Refus d’implanter des drapeaux et de tenir des réunions ; vol de drapeaux ; messages d’intimidation, … Ce sont quelques-uns des cas d’intolérance politique orchestrés ces derniers jours par certains administratifs à l’encontre de certains partis politiques tels que Sahwanya-Frodebu et CDP. Certains politiques et membres de la société civile se disent inquiets de ces agissements à la veille des échéances électorales.
« Le parti Sahwanya Frodebu déplore le comportement anti-démocratique de certains administratifs qui veulent torpiller le fonctionnement de certains partis politiques de l’opposition. Visiblement, ils veulent que le parti au pouvoir exerce seul ses droits politiques », dénonce Phénias Nigaba, vice-président et porte-parole du parti.
Il évoque de nombreux cas d’intolérance politique qu’a subis son parti ces derniers jours dans différentes localités du pays. Il cite, entre autres, celui qui s’est produit sur la colline Mugina, zone Buseruko, commune Mugina en province de Cibitoke. Selon lui, il a été refusé au parti du Héros de la démocratie d’implanter un drapeau dans cette localité en épinglant l’administrateur communal et le chef collinaire d’être à l’origine de ce refus.
Interrogé à ce propos, Wilson Habiyambere, chef de la colline Mugina rejette en bloc les allégations tout en précisant que les militants du Frodebu n’ont pas respecté la loi en voulant hisser un drapeau là où ils n’ont pas de permanence.
Par ailleurs, le porte-parole du Frodebu dénonce le vol des drapeaux dans certaines localités. « Trois drapeaux ont été volés dans la province de Rumonge par des personnes non encore identifiées ». Il évoque d’autres cas de vol de drapeaux dans la province de Kayanza et dans la mairie de Bujumbura, en zone urbaine de Gihosha.
En outre, au cours d’une réunion tenue à Rumonge le dimanche 7 juillet 2024 à l’intention des membres de ce parti dans la future province de Burunga qui regroupe les provinces du sud-est du Burundi, à savoir Bururi, Makamba, Rumonge et Rutana, Patrick Nkurunziza, président du parti Sahwanya a fait savoir que le responsable des jeunes du parti Sahwanya Frodebu en commune Rumonge aurait été enlevé. Il a demandé aux services habiletés de mener des enquêtes pour retrouver ce responsable.
Le parti CDP visé
Via son compte X, Anicet Niyonkuru, président du parti Conseil des patriotes (CDP), dénonce les agissements de l’administrateur de la commune Vugizo, en province de Makamba pour avoir perturbé la réunion dudit parti prévu le dimanche 7 juillet 2024 dans la même commune.
« L’administrateur communal a refusé que la réunion se tienne au centre de la commune Vugizo. Selon lui, il y avait une autre activité prévue. À notre surprise, l’endroit était vide. Nous sommes partis loin du centre mais là aussi l’administrateur communal nous a fait savoir que c’est occupé », déplore le président du CDP.
Anicet Niyonkuru indique qu’il a dû faire recours à la gouverneure de la province de Makamba, pour une intervention mais Tantine Ncutinamagara n’a fait que « défendre l’administrateur communal » arguant qu’elle ne peut pas y avoir de « réunions de deux partis sur une même colline en même temps ». Cependant, regrette M. Niyonkuru, il n’y avait pas de réunion prévue. Et de préciser que « la réunion s’est tenue loin du centre ».
D’après lui, plus de 300 participants ont été bloqués par un groupe de jeunes Imbonerakure au niveau de Matyazo et Gikuzi, deux collines de la commune Vugizo. « Ils venaient des quatre collines de la zone Gishiha. Seuls six jeunes filles qui sont passées par les marais sont parvenues à nous rejoindre », précise-t-il.
Cette situation s’est produite alors qu’à la veille de cette réunion, un autre incident avait eu lieu dans la soirée. « Dans cette commune Vugizo, des drapeaux du parti CDP ont été arrachés dans la nuit de samedi à dimanche 7 juillet 2024 », informe M. Niyonkuru. « C’est vraiment navrant de constater qu’après avoir remplacé les drapeaux arrachés, ces inconnus ont réédité leur forfait dans la nuit de ce dimanche à lundi ».
Un avenir politique incertain
D’après le président du parti CDP, cette situation augure une période préélectorale très tendue et un très mauvais climat pré et postélectoral. « C’est une intolérance politique que nous mettons sur l’éducation politique du parti au pouvoir envers sa jeunesse d’abord et un manque de directives claires de la part des hautes autorités envers l’administration de base », déplore Anicet Niyonkuru.
