Lors de sa récente conférence de presse publique tenue le 30 décembre, le chef de l’Etat s’est posé plusieurs questions sur l’opportunité de l’Institution de l’Ombudsman et surtout de sa pertinence pour un pays comme le Burundi sous la bienveillance d’un « gouvernement responsable et laborieux ».
« Il faut faire le distinguo entre le rôle joué par l’institution du collège des notables appelés à faire régner la concorde sociale et le travail de médiation de l’Ombudsman qui compte opérer une certaine décentralisation jusqu’au niveau des collines », a tenu à préciser le président de la République.
Petite nuance : « Peut-être que pour être plus proche de la population et renforcer son action, cette institution entend faciliter ses interventions. Mais l’ombudsman ne peut jamais se substituer aux organes de l’Etat ».
Petite clarification du chef de l’Exécutif. « L’institution de l’Ombudsman est là pour essayer de créer un climat d’entente entre les Burundais. Si l’Ombudsman est en train de bien organiser son travail afin d’être plus opérationnel, cela n’a rien à voir avec les organes de l’Etat ».
Mais chose étonnante, fait remarquer le Général Ndayishimiye, ce n’est pas une tâche facile de jouer la médiation entre le gouvernement et la population alors que le gouvernement est là pour répondre à tous les besoins de cette même population.
Selon le président de la République, tout cela tire son origine du fait que différents gouvernements qui se sont succédé abusaient de leur pouvoir, et opprimaient les citoyens. Il explique qu’il y a une nouvelle dynamique, de nouvelles perspectives.
« Maintenant que le gouvernement est juste et équitable, l’Ombudsman risque de se retrouver à court de litiges à régler ». Et de se poser une question : « Si le gouvernement satisfait aux besoins de toute la population, qui ira chercher une quelconque médiation ? »
D’après le chef de l’Etat, les gens n’ont pas encore compris que le gouvernement est le plus grand médiateur dans un pays. « Le gouvernement a le devoir de faire régner l’équité et la justice pour tous les citoyens. S’il y a un médiateur entre la population et le gouvernement, cela signifie que ce dernier n’existe pas, qu’il est démissionnaire, c’est une trahison ».
Pour le président Ndayishimiye, si un gouvernement faillit à sa mission d’assurer l’équité et qu’il y a nécessité d’un médiateur, il se forme deux blocs, il y a la population d’un côté et le gouvernement de l’autre. « En pareille situation, ce gouvernement devient tout simplement une association et non un gouvernement bienveillant, responsable et laborieux ». Et de conclure : « Si un gouvernement travaille pour plus d’équité, satisfait aux besoins de tous les citoyens, et qu’il est responsable et laborieux, il faut se mettre à l’évidence, l’Ombudsman n’est plus nécessaire. Il viendrait jouer quelle médiation quand le gouvernement accomplit sa mission à la satisfaction de la population ? » Pour le président de la République, Evariste Ndayishimiye, « cela ne devrait pas poser de problème ».
Contacté, l’Ombudsman Edouard Nduwimana a promis de s’exprimer ultérieurement. Ce médiateur de la République a été investi le 22 novembre 2016 pour un mandat de 6 ans.
Retour sur les missions de l’Ombudsman
L’institution de l’Ombudsman a pris place dans la sphère politique burundaise avec l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi signé en 2000. L’objet et les orientations de la nouvelle institution sont définis dans la constitution burundaise.
L’article 243 stipule que l’Ombudsman reçoit les plaintes et mène des enquêtes concernant des fautes de gestion et des violations des droits des citoyens commises par des agents de la fonction publique et du judiciaire et fait des recommandations à ce sujet aux autorités compétentes.
L’article de loi ajoute que l’Ombudsman assure également une médiation entre l’administration et les citoyens et entre les ministères et l’administration et joue le rôle d’observateur en ce qui concerne le fonctionnement de l’administration publique.
L’article 244 stipule que l’Ombudsman dispose des pouvoirs et des ressources nécessaires pour s’acquitter de ses fonctions. Ce n’est pas tout. Le même article souligne que l’Ombudsman présente chaque année un rapport à l’Assemblée nationale et au Sénat.
>>Réactions
Zénon Nimubona : « Les mésententes existeront toujours entre l’Etat et la population »
Pour le président du parti Parena, cette institution de l’Ombudsman, peut être supprimée, Mais, la question est de savoir qui la remplacera.
La question est pertinente car, il n’y aura jamais un temps où l’Etat n’aura pas de différends avec la population. Si cela ne se produit pas aujourd’hui, cela se produira demain ou après-demain.
Avant l’institution de l’Ombudsman, il y avait la Cour administrative et son rôle était le même. Une chose est sûre : les conflits existeront toujours entre l’Etat et la population.
Ce n’est pas seulement au Burundi où il y a une telle institution, plusieurs pays du monde en possèdent. Cela est vrai car, tous les gouvernements du monde sont faits par des hommes et des femmes et personne n’est parfait.
