Dimanche 30 mars 2025

Politique

L’Histoire du Burundi : otage des luttes politiques

27/03/2025 1
L’Histoire du Burundi : otage des luttes politiques
Les citoyens sont manipulés par des discours politiciens lors des campagnes pré-électorales et pendant les élections.

À l’approche des élections de 2025, l’Histoire nationale est au cœur des stratégies politiques. Des leaders exploitent les blessures du passé pour mobiliser leur base électorale. Ce qui attise des divisions et des tensions. Face à cette instrumentalisation, certains appellent à une mémoire collective apaisée tandis que de jeunes burundais dénoncent une vérité historique déformée par des intérêts partisans.

Les crises cycliques qui ont endeuillé le Burundi, notamment celle de 1972 et d’autres qui ont suivi ont profondément marqué le pays. Aujourd’hui, certains acteurs politiques exploitent ces épisodes tragiques pour mobiliser leurs bases électorales, attisant ainsi les divisions. Cette instrumentalisation soulève des interrogations sur la manière dont l’Histoire est enseignée et transmise aux nouvelles générations.

Pour Olivier Nkurunziza, président de l’Uprona, il est essentiel de ne pas faire du passé un outil de vengeance ou de division. « On ne peut pas oublier l’Histoire, mais il faut éviter qu’elle serve à justifier les tensions actuelles. » Il met en garde contre une manipulation politique de la mémoire collective et plaide pour une Commission Vérité et Réconciliation (CVR) capable d’établir un récit commun avant toute transmission aux jeunes. « Il faut que la CVR ne se contente pas de documenter le passé, mais qu’elle œuvre réellement à la réconciliation en impliquant toutes les communautés et en évitant une lecture biaisée des événements. »

Gaspard Kobako, président du parti Alliance nationale pour la Démocratie (AND-Intadohoka), partage cette préoccupation. Ayant personnellement vécu les événements de 1972, il insiste sur la nécessité d’un enseignement historique fidèle et non partisan. « Une Histoire biaisée ne peut pas mener à un avenir stable. Quand les jeunes n’ont pas une version commune de leur passé, cela devient une bombe à retardement pour l’avenir », avertit-il. Il dénonce ceux qui exploitent les blessures du passé à des fins électoralistes. « Certains politiciens se présentent comme les seuls défenseurs de la mémoire de leur communauté. Mais, en réalité, ils instrumentalisent la souffrance pour se maintenir au pouvoir. »

L’éducation, un enjeu clé pour la réconciliation

Les partis politiques reconnaissent leur rôle dans la transmission d’une mémoire collective apaisée. L’Uprona encourage les jeunes à s’inspirer des figures historiques positives comme le prince Louis Rwagasore, symbole de l’unité nationale. « Nous devons apprendre aux jeunes que le Burundi a aussi une Histoire glorieuse, et pas seulement une Histoire de conflits », souligne Nkurunziza.

De son côté, l’AND-Intadohoka organise des formations pour sensibiliser ses militants à l’importance de l’unité et du rejet des discours de haine. Kobako estime que les jeunes doivent être mieux formés sur l’Histoire politique et sociale du pays afin de comprendre les erreurs du passé et éviter qu’elle ne se reproduise. « Un jeune qui comprend comment et pourquoi le pays a sombré dans la violence sera plus apte à rejeter les discours de haine », explique-t-il.

Pour Kefa Nibizi, président du parti Codebu et membre de la coalition Burundi bwa bose, la solution passe par une restructuration de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) et l’intégration obligatoire de l’« unité nationale » dans les cursus scolaires. Il propose également un programme national de détraumatisation pour aider les victimes à guérir des blessures du passé. « Nous devons nous poser une question simple : Que faisons-nous pour que nos enfants ne répètent pas nos erreurs ? Si nous laissons la jeunesse s’informer sur les réseaux sociaux sans un encadrement historique sérieux, nous la préparons à revivre les mêmes tragédies. »

Malgré ces initiatives, les tensions identitaires restent un levier politique puissant. Kefa Nibizi met en garde contre trois forces qui alimentent ces divisions : des leaders politiques prisonniers de leurs propres traumatismes, des discours victimisant qui séduisent l’opinion ainsi que des acteurs économiques qui profitent des clivages pour asseoir leur influence. « Il faut briser le cycle de la manipulation. Ceux qui attisent les tensions aujourd’hui sont souvent ceux qui ont le plus à perdre si le pays devenait véritablement démocratique et apaisé. »

Si le chemin vers une mémoire collective apaisée semble encore long, l’enjeu est crucial pour l’avenir du pays. Olivier Nkurunziza rappelle qu’ « être Hutu ou Tutsi ne doit pas être un programme politique. Ce qui compte, c’est d’être Burundais et trouver des solutions aux problèmes du pays ».

À l’heure où le Burundi se prépare à une nouvelle échéance électorale, la responsabilité incombe aux leaders politiques de privilégier un discours d’unité plutôt que de diviser. Faute de quoi, l’Histoire risque de se répéter avec les mêmes tragédies que par le passé.

Une mémoire collective et une vérité historique piégées

À quelques mois des élections, la mémoire nationale est instrumentalisée par divers partis. Stéphane Hitimana et un autre jeune qui a préféré garder l’anonymat, dénoncent cette manipulation historique.

Selon ces jeunes, l’histoire officielle racontée par les partis politiques se concentre souvent sur les crises ethniques du passé. « Les événements de 1972, 1993 et la crise de 2015 reviennent sans cesse dans les discours politiques », observe notre interlocuteur anonyme. Il souligne que la formation au pouvoir et ses alliés s’en servent pour justifier leur légitimité et asseoir leur emprise sur l’électorat.