Par exemple, explique-t-il, l’administrateur communal ignore que les partis politiques ne demandent pas de permission pour tenir leurs réunions. Ils informent. « C’est pourquoi, quand on informe, la première tendance est de dire non ».
Le président du CDP demande au parti au pouvoir et à la haute structure de l’Etat de donner des instructions claires vis-à-vis de la jeunesse et des administratifs locaux pour barrer la route à ces actes d’intolérance politique. « Sinon, l’avenir proche n’est pas sûr ».
De son côté, Phénias Nigaba plaide pour le respect des libertés publiques et une compétition loyale durant les prochaines échéances électorales. « Nous demandons de laisser les partis politiques aller sur le terrain et exposer leurs programmes politiques et/ou projets de société à la population afin de permettre à cette dernière de faire leur choix librement sans qu’il y ait intimidation », recommande-t-il.
Iwacu a essayé de joindre le ministère de l’Intérieur, mais sans succès.
Réactions
Aloys Baricako : « Le problème se situe au niveau des administratifs à la base »
« C’est déplorable qu’il y ait des cas d’intolérance politique dans ces jours où on croyait que l’espace politique allait s’améliorer. Pourtant au niveau central, c’est-à-dire au niveau du ministère de l’Intérieur, il y a toujours des réunions qui sont organisées avec les partis politiques pour renforcer la cohésion politique et sociale », regrette Aloys Baricako, président du parti Rassemblement national pour le changement (Ranac).
Il tient à préciser que le Forum des partis politiques appelle toujours les formations politiques à ouvrir l’espace politique pour qu’il y ait la liberté d’opinion et une compétition loyale.
Il fait savoir qu’au niveau de la hiérarchie, les administratifs coopèrent avec les responsables des partis politiques. Néanmoins, il épingle le comportement de certains administratifs à la base qui en arrivent à interdire la tenue des réunions. Il s’inquiète justement de l’intolérance politique qui commence à s’installer au niveau de certaines collines et zones.
« Il faut tenir une réunion dans différentes communes et appeler les chefs de zone et de colline pour qu’ils soient informés qu’en démocratie il faut laisser les autres s’exprimer et vulgariser leurs programmes politiques », propose-t-il au Forum des partis politiques.
Il estime que si l’on commence à interdire la tenue d’une réunion à un parti politique, c’est en quelque sorte l’empêcher de diffuser son programme politique. Le risque étant, déplore-t-il, d’emmener la population à élire peut-être des partis politiques qui n’ont pas de programmes.
« Il faut des sensibilisations au niveau des administrateurs communaux, des chefs de zone et de colline pour qu’ils sachent qu’en démocratie, il faut la divergence des idées », recommande le président du Ranac.
Olivier Nkurunziza : « Que les administratifs à la base s’amendent !»
« Quand un parti politique organise une réunion dans une province, dans une commune, il n’y a pas de problème. Mais quand on descend vers les collines, il y a des résistances », s’étonne Olivier Nkurunziza, président du parti Uprona.
Il dénonce de tels cas d’intolérance politique tout en faisant observer que les militants d’un parti se trouvent sur les collines et que ce comportement piétine les principes démocratiques.
« Si un militant participe dans une réunion au niveau de la commune et qu’en rentrant il subit des menaces, cela ne peut en aucun cas favoriser la démocratie au Burundi », déplore le président du parti du prince Louis Rwagasore.
Par ailleurs, il fustige le comportement de certains administratifs à la base qui n’obtempèrent pas aux ordres leur donnés par la hiérarchie tout en regrettant que le cas qu’a subi le parti CDP est arrivé aussi à l’Uprona dans la même commune.
« Comment se fait-il qu’au niveau de l’administration centrale on donne la permission mais qu’à la base il y ait des résistances ?», s’interroge-t-il.
Il fait remarquer que les administratifs à la base se comportent comme des militants du parti au pouvoir alors qu’ils devraient être neutres. Il alerte que ce genre de comportement peut créer des malaises au sein des partis politiques ou provoquer des confrontations en cette période où on approche les élections.
« Il faut que ces administratifs s’amendent avant les échéances électorales », conseille le président du parti du Héros de l’Indépendance, tout en recommandant au ministère de l’Intérieur et à la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) de les rappeler à l’ordre et à la retenue pour éviter d’éventuels débordements pendant les prochaines élections.
