L’emprisonnement de Patrice Faye pose de sérieuses questions sur les procédures d’enquête de la justice burundaise.
Rapide. Le 26 mars 2011, le ministre de la Solidarité Nationale, des Droits de la Personne Humaine et du Genre s’adresse à son collègue de la Justice, avec une copie à celui de la Sécurité Publique. Le 25 juillet, après deux arrêts de la justice sur la forme, la sentence tombe sur le fond. La diligence avec laquelle l’affaire est menée surprend. Patrice Faye se voit condamné à 25 ans d’emprisonnement et 25 millions Fbu de dédommagement aux cinq filles l’accusant de viol. Ce procès se voulait un modèle de fermeté, un signal de plus que la justice burundaise n’a pas peur de s’emparer des cas « délicats ». Noble cause. Sauf que l’on a oublié que la fermeté n’est vraiment efficace que si elle est transparente.
Parce que la défense de Patrice Faye souligne sans cesse le fait que les enquêtes aient été menées à charge, au lieu de se baser sur un travail de terrain le plus exhaustif possible pour confronter les propos des uns et des autres. Car Patrice Faye, qui ne comprend pas le Kirundi n’a pas eu de traducteur approprié pour répondre avec aisance aux accusations portées contre lui. Le ministère français des Affaires Étrangères a réagi. « Tout État qui se veut démocratique doit respecter le droit à un procès équitable » rappelle-t-il, pointant aussi « le maintien en détention de M. Faye au-delà du terme légal ».
La coopération en question
« La France souhaite maintenir sa coopération avec le Burundi. Elle attend des autorités de ce pays ami qu’elles respectent les libertés publiques et la bonne gouvernance ». Même si l’on n’en est pas encore au stade des « sanctions », le Quai d’Orsay a été clair sur ce point.
Le Burundi peut-il se passer de la coopération française ? Militaire ( construction de l’amphithéâtre de l’ISCAM, école de police à Bubanza ), dans l’enseignement (appui au Fonds Commun de l’Éducation), dans la santé (le centre antimalaria de Bujumbura, l’hôpital de Buye, l’ANSS…), le secteur social et sportif avec notamment l’action des Pays de La Loire, ou encore l’environnement (reforestation du bassin versant de la rivière Ntahangwa, l’aménagement de la réserve de la Rusizi, des actions sur le lac Rweru, dans la réserve de la Ruvubu)…
Il y a trois semaines, lors du passage du président de l’Assemblée Nationale française, son homologue burundais avait souhaité l’implication de son visiteur pour que la France appuie la seconde phase du Cadre stratégique de croissance économique et de lutte contre la pauvreté.
Me Suzanne Bukuru « l’espionne »
Un pas a été franchi avec l’emprisonnement de Me Suzanne Bukuru, choisie par le ministère de la Solidarité pour défendre les filles qui accusent Patrice Faye. Accusée d’espionnage pour avoir facilité un entretien entre ses clientes et des journalistes français enquêtant sur l’affaire, elle est jetée dans la prison de Mpimba, puis élargie 16 jours après sans autre forme de procès. Or, l’on espionne pour un ennemi, ici celui du ministère de la Solidarité Nationale, c’est à dire du gouvernement burundais. Des journalistes de la chaîne M 6 agents des services de renseignements… français! On aurait aimé en savoir plus.
Malheureusement, et c’est une constance dans cette affaire, parce que la partie officielle s’est refusée à tout commentaire, cela entretient le flou.
Le diable se cache dans les détails, dit-on. La somme de tout ceci crée un véritable malaise dans la communauté expatriée. Depuis la condamnation de Patrice Faye et celle de Mme Suzanne Bukuru, certains investisseurs étrangers au Burundi s’interrogent. Certains songent à quitter le pays. On espère voir un message politique et des actions concrètes menées pour calmer les inquiétudes des uns et des autres (rencontre du Ministère du Commerce avec les hommes d’affaires étrangers par exemple).
Et au final, l’affaire Patrice Faye a véritablement pris l’ampleur qu’on lui a (consciemment ou pas) donnée : une dimension socio-politique. On parle depuis quelque temps d’expulsion. Si ce n’est d’extradition.