Il estime que le parti au pouvoir, CNDD-FDD, est particulièrement actif dans cette mobilisation historique. « Il va mobiliser non seulement les jeunes mais aussi les adultes en disant ‘‘ Muribuka iyo twavuye ! ’’ (Souvenez-vous d’où nous venons !) », explique-t-il. Derrière cette formule, il voit un message subliminal destiné à rappeler aux électeurs les souffrances du passé pour les inciter à la loyauté envers le régime en place.

Stéphane Hitimana va plus loin. « Le parti au pouvoir pourrait mettre en avant la guerre civile de 1993-2005 et la signature de l’Accord d’Arusha pour montrer qu’il a contribué à la paix et à la réconciliation ». À l’inverse, d’autres formations politiques insistent sur « les luttes contre le colonialisme et les régimes dictatoriaux » pour se présenter comme les véritables défenseurs du peuple.

Nos deux interlocuteurs dénoncent une tendance à la déformation de l’Histoire pour des objectifs politiques. « Les conflits ethniques ou la crise de 2015 sont souvent manipulés », affirme notre source anonyme. Pour lui, ces événements sont instrumentalisés pour légitimer un camp et discréditer l’autre. Il revient sur l’exemple du slogan ‘‘Muribuka iyo twavuye !’’, qui, selon lui, signifie implicitement : « Même si le parti au pouvoir ne répond pas aux attentes de la population, il faut tout de même voter pour lui au lieu de donner sa voix à ceux qui nous ont oppressés lorsqu’ils étaient au pouvoir ».

Stéphane Hitimana enfonce davantage le clou en soulignant que la manipulation ne se limite pas aux discours. « Les massacres de 1972, la guerre civile de 1993-2005 et même les accords de paix sont souvent interprétés différemment selon les intérêts des partis », note-t-il.

Certains acteurs politiques minimiseraient la responsabilité de leur camp pour se présenter comme les seuls artisans de la paix tandis que d’autres réécriraient l’Histoire des tensions ethniques pour promouvoir une idéologie d’unité nationale, parfois au prix d’un effacement des souffrances de certaines communautés.

Un héritage historique toujours conflictuel

Les récits antagonistes entretenus par les formations politiques alimentent encore aujourd’hui les tensions. « Les événements de 1972, les violences post-électorales de 1993 et les luttes de pouvoir entre groupes ethniques continuent de créer des tensions entre les Burundais », observe Stéphane Hitimana.
Le manque de réconciliation et la manipulation des faits ont empêché une véritable guérison collective. « Certains récits minimisent les souffrances de certains groupes, d’autres attribuent une responsabilité unilatérale à un seul camp. Cela ne fait que renforcer les divisions ethniques et sociales », analyse-t-il.

Notre interlocuteur anonyme partage cette inquiétude. Il confie que lorsqu’il entend une version de l’histoire différente de celle qu’il a apprise, il se retrouve souvent dans le doute :« Qui disent la vérité entre ceux qui défendent l’ancienne version et ceux qui défendent la nouvelle ? » Pour démêler le vrai du faux, il adopte une approche critique : « Il faut chercher les origines sociales, économiques et culturelles des auteurs. Comme on le dit souvent : il suffit de lire un ouvrage pour savoir l’ethnie de son auteur. »

Les deux jeunes s’accordent sur un point : l’Histoire restera un levier puissant du mal dans la politique burundaise tant qu’elle sera utilisée comme un instrument électoral.
Stéphane Hitimana appelle à une approche plus critique et équilibrée : « Lorsqu’on entend une version différente, il est important de rester ouvert et de s’interroger sur les sources. Comparer les récits, chercher des faits objectifs et confronter les preuves sont essentiels pour éviter les manipulations ».

Il plaide également pour une reconnaissance sincère des souffrances de chaque communauté : « Tant que l’Histoire servira les stratégies politiques plutôt que la vérité et la réconciliation, nous resterons enfermés dans un cercle vicieux de méfiance et de division. »

Entre Science et manipulation

L’historien professeur Emile Mworoha met en garde contre l’instrumentalisation de l’Histoire du Burundi à des fins politiques. Pour lui, l’Histoire doit être fondée sur des méthodes scientifiques rigoureuses, loin des récits biaisés qui visent à servir des intérêts particuliers.

« L’Histoire doit être scientifique », insiste-t-il, soulignant l’importance des sources et de leur analyse critique. Il regrette que certains écrits historiques soient façonnés par des objectifs idéologiques au détriment de la vérité.

Mworoha pointe également du doigt une tendance à sélectionner certains faits tout en occultant d’autres. Ce qui contribue à une lecture déformée du passé. « On ne peut pas tronquer l’Histoire pour plaire à une idéologie ou à un groupe », avertit-il.

Face à ces dérives, le professeur émérite appelle à une approche méthodique et objective basée sur des preuves tangibles. « L’historien doit rechercher la vérité, même si elle dérange », rappelle-il tout en insistant sur la responsabilité des chercheurs face aux générations futures.

Pour lui, seule une histoire authentique peut permettre aux Burundais de mieux comprendre notre passé et d’éviter les pièges des récits manipulés.

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. Ntakaburimvo

    Cela voudrait-il dire que 51% d’entre nous donnent des voix uniquement à ceux qui auraient uniquement des programmes « ethniques » ? Si oui l’amélioration économique pour le plus grand nombre peut toujours attendre.

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