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Lettre publique à Mgr Sérapion Bambonanire : suggestions pour les changements nécessaires en vue de renforcer le travail de la CNTB

05/05/2013 Commentaires fermés sur Lettre publique à Mgr Sérapion Bambonanire : suggestions pour les changements nécessaires en vue de renforcer le travail de la CNTB

Monseigneur,

Profitant de l’opportunité offerte par les deux journées portes ouvertes organisées par la Commission Nationale Terres et Autres Biens (CNTB), j’ai l’honneur de vous écrire et demander audience pour présenter les propositions constructives suivantes, qui peuvent déboucher sur une amélioration du travail de la CNTB.

Les « défauts » de la CNTB et ainsi que les solutions proposées, si je puis m’exprimer ainsi, se situent à trois niveaux :

1. L’article 19 de la Loi de la CNTB, qui rend les décisions de la CNTB « exécutoire jusqu’à l’épuisement de toutes les voies de recours judiciaires » : cet article est anticonstitutionnel et contre les principes élémentaires du droit.

La première suggestion serait de sursoir immédiatement toutes les « exécutions » des décisions de la CNTB, pour ne pas engager la responsabilité de l’Etat aux dédommagements en conséquence aux « exécutions ». Le législateur, l’Ombudsman ou la Cour Constitutionnelle peuvent éventuellement aider pour remédier à cet article.
Toutes les décisions, de toutes les commissions, même des Conseils Nationaux, notamment le Conseil National de la Communication ou j’ai eu l’honneur de servir, qui est un organe constitutionnel plus important légalement qu’une commission : même les décisions du CNC sont suspendues au premier appel judiciaire.

Je voudrais rendre hommage à [l’Honorable Festus Ntanyungu, qui a proposé le premier, en date du 24 janvier 2012->http://iwacu-burundi.org/spip.php?article4294], dans les colonnes du journal Iwacu, « la mise à jour des lois régissant la CNTB ».

De même, comme l’a dit si bien, tout récemment, dans les medias, le porte parole de la Cour Suprême : « le législateur devrait se saisir car, d’après la Constitution, ce sont les tribunaux qui jugent. « Malheureusement, la loi régissant la CNTB est une loi d’exception qui prend l’autorité sur la justice, et la lui rend après exécution par la CNTB. Pourtant, jamais une commission ne peut remplacer la justice ! »

Il ne s’agit donc pas d’un conflit entre une commission et la justice comme l’a suggéré récemment publiquement Monsieur KARUMBA de la CNTB, car il ne peut pas y en avoir. Tous les échelons de la justice ont leur raison d’être, pour réviser, à chaque niveau d’appel, si nécessaire, les décisions de la CNTB : la CNTB, comme tous les citoyens et tous les organes de l’Etat, doivent se soumettre à la justice.

L’article 19 soustrait la CNTB à la justice et cela devrait être corrigé. De même, au niveau des ressources humaines, la CNTB devrait être renforcée par un département juridique solide.

En plus de la Cour Suprême, l’Eglise Catholique, si j’ai bien compris, et d’autres acteurs étatiques, ont suggéré récemment, que le cadre juridique de la CNTB pose problème et doit être amélioré.

2. Fonds d’indemnisation, Fonds de Compensation ou Fonds national pour les sinistrés comme le mentionne l’Accord d’Arusha dans son article 9.

La loi de la CNTB devrait être enrichie par un article créant un Fonds de Compensation ou pour les sinistres.

Monseigneur,

Plusieurs illustres intervenants, notamment l’Hon. Festus Ntanyungu en date du 24 janvier 2012, demandent qu’il y ait un fonds d’indemnisation, nécessaire, pour renforcer les capacités de la CNTB.
Tout récemment, Monseigneur Gervais Bashimiyubusa, président du Conseil des Evêques du Burundi, a déclaré dans les medias que le travail de la CNTB n’est pas possible tant que le gouvernement n’a pas encore mis en place le fonds de compensation.

