Les lignes seraient-elles en train de bouger entre Kigali et Gitega ? Trop tôt pour le dire. Néanmoins quelques indices laissent croire que les deux capitales veulent en finir avec ce conflit. Iwacu s’est entretenu avec le politologue Gérard Birantamije.
Kigali, sous certaines conditions, est disposée au dialogue avec Gitega. Comment analysez-vous cette évolution de la situation ?
Ce sont des gestes de bonne volonté tout à fait habituelle quand des Etats en froid retrouvent de nouveaux visages à la tête de leur Etat. A titre de rappel, souvenez-vous des relations tendues entre Kigali et Dodoma sous l’ère Kikwete. Avec l’accession au pouvoir de Magufuli, n’a-t-on pas vu les lignes entre ces deux pays bouger? Magufuli et Kagame se sont rencontrés pour assainir la situation entre les deux pays.
Mais bien évidemment, cela dépend des intérêts en jeu. Le plus souvent, les dirigeants se demandent si cela vaut la peine de rester ou de ne pas rester sous la dictature des humeurs politiques. Pour revenir à votre question, à travers ces gestes, je pense que Kigali a besoin d’en finir définitivement avec ce conflit qui, peut-être, lui prend de l’énergie.
Le rapatriement des présumés putschistes basés au Rwanda est un préalable de Gitega pour la reprise de la coopération avec le Rwanda. Voyez-vous le Rwanda céder aux desiderata du gouvernement burundais?
Ce ne serait pas une première. Récemment, la Tanzanie a remis un opposant congolais. L’extradition n’est pas une décision prise délibérément au gré d’une demande politiquement exprimée.
Concrètement ?
D’un côté, il y a la part du droit qui intervient. Le Burundi et le Rwanda sont-ils liés par un traité d’extradition ? Je ne sais pas. Mais à ma connaissance, cela sera nouveau. Même si cela était le cas, la situation politique et le droit à une justice équitable font que ce processus soit scruté au peigne fin. Sinon, le Rwanda pourrait être condamné parce qu’il a envoyé des opposants à « l’abattoir ».
Quels scénarios possibles ?
Les mécanismes de protection internationale des droits de l’Homme interdisent d’envoyer un demandeur d’asile dans un pays où sa sécurité physique serait menacée. Et beaucoup de pays ont déjà subi les foudres de la communauté internationale à cause de cette pratique. Je pense donc que si les deux conditions sont remplies, rien n’interdirait au Rwanda de répondre positivement à cette requête. Bien évidemment, il reste à savoir si ces conditions sont remplies.
Et si jamais, ce n’est pas le cas. Comment interpréteriez-vous le geste ?
En dehors des deux conditions susmentionnées, ce serait un précédent dangereux. Les Etats veillent beaucoup à ne pas créer des précédents qui ternissent leur image dans le concert des Nations. Quant aux putschistes du 13 mai 2015, sans faire l’apologie des putschs – des conséquences de l’absence de l’enracinement culturel des principes démocratiques -, ils sont généralement poursuivis beaucoup plus pour leur échec que pour l’acte lui-même.
Parce que dans bien des circonstances, ils peuvent se justifier politiquement. Pour ne parler que du cas le plus récent, regardez le Mali. Là-bas, ils ne sont pas inquiétés.
Ne plus figurer sur l’agenda du Conseil de sécurité des Nations Unies. Un vœu pieux pour le Burundi ?
En principe, on ne demande pas ou n’exige pas de ne pas figurer sur l’agenda. Ce sont les actions allant dans le sens de la promotion et de la protection des droits de l’Homme et des libertés qui prouvent qu’on ne doit pas y figurer. Autrement dit, le respect de ces droits et libertés crée un climat de paix et de sécurité en interne, et partant le pays apparaît moins comme une menace à la paix de sa population ou de ses voisins. Si le Conseil de Sécurité des Nations Unies considère que le Burundi doit figurer sur son agenda, c’est qu’il y a encore anguille sous roche, et qu’il apparaît toujours comme une menace à la paix internationale.
Le Haut-commissariat des Droits de l’Homme demande à Gitega plus d’efforts en matière du respect des Droits de l’Homme, mais le secrétariat des Nations Unies remarque des avancées majeures. Pourquoi ce double langage ?
L’ONU est une institution mammouth. Il y a des politiques, des techniciens, des observateurs, des journalistes, des contractuels et des consultants. Les règles qui président au travail des uns et des autres sont diversifiées. Et partant, elles font que les réponses varient en fonction des positions de pouvoir au sein de cette institution. En l’occurrence, le pouvoir politique, le pouvoir technocratique et le contexte du pays sous le feu des projecteurs.
Propos recueillis par Hervé Mugisha