Comme il est rare que les propositions d’une commission permanente ne soient pas suivies en plénière, la nouvelle loi régissant la presse est un cas atypique. Au Cndd-Fdd, des députés ont voté contre leur propre travail tandis qu’à l’Uprona, trois tendances se dégagent. Selon des observateurs avisés, c’est un signe d’un climat malsain entre le Cndd-Fdd et son partenaire privilégié.
<doc7743|right>Mercredi, 3 avril à l’hémicycle de Kigobe. La loi régissant la presse est enfin adoptée vpar les élus du peuple après plus de six mois d’analyse par la commission chargée des affaires politiques. Le travail, avoue Charles Nditije, vice- président de cette commission et président de l’Uprona, est remarquable. Selon lui, un accent est mis sur le nettoyage de tous les manquements pour une liberté de la presse véritable. C’est aussi l’avis d’Aimé Nkurunziza, président de la commission.
Pendant la défense des propositions d’amendements, on cherche désespérément à savoir où sont passés plus d’une dizaine de députés Cndd-Fdd de la commission saisie sur le fond. Seul M. Nkurunziza est, de temps en temps, interpelé pour réagir. Après plus de quatre heures de débat, au grand étonnement de Charles Nditije, la plénière rejette les amendements proposés par la commission ad hoc.
D’après lui, le jeu semblait joué d’avance : aucune des propositions de la commission ne sera retenue alors qu’une démarche consensuelle entre les professionnels des médias, la société civile et la population avait été suivie. Par conséquent, 15 députés sur les 17 que compte l’Uprona ne voteront pas la loi sur la presse. Seul Niyoyankana Bonaventure, ancien président du parti du prince Louis Rwagasore, votera pour des raisons personnelles a-t-il expliqué.
Charles Nditije ne cache pas sa frustration. L’article 10, indique-t-il, laisse court à l’arbitraire en intimant l’ordre aux journalistes de dévoiler leurs sources si demandé concernant la sécurité de l’Etat, l’ordre public, le secret défense, etc. « Le même article dans la loi de 2003 stipulait qu’ils ne sont pas tenus de divulguer leurs sources. Cela montrait réellement que la presse est libre pour servir l’intérêt public. » M. Nditije estime que désormais les sources auront du mal à donner des informations de première main et dignes de foi par peur d’être poursuivies ou emprisonnées. « Personne n’aura plus confiance en les journalistes", déplore-t-il.
De plus, il remarque que ce n’est pas en exigeant des sommes énormes que la déontologie sera respectée, soulignant d’ailleurs que sur les 72 articles de la nouvelle loi, 20 (soit 30%) concernent des sanctions : « Demander 3, 8 ou 10 millions de Fbu à un journaliste comme amende est excessif, alors que son salaire n’est pas aussi élevé. » Et d’y voir, de la part du Cndd-Fdd, la volonté ferme et manifeste d’intimider et de mater les journalistes alors que l’on devrait privilégier les échanges, les critiques, les observations et les rappels à l’ordre administratif.
Le Cndd-Fdd contre son propre travail ?
Aimé Nkurunziza finira lui aussi par céder aux caprices de son parti car il estime que la plénière est souveraine et que la position du parti au pouvoir influe beaucoup. Selon lui, ce n’est pas la première fois que cette situation se présente à l’Assemblée nationale : « Cela été le cas lors de l’adoption des projets de loi portant privatisation des entreprises paraétatiques ainsi que ce qui concerne le code foncier. Les commissionnaires ont été contraints de se ranger derrière les propositions faites par la plénière.» Contrairement à Charles Nditije, il reconnaît que d’une manière générale, leurs considérations ont été prises en compte même s’il reste des imperfections en ce qui est des amendes imposées aux journalistes. En outre, il affirme que « ce n’est pas fini puisque le Sénat ne s’est pas encore prononcé. » Et de défendre la position de la plénière : « Loin s’en faut que les députés Cndd-Fdd nous aient contredits. La loi votée n’est pas faite pour les seuls journalistes. Le souci de la plénière est de protéger aussi les citoyens. »
Un jeu qui n’est pas du tout sincère
Sous d’autres cieux, indique un ancien président de l’Assemblée nationale, c’est la commission saisie qui est maître des amendements apportés au projet de loi, pour l’avoir analysé dans tous ses détails. Concernant la loi sur la presse votée par l’Assemblée nationale, « si la plénière est revenue au texte initial établi par le gouvernement, c’est que la commission chargée des affaires politiques n’a pas mûri le projet » précise le président de l’Assemblée nationale. Or, d’après le président de la commission et son adjoint (issus de deux formations politiques différentes, l’Uprona et le CNDD-FDD), ce n’est pas le cas.
<quote>[Nouvelle loi sur la presse : Nditije est contre, Niyoyankana pour. Pourquoi ?->http://iwacu-burundi.org/spip.php?article5277]</quote>
N.B., observateur, explique plutôt que le travail de la commission a été usurpé par la plénière arguant qu’elle est souveraine : « Si réellement le gouvernement était disposé à recevoir tous les points de vue des différents partenaires et s’il en était ainsi à l’Assemblée nationale, la plénière aurait soutenu la commission. »
François Bizimana (Cndd), ancien député de l’EALA (Assemblée législative d’Afrique de l’Est), estime, quant à lui, que le jeu n’est pas sincère au sein des institutions du pays : « Il est évident que le gouvernement est resté campé sur sa position de museler la presse. » Il rappelle que les projets de loi du domaine politico-sécuritaire, qui sont acheminés à l’Assemblée nationale, passent par la première vice-présidence, aujourd’hui dans les mains de l’Uprona. M. Bizimana indique qu’il y a anguille sous roche : « Même si ce n’est pas dit à haute voix, le parti Uprona n’est pas du tout d’accord avec les orientations du Cndd-Fdd. » L’ancien député va même plus loin et considère que c’est une façon pour les députés de dire à Thérence Sinunguruza, vice-président de la République, qu’ils ne sont pas derrière lui. Selon un observateur, Niyoyankana Bonaventure aurait voté pour ne pas désavouer M. Sinunguruza (on se souviendra que le camp de réhabilitation accuse M. Niyoyankana d’avoir proposé M. Sinunguruza au poste qu’il occupe aujourd’hui, ndlr.)
Pour Pr Evariste Ngayimpenda, du courant de réhabilitation de l’Uprona, l’Uprona pro-gouvernemental cache difficilement aujourd’hui sa triste image d’un édifice lézardé. Il condamne les députés : « En entrant à l’hémicycle de Kigobe, ils savaient d’avance qu’ils n’avaient aucune chance de peser sur le vote. Pourquoi, malgré tout, sont-ils restés dans la salle, cautionnant ainsi le vote d’un texte auquel ils étaient opposés ? » Il s’interroge « du vote-séduction » de M. Niyoyankana qui n’avait exprimé aucun désaccord avec son groupe parlementaire : « Le temps nous en révélera les dessous. »