De même, publiquement, en date du 17 janvier 2011, la CNTB que vous dirigez, a déclaré à IRIN, l’organe d’information de l’ONU, qu’ « un fonds d’indemnisation est essentiel. Certaines maisons ont été vendues par le gouvernement, comment vous pouvez dire à l’occupant de les évacuer? "Le fonds de compensation permettra aux Burundais à se réconcilier."

Le Fonds d’Indemnisation n’est pas une question d’argent mais c’est une question de droit et de justice pour les rapatries et les résidents. Deux individus ont souvent tous les deux droits à une même propriété : en vertu de la prescription acquisitive, un principe universel sacrosaint, toujours en vigueur pour beaucoup de résidents, de par le code foncier et la Constitution, et également, il n’y a pas de prescription extinctive à opposer aux rapatriés, qui ont toujours droit a leurs propriétés. La prescription extinctive concerne les créances. Le tort revient à l’Etat du Burundi, qui doit indemniser l’un des deux individus selon les circonstances.

3. Questions de droit : Prescription, Conseil de Guerre, Mainlevée de Saisie et Commission Bagaza, Continuité de l’Etat et loi actuelle sur la responsabilité de l’Etat :

Votre interprétation de la prescription, dans les colonnes du Journal Iwacu, et dans les medias, est incorrecte, en effet vous avez confondu la prescription acquisitive et la prescription extinctive. L’acquisition d’un droit de propriété (résidents) et l’extinction d’un droit de propriété (rapatriés) : il y a eu acquisition légale mais il n’y a pas eu non plus perte de droit de propriété : c’est l’Etat qui a causé et cautionné cette situation pendant 40 ans, et c’est l’Etat qui doit payer pour cela.

La faute ne revient pas à un « groupe d’individus » au sommet de l’Etat, comme vous l’avez indiqué dans votre conférence de presse du 19 janvier 2012, car ce groupe d’individus représentaient l’état en 1972, et il y a toujours continuité de l’Etat.

a. Par exemple, le jugement du Conseil de Guerre de 1972, ce jugement injuste que vous mentionnez souvent, devrait être soumis à la Cour Suprême actuelle par la CNTB pour casser ce jugement. Sinon ce jugement est toujours en vigueur. 

b. Main Levée de Saisie en 1974 : Contrairement a ce qui a été souvent dit par Vous, et Monsieur KARUMBA, malheureusement vous citez uniquement et partiellement le premier article de la « mainlevée  de saisie de 1974 » par le régime MICOMBERO, alors que le deuxième article exclut les immeubles ayant fait objet de transactions ou litiges, qui sont soumis au Ministre de la Justice pour « appréciation souveraine ». Donc, les maisons vendues ou qui font litiges n’ont pas été restitués par le Régime MICOMBERO. De même, vous citez partiellement le premier article, qui exclut aussi les « maisons situées à des locations entièrement désertées par les propriétaires ».

Le Ministre de la Justice de 1972 a mis en œuvre ces expropriations, et mon avis intime est que c’était foncièrement injuste, l’état a commis des injustices très graves, néanmoins on doit reconnaitre que légalement, les expropriations peuvent être effectuées par une décision judiciaire : vous avez souvent dit dans les medias, qu’il faut qu’il y ait un motif d’utilité publique pour faire une expropriation, mais vous avez oublié de mentionner qu’une décision judiciaire peut justifier aussi une expropriation, c’est même dans la constitution actuelle.

a. Le Régime BAGAZA, avec sa Commission de 1977, n’a restitué aucun des biens « expropriés » par le Conseil de Guerre. La loi indique seulement la restitution des biens « laisses vacants ». De plus, l’Etat a laissé s’écouler, de fait, la prescription acquisitive trentenaire, pour tous les propriétaires qui ont acquis les « propriétés vacantes » sans le savoir.