Phénias Nigaba : « Un retour en arrière »
Pour le porte-parole du Frodebu, l’institution de l’Ombudsman est consacrée par la loi, notamment la Constitution mais qui trouve son origine dans l’Accord d’Arusha, pas question de la supprimer. « Elle a été mise en place pour aider à la consolidation de la démocratie et le respect des libertés individuelles. La supprimer serait un recul. Ce n’est pas au Burundi seulement où l’institution de l’Ombudsman existe. Nous ne sommes pas plus avancés que les autres pour mettre en cause la pertinence de l’institution de l’Ombudsman ».
Qu’il soit ’’Leta Mvyeyi, Nkozi’’ ou pas, explique-t-il, ce ne sont pas les qualificatifs d’un Etat qui en fait juste. Certains responsables peuvent traiter injustement les citoyens. D’après lui, il est indispensable qu’il y ait une institution qui sert d’intercession pour que ces derniers soient rétablis dans leurs droits.
Ce cadre du parti Sahwanya Frodebu, négociateur de l’Accord d’Arusha, constate que la matière pour cette institution existe encore. Il veut plutôt qu’elle change son mode de fonctionnement afin d’accomplir sa mission en toute indépendance.
Godefroid Hakizimana : « La suppression de l’institution d’Ombudsman ne causerait aucun tort
Pour le parti social-démocrate, la fermeture de cette institution serait bien accueillie. D’après l’ancien ministre de l’Enseignement des Métiers, cette institution n’a rien accompli de visible durant de nombreuses années. Au début, dit-il, on avait divisé les institutions, la chambre basse était dirigée par un Hutu, et la chambre haute dirigée par un Tutsi. Et de compléter que cela a pu gérer les conséquences de la crise de 1993. En mettant en place l’institution d’ombudsman, juge le leader du PSD, aucune règle dans cela n’a été respectée.
Tatien Sibomana : « Ça devrait être la règle d′or que l’Etat soit responsable sans le chanter »
Selon ce ténor de la politique burundaise, il faudrait doter cette institution d′une personnalité qui est à la hauteur des missions lui conférée par la constitution et doté du charisme.
Et de poursuivre que l’institution de l’ombudsman a été instaurée dans la Constitution avec des missions concrètes. « Le président n’est pas sûr que tous les collaborateurs vont bien faire les choses pour l’éternité, d′où il faut surtout chercher stabiliser cette institution qui a été et qui sera au secours de la population. ».
Pour M. Sibomana, il faut doter cette institution de personnalités à la hauteur de lui assurer les missions lui conférées par la constitution et doté de charisme. « Ça devrait être la règle d′or que l’Etat soit responsable sans le chanter. Le tigre ne proclame jamais sa tigritude, il saute sur sa proie et la dévore. C’est le peuple qui analyse et qui juge. »
Kefa Nibizi : « L’institution devrait être maintenue »
Le président du Sahwanya Frodebu Nyakuri Iragi rya Ndadaye estime que si le gouvernement juge qu’il travaille au service de la population et que l’institution n’a plus son utilité, il s’agit d’une auto-évaluation. « Je pense que si ce gouvernement exerçait parfaitement son rôle, on ne peut pas être sûr que tous les gouvernements qui viendraient plus tard en feraient autant. ». Ainsi, donc, pour Kefa Nibizi, l’institution devrait être maintenue.
Ce leader de parti politique estime également que si la constitution qui prévoit le mandat de l’Ombudsman n’est pas modifiée, on ne devrait pas supprimer cette institution. « Peut-être que quand elle sera évaluée sur une longue période et qu’il se trouvera qu’elle a un bilan négatif, là on pourra s’en passer ».
Enfin, M. Nibizi souligne qu’en tenant de tels propos sur l’institution de l’Ombudsman, le président a voulu dire que son gouvernement va œuvrer à la satisfaction du public « de telle sorte que l’Ombudsman n’aura pas matière ».
Juma Rukumbi, directeur de la communication, relations publiques et porte-parole de l’Ombudsman, considère que les gens ont mal interprété les propos du chef de l’Etat : « Le président voulait rappeler à l’ordre tous les membres du gouvernement et les responsables à tous les échelons qui pourraient abuser de leurs pouvoirs. Donc, si tous les dirigeants deviennent justes, cela sera l’accomplissement du mot d’ordre de son gouvernement.» Et de préciser qu’il n’y a pas l’intention de supprimer cette institution.
Il tient à rappeler que l’Institution trouve son origine dans l’Accord d’Arusha avant de figurer dans la Constitution : « La signature de cet accord a vu le jour à cause de l’injustice et la brutalité qui ont caractérisé les régimes de l’époque qui ne faisaient pas grand cas des droits des citoyens. L’institution de l’Ombudsman est consacrée par la Constitution en son article 243 qui stipule clairement ses missions. Donc, ce n’est pas un organe mis en place par un décret ou une loi ordinaire.»
Juma Rukumbi précise que si la suppression de l’Institution de l’Ombudsman est envisagée, il devra nécessairement passer la modification de la Constitution. Et de conclure : « Si l’Institution de l’Ombudsman est consacrée par la loi fondamentale votée par référendum, sa suppression ne peut intervenir que par la même procédure.»
Abbas Mbazumutima, Alphonse Yikeze, Samuel Mbonimpa et Jérémie Misago