis dans ce site dans le but de nous rapprocher de nos collines d’origine. Les habitants de ce site viennent de toutes les collines de la zone Itaba », explique Placide Habonimana, chef du site de Gihamagara.

D’après lui, ce camp ne peut plus porter l’appellation de site des déplacés vu qu’il n’abrite pas les déplacés de guerre seulement « Au départ, c’étaient des gens qui avaient fui la guerre de 1993, mais maintenant même ceux qui n’ont pas fui y vivent. Il suffit juste qu’une personne exprime à l’administration sa volonté de vivre dans le site . Cette dernière me demande s’il y a une parcelle vacante et on l’intègre dans le site »

« Nous ne nous sentons pas en sécurité »

Les habitants du site de Gihamagara vivent principalement de l’agriculture. Mais, ils s’occupent aussi avec quelques petits boulots, le petit commerce, comme le site est situé sur un petit centre commercial : Gihamagara.

Ces déplacés ne comptent pas retourner chez eux. Dans leurs collines d’origine, ils ne se sentent pas en sécurité.  » On n’envisage pas rentrer demain ou après-demain. On voit toujours les voisins qui ont massacré les nôtres, mais qui n’ont jamais été punis. Auraient-ils peur de commettre les mêmes forfaits si une bonne occasion se représentait ? Au moindre problème, on a peur qu’ils nous tuent. Même ceux qui étaient rentrés sont revenus en 2015, ils ne se sentaient pas « .

L’administrateur de la commune Itaba n’est pas loin de l’opinion de ce représentant du site. Il dit qu’il préfère laisser « le temps faire les choses. » Toutefois, il les encourage dans leurs conversations quotidiennes. « Ils vont rentrer quand ils se sentiront prêts. On ne peut pas les forcer à rentrer. Mais on essaie d’encourager la cohabitation ».

Les habitants du site disent malgré tout entretenir de bonnes relations avec les voisins sur leurs collines d’origines ou tout autour du site.

Le site est composé de 218 ménages, près 718 personnes. Ils vivent sur une terre qui, jadis, appartenait aux particuliers, mais l’administration leur a octroyé des indemnités.

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Forum des lecteurs d'Iwacu

2 réactions
  1. Mugisha

    Une seule demande à soumettre aux lecteurs, aux chercheurs en sciences sociales et à tous ceux et à toutes celles qui s’intéressent à la problématique burundaise en général et à la question des déplacés au Burundi en particulier: voici une question qui pourrait faire l’objet d’une excellente dissertation doctorale ou d’un mémoire de maîtrise: l’émigration du concept de  »bouclier humain » hors du domaine militaire (et dans le domaine politique: le cas du Burundi. Chercheurs en manque d’inspiration, mettez-vous à l’ouvrage!

  2. Kagabo

    Iwacu, vous avez parler les raisons qui les empêcher de rentrer chers eux, mais vous avez oubliés de parler des raisons économiques? et pourtant ça fait partie des enjeux qui les empêcher de regagner leur maisons ou parcelles d’avant la crise. car maintenant ils occupent les terrains de l’état ou des personnes privées sans payer de location ou autres, c’est ça les raisons majeures. None abandi bo bari barahungiye mu mwonga no mu mashamba ntibagarutse iwabo? kandi bariho amahoro. Abarundi tuzokwama duhendana, nico gituma tutaronka amahoro nyakuri. None ko baja kurima amatongo yabo, kandi kararayo nta nkomyi, ni gute mwodusigurira ko batotahuka? Oya ivyo vyose n’ububeshi. Ego harashobora kuba hari 10-20% boba barahahamutse kubera ivyo babayemwo mais ivyo ntivyobabuza gusubira iwabo. None mwibaza ko iyo baba bakodesha aho bari batari kuba barasubiye iwabo?? Ivyagusa bitera imico mibi. Murantunge

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