Bref, la responsabilité de l’Etat est écrasante dans le tort qu’elle a fait aux rapatriés et aussi vis-à-vis des résidents.

Monseigneur,

La CNTB sous le leadership de l’Abbé Kana, a ingénieusement cherché à ménager le « chou » et la « carotte » en essayant de partager en deux les propriétés entre les deux parties. Les résultats étaient mitigés car la justice consiste en l’indemnisation totale ou substantielle d’une des deux parties par l’Etat.

Par conséquent, la CNTB sous l’Abbé Kana ne pouvait pas non plus réussir sans Fonds d’indemnisation : une des deux parties ou les deux parties, étaient insatisfaites, et dans certains cas, ils allaient plus loin en appel pour un long litige judiciaire.

L’évaluation des indemnisations totales necessaires pour le Fonds d’Indemnisation devraient être faites par des experts, pour éviter les tricheries possibles et les fausses réclamations. Certaines évaluations suggèrent 700 milliards de FBU pour l’indemnisation totale, mais cela pourrait être faux : en effet, certains cas, visiblement fallacieux, comme la RUZIZI dont les 325 hectares réclamés, selon les medias, sont déjà dans les 50 milliards d’indemnisation: peut-être qu’il y a parfois des réclamations incorrectes, et le budget serait peut-être de « seulement » 100 milliards. Quoi qu’il en soit, quel que soit le cout ou le budget, la justice envers les rapatriés et les résidents, exige que ce montant soit paye aux ayants droits, même si ce montant devrait être échelonné sur 5 ou 10 ans.

L’Etat ne peut pas et ne va pas se dérober au devoir de corriger les erreurs commises dans le passé, non pas par « quelques individus », mais par les représentants légaux de l’Etat en 1972.

Aujourd’hui, Vous êtes dans la position de représenter l’Etat en 2012. L’hypocrisie serait de ne pas reconnaitre la responsabilité et la continuité de l’Etat jusqu’aujourd’hui. L’honnêteté intellectuelle serait aussi de citer l’entièreté des documents historiques et de ne pas tronquer ou lire partiellement les différents documents de l’Ere Micombero, Bagaza et surtout pas, sous l’angle qui nous arrange,

Veuillez aussi lire les lois actuelles. La Constitution, actuelle, de 2005 dit en son Article 23 « l’Etat a l’obligation d’indemniser toute personne victime de traitement arbitraire de son fait ou de fait de son organe ».

Concernant la responsabilité de l’Etat, les tribunaux d’exception, comme le Conseil de Guerre de 1972, sont de la responsabilité de l’Etat du Burundi, de même que les expropriations qui en ont découlé.

Dans différents pays, pendant les périodes de troubles, par exemple en France, pour votre information, il y avait jusqu’en 1982, la Cour de sûreté de l’État, avec notamment des juges militaires pour juger des civils.
Les Etats-Unis ont, plus récemment, en 2002 sous le Président Bush mis en place un tribunal militaire d’exception pour juger les civils « terroristes » de Guantanamo, mais la Cours Suprême des Etats-Unis, a , quelques années plus tard, supprimé ces tribunaux pour inconstitutionnalité, etc.

L’Etat du Burundi, en 1972, par ses représentants, a dépassé toutes les bornes de l’injustice, expropriant, tuant et chassant les citoyens, et aujourd’hui, l’Etat du Burundi en 2012, doit corriger, réparer et indemniser. Nous devons tous accepter d’en payer le prix aujourd’hui.

Surtout, le premier pas, urgent, serait d’enlever l’article 19 de la loi de la CNTB, et suspendre les exécutions des décisions de la CNTB, pour que l’Etat actuel et futur, ne devienne pas responsable d’autres dédommagements supplémentaires du fait d’exécutions par la CNTB, avant la fin des recours judiciaires.

Espérant une suite favorable à ma requête d’audience, je Vous prie d’agréer, Monseigneur, l’expression de mes sentiments respectueux.

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