Lundi 23 décembre 2024

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Les vies brisées de Rwembe

Deux ans après la mort de Léandre Bukuru, un militant du MSD à Gitega retrouvé décapité et plusieurs autres citoyens tués, torturés, les familles des victimes de Rwembe pleurent toujours. Le tortionnaire lui a été libéré.

Gaston Gahungu : « Je peux être tué à tout moment » ©Iwacu
Gaston Gahungu : « Je peux être tué à tout moment » ©Iwacu

Traumatisés, séparés, désespérés, handicapés, appauvris, les victimes des exécutions et tortures par Michel Nurweze alias Rwembe, souffrent.
2011 restera une année noire dans l’esprit de nombreux habitants de Gitega et des provinces frontalières. De mai à novembre, ils assistent à des assassinats horribles. Entre autres, celui de Léandre Bukuru.
Ce commerçant de friperie au marché de Kinindo, également militant du parti MSD, avait été enlevé le 13 novembre 2011 à 7 heures à son domicile, sis quartier Shatanya 3 de la ville de Gitega. Son corps sera retrouvé le lendemain dans la commune de Giheta. Décapité. La tête sera découverte après trois jours dans les latrines d’une église protestante à Giheta.
« Contre qui avons-nous péché ? », demandait Jeannette Inamahoro, veuve de M. Bukuru. Le crime avait choqué l’opinion. Les défenseurs des droits de l’homme, des citoyens épris de justice, etc., avaient élevé leurs voix pour dénoncer cet acte d’une rare atrocité.

L’après assassinat

La pauvre veuve ignore les raisons de l’assassinat de son mari. En plein deuil, elle est intimidée. Des sources concordantes affirment que des agents du Service des Renseignements à Gitega et de l’administration communale lui dirent d’adopter un profil bas et de ne pas poursuivre en justice les bourreaux de son mari.
Mme Inamahoro, confie G. P., membre de sa famille, sera alors recrutée au chantier de l’Université polytechnique de Gitega comme magasinière. Pas pour longtemps, pour s’en débarrasser, témoignent d’autres sources à Gitega, elle sera accusée de détournement des matériaux de construction et mise au chômage. D’après nos sources, elle aurait été contrainte à se « méconduire » pour faire vivre ses deux enfants.

L’exil

Des mois passent. Nous sommes en 2012. Un jour, un groupe d’hommes inconnus s’improvisent à son domicile. D’après l’Aprodh, elle sera victime d’un viol collectif. Jeannette Inamahoro s’en remet à l’Aprodh pour sa protection.
D’après Pierre Claver Mbonimpa, le patron de l’Aprodh, elle sera hébergée pendant deux semaines. Un conseil de famille, fait-il savoir, s’est réuni. Il décida que la veuve de Léandre Bukuru aille vivre à Ngagara, chez sa cousine. Mais vite, les bourreaux de son mari la traquent de nouveau. « Sa cousine est venue nous demander de la reprendre de peur qu’elle ne soit attaquée »,  déclare M. Mbonimpa.

Un autre bienfaiteur se propose de payer son loyer à Kanyosha. Deux mois plus tard, le même scénario se répète. L’Aprodh décide de l’évacuer dans un camp de réfugiés situé dans l’un des pays frontaliers. Elle est aujourd’hui entre les mains du Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR). Toutefois, l’Aprodh nous apprend qu’elle vit séparée de ses deux enfants. Ces derniers sont gardés au pays dans un centre pour orphelins. Et chaque fois que Jeannette Inamahoro appelle au pays, révèle l’Aprodh, elle est pleurs. Traumatisée, la jeune veuve d’une trentaine d’années, estime que justice lui sera rendue un jour.

D’autres vies bouleversées

Il n’y pas que Jeannette Inamahoro qui a été persécutée après l’assassinat de son mari.
En guise de rappel, le 5 août 2011, dans la même ville de Gitega. Médard Ndayishimiye, représentant du parti FNL (camp Agathon Rwasa) dans la province de Mwaro, a été arrêté. Selon des informations recueillies à Gitega, il sera conduit dans un véhicule blanc double cabine, vers Bujumbura.
Le lendemain, il sera retrouvé mort dans la zone Ngoma dans la commune Musongati, de la province Rutana.