Gaspard Kobako : « la radicalisation en période pré ou électorale ne conduit pas à une victoire crédible »
D’après Gaspard Kobako, président de l’Alliance nationale pour la démocratie, ces cas d’intolérance sont de mauvais augure. La fièvre électorale risque, déplore-t-il, de dégénérer en violence électorale.« Celle-ci n’a pas de place dans un processus électoral normal et dans une démocratie. Ceux qui l’orchestrent se décrédibilisent et risquent de donner raison à ceux-là même qui n’avaient pas les moyens pour participer ».
Ce politique déplore qu’au lieu d’éduquer la jeunesse pour promouvoir l’amour patriotique, on le réduit aujourd’hui à sa plus simple expression. Il estime que certains politiciens s’en servent pour semer la terreur, les intimidations et des destructions méchantes des symboles des autres partis. « Ils profèrent des menaces de toutes sortes par peur de la compétition loyale et pour que les autres n’aient pas de la place au soleil ou ne bénéficient pas de la richesse du pays. L’opposition devient la cible. On tente de la casser ou on la casse purement et simplement ».
Selon Gaspard Kobako, il est à craindre que le sang des innocents ne coule encore une fois après avoir chosifié et animalisé les membres des autres partis politiques. « Qui veut tuer son chien l’accuse de rage n’est-ce pas ? Les assassinats, les mensonges, le langage chacal, la radicalisation en période pré ou électorale, etc. ne conduisent pas à une victoire crédible ».
Il appelle tous les politiques à l’unisson pour dénoncer l’attaque et la profanation des insignes des adversaires. Ce ne sont pas des ennemis mais plutôt des partenaires avec qui il faut composer. « La gestion de notre pays doit passer par la tolérance mutuelle et non l’intolérance. Il faut que le processus apaisé qu’on nous a promis le 17 mai 2024 soit traduit en actes. La violence entraine la violence et elle n’a pas de place dans toute société ».
Kefa Nibizi : « Le ministère de l’Intérieur doit donner des orientations claires aux administratifs »
Selon Kefa Nibizi, président du parti Codebu, au fur et à mesure qu’on approche des échéances électorales, on assiste souvent à une certaine intolérance politique. « Cela se traduit par des actes de perturbation des activités des partis politiques soit par l’administration soit par les membres d’autres formations politiques. C’est le cas de vol des insignes du Frodebu dans la province de Bujumbura et dans quelques localités de la province de Makamba. Des administratifs refusent à certains partis politiques de tenir leurs réunions. On l’a entendu en commune Vugizo ».
Il trouve que les administratifs pensent que seul le parti au pouvoir a les prérogatives de travailler dans toutes les régions. Il rappelle qu’en 2020, le ministre de l’Intérieur de l’époque avait donné des orientations claires aux administratifs. « Nous pensons qu’il faut interpeler le ministère pour faire un rappel pour la bonne marche des élections ».
Kefa Nibizi invite le ministère de l’Intérieur et le forum des partis politiques à organiser des rencontres avec des gouverneurs et des partis politiques travaillant dans des provinces et des communes. L’objectif étant de « partager certaines dispositions de la loi régissant les partis politiques « Il propose aussi de permettre des réunions et des manifestations politiques afin de se créer un climat favorable aux élections de 2025. L’administration doit comprendre que les partis politiques ont les mêmes droits ».
Félicien Nduwuburundi : « Soit ils ont un excès de zèle soit ils prennent des initiatives malheureuses »
Félicien Nduwuburundi, président du Forum permanant de dialogue des partis politiques dit être au courant de tels cas d’intolérance politique. Il affirme que c’est un phénomène qui se répète beaucoup plus quand les échéances électorales approchent. « Cela s’est produit en 2020. En collaboration avec le ministère de l’Intérieur, on a su bien gérer ce phénomène et l’ampleur a plus ou moins baissé », informe-t-il.
Dans nos différentes analyses, fait-il observer, ces cas ne s’observent pas au niveau provincial mais ils sont remarqués au niveau de l’administration à la base. Et de se poser la question de savoir pourquoi ce genre de comportement tout en promettant qu’il va prochainement le vérifier.
« Soit les administratifs à la base ont un excès de zèle soit ils prennent des initiatives malheureuses », avance-t-il comme hypothèse tout en s’interrogeant : « les différents partis politiques s’annoncent au niveau de la province et le gouverneur enregistre leurs représentants ? Comment expliqueriez-vous que l’administrateur puisse empêcher un parti politique de travailler alors que le gouverneur est au courant ? ».
