Chers collègues,
Premièrement, j’aimerais que vous sachiez que vous faites honneur au journalisme. Ce que vous avez fait, c’est ce qu’aurait fait tout journaliste qui aime ce métier, le respecte et le valorise : aller sur terrain, écouter, regarder, poser des questions, essayer de comprendre, confronter les versions, vérifier, revérifier…C’est difficile. Souvent risqué. Mais c’est ça ce métier ! Les raccourcis, ça existe. Et par les temps qui courent au Burundi, ils (les « médias » ) sont nombreux à y recourir, à avaler et faire avaler au public des communiqués « officiels », à écrire pour faire plaisir, à caresser dans le sens des poils… « Malheur aux yeux fermés » disait un poète. Les vôtres étaient ouverts.
Le contexte n’est pas facile. Mais la bonne nouvelle est qu’il a permis de séparer le blé de l’ivraie. Parce que, voyez-vous, tout le monde peut mettre « journaliste » sur son CV. Mais le tamis reste ce contexte, ces difficultés, ce terrain parfois glissant. La crise que nous traversons aura au moins l’avantage de nous révéler au public, de nous révéler à nous-mêmes, ce que nous avons vraiment « dans le ventre. »
Ma prière est que cet attachement au « vrai » journalisme vous rende plus forts et que vos sacrifices actuels portent des fruits, au centuple. Ceux qui vous ont arrêtés peuvent haïr ce que vous faites tel un malade dégoûté par sa pilule amère, mais le Burundi en a besoin pour guérir, se reconstruire, avancer, … Certains de ceux qui réclament « votre tête » ont un jour fait recours à vous, à votre micro, votre voix, … Adolphe, le pauvre chauffeur ne devait même pas être là. Mais Christine, Agnès, Terence et Egide, ne soyez pas rancuniers ! Vous alliez faire votre travail. Accomplir votre mission. Vous êtes « les voix du Burundi. » L’histoire, la même qui nous apprend que l’homme n’apprend rien de l’histoire, vous le rendra.
Je ne verse pas dans l’angélisme, vous n’êtes pas des super « héros », certainement que cet emprisonnement pèse lourd, sur vous, votre moral, vos familles, nous vos confrères. Parfois le découragement pointe ! C’est terrifiant ! Je n’ai pas de recette magique à vous donner pour surmonter l’épreuve. Nous sommes tous des humains. Y compris les responsables de votre détention. Mais je vis avec l’espérance que l’amour que vous avez pour ce métier et ce petit pays meurtri vous aidera à résister, à rester debout !
Armel Gilbert Bukeyeneza, journaliste reporter/ Correspondant Le Monde pour l’Ouganda et le Burundi.
Ancien journaliste à Iwacu.
Note de la Rédaction
Non, cher Gilbert, tu n’es pas « ancien » d’Iwacu, tu es toujours des nôtres, avec nous. La preuve , ta lettre, ce véritable cri du cœur. Nous l’imprimerons pour la faire parvenir à nos collègues dans les geôles. En leur nom, en notre nom, nous te disons merci.
La rédaction d’Iwacu