Il rejette les allégations selon lesquelles ce serait le parti au pouvoir qui est à la base de tous ces agissements. « Je suis membre de ce parti et j’ai occupé plusieurs fonctions. Mais, je n’ai jamais entendu une seule fois le secrétaire général du parti CNDD-FDD ou le secrétaire provincial donner des instructions aux représentants du parti au niveau province, commune ou colline de torpiller les activités des autres partis politiques », tient-il à rassurer. Et de conclure qu’il y aurait un excès de zèle de la part de ces administratifs à la base pour satisfaire l’un ou l’autre au niveau hiérarchique.
Par ailleurs, M. Nduwuburundi se demande si les partis politiques qui se disent victimes respectent toutes les procédures exigées par la loi. Il estime qu’il y a un alibi de la part de ces formations politiques quand elles disent que l’espace politique est verrouillé.
« Il y a des partis politiques qui n’ont pas de moyens de locomotion et pour justifier leur absence sur le terrain, ils disent que l’espace politique est verrouillé », épingle-t-il.
Félicien Nduwuburundi recommande à l’administration à la base de respecter la loi car, rappelle-t-il, cette dernière reconnaît le multipartisme au Burundi tout en invitant aussi les partis politiques à faire de même.
Vianey Ndayisaba : « Les droits civils et politiques sont bafoués »
« Nous assistons malheureusement à de tels agissements où les symboles de certains partis politiques sont volés ou démolis », déplore Vianney Ndayisaba, coordinateur national de l’Association de lutte contre le chômage et la torture (Aluchoto).
Il trouve que la liberté d’appartenir à une formation politique de son choix est en train d’être violée. « L’espace politique est rétréci. Les droits civils et politiques sont bafoués », dénonce-t-il.
Il demande au ministère de l’Intérieur et à la Ceni d’assainir le climat politique pour que les partis politiques agréés puissent avoir le droit et la liberté d’aller sur le terrain pour tenir des réunions tel que cela est garanti par la loi. « Cela permettra d’avoir des élections apaisées et transparentes », martèle-t-il.
Par ailleurs, cet activiste de la société civile invite les autorités administratives à tous les niveaux à traiter les partis politiques sur le même pied d’égalité. Il exhorte les jeunes affiliés aux partis de ne pas céder à l’instrumentalisation ou à la manipulation. « Nous avons constaté que ce sont ces jeunes qui sont mis en avant dans ces actes d’agression », fait-il observer.
Hamza Venant Burikukiye : « Ce sont quelques deux ou trois cas isolés qui ne peuvent pas du tout être généralisés »
Selon Hamza Venant Burikukiye, représentant légal de Capès +, il n’y a pas à s’alarmer. « Parler de l’intolérance politique pour le moment au Burundi ce serait une tactique politicienne de faire une fuite en avant et pour distraire. C’est aussi purement et simplement une manipulation de l’opinion car, on n’espère rien dans les élections ».
Il considère que ce sont quelques deux ou trois cas isolés qui ne peuvent pas du tout être généralisés par rapport à la situation globale qui prévaut dans le pays. Quant à la tenue des réunions et à l’implantation des drapeaux, il appelle au respect de la loi. « Un drapeau qui est volé par qui ? Pour en faire quoi ? Par contre, il faudrait se réjouir du climat actuel qu’on observe où la cohabitation entre les partis politiques est manifestement bonne. La fièvre électorale n’est plus là si ce ne sont que ces quelques spéculations et ruses politiciennes ».
Hamza Venant Burikukiye appelle à la responsabilité des uns et des autres. Il demande aux « petits partis politiques » de se préparer tranquillement à aller aux élections avec responsabilité tout en étant épris sincèrement d’esprit démocratique.
Il invite l’administration à laisser les partis politiques tenir leurs réunions et campagnes à l’aise dans le strict respect de la loi. Enfin, il appelle la Ceni à être garante des élections transparentes, inclusives et crédibles
1. Vous ecrivez: « « Parler de l’intolérance politique pour le moment au Burundi ce serait une tactique politicienne de faire une fuite en avant et pour distraire. C’est aussi purement et simplement une manipulation de l’opinion car, on n’espère rien dans les élections »… »
2. Mon commentaire
a. Abarundi barayamaze bati: « Inkoni ikubise umukeba urayifata ukayijugunyira kure, kuko nawe hari aho boyigukubita ».
b. Plutot que d’afficher une sorte de solidarite negative avec ceux qui tourmentent les autres burundais, Burikukiye devrait penser serieusement a ces mots celebres du pasteur et theologien allemand Martin Niemoller (1892-1984):
« « Quand les nazis sont venus chercher les communistes,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas communiste.
Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas social-démocrate.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus me chercher,
il ne restait plus personne
pour protester. » … »
https://fr.wikipedia.org/wiki/Martin_Niem%C3%B6ller