Maxime Ndika : « Je n’ai plus d’héritier dans ma famille » ©Iwacu
Maxime Ndika : « Je n’ai plus d’héritier dans ma famille » ©Iwacu

Le père de ce jeune diplômé trouve difficilement des mots pour décrire le vide laissé par son fils aîné: « Je n’ai plus d’héritier dans ma famille ». Il regrette que toutes les terres familiales soient héritées par d’autres. Tenant ses joues, M. Ndika indique que depuis la mort tragique de son fils, c’est la désolation et beaucoup de projets sont tombés à l’eau. Exhibant une centaine de planches rangées dans son salon, Maxime Ndika souligne qu’avec son fils, ils aspiraient à un avenir meilleur en équipant leur maison avec des chaises, des tables…

Les bourreaux de son fils, dit-il, l’ont castré. Pointant du doigt l’une des photos exposées dans son salon, il montre un jeune garçon : Il s’agit de Fabien Ndayizeye, son deuxième fils, enrôlé dans les rangs du mouvement CNDD-FDD et tombé sur le champ de bataille en 2003 : « Il n’avait que 15 ans et était en 6ème année. » Médard était donc le fils qui lui restait. Fondant son espoir sur lui, il déclare : « Je suis sans défense et les bandits n’hésitent pas à venir le menacer même en pleine journée. »

Les accusations contre OPP2 Michel Nurweze alias Rwembe :
– L’assassinat de Léandre Bukuru, un habitant de la ville de Gitega le 13 novembre 2011 par préméditation. Une infraction punie par l’article 213 du code pénal
– Tentative d’assassinat de Philibert Kimararungu, le 17 juin 2012, un autre habitant de la colline Songa, commune et province Gitega. Une infraction prévue par l’article 14 et punie par l’article 213 du code pénal.
– Les tortures infligées à Zacharie Ngenzebuhoro, une infraction prévue par les articles 204 et 205 du code pénal.

Quant au procès de Michel Nurweze, M. Ndika est direct : « Je n’ai pas le courage de porter plainte contre Rwembe parce qu’il était l’envoyé du gouvernement. Le verdict rendu est une honte pour la justice burundaise. » Pour lui, Rwembe devait répondre de ses actes.

« Le procureur de la République à Gitega m’a empêché de faire appel »

Parmi les victimes de Rwembe, Juvénal Havyarimana (ou Juv pour les intimes), cet élève, originaire de Bugendana et militant du parti MSD. Enlevé le 28 mai 2012 vers 21h à la 3ème avenue du quartier Magarama à Gitega, son corps sans vie sera retrouvé le 5 juin à Nyabihanga (Mwaro). Il était en état de décomposition. Sa sœur, Mme Imelda, encore sous le choc, indique que la mort de leur frère a laissé un vide : « Il est irremplaçable. » Leur papa, un veuf, ne s’en remettra jamais. Imelda explique qu’après la déclaration du jugement rendu contre Rwembe, elle est tombée en syncope : « Surtout que des témoins existent. » Cependant, elle estime que plus les jours passent, plus les témoins deviennent réticents parce qu’ils craignent pour leur sécurité : « Comment peut-on oser accuser quelqu’un soutenu de la base au sommet des institutions ? » Et de demander la protection des témoins : « J’ai été au parquet de Gitega au mois de juillet pour faire appel. Le procureur brandit la présence des témoins. » Tout est bloqué, conclut-elle.

Des handicapés aussi

Philbert Kimararungu, ce citoyen de la colline Songa de la commune Gitega rural a échappé à la mort. « C’est grâce à la bonté divine s’il est encore en vie », bredouillent sa femme et les voisins.
Dans la nuit de samedi, 8 octobre 2011, ce père de cinq enfants a été poignardé vers 22 h par un groupe de policiers. A la tête, témoigne Gaston Gahungu, ancien chef collinaire de Songa, Michel Nurweze alors commissaire adjoint de police à Gitega. Il sera secouru et soigné par l’Aprodh. Aujourd’hui, sa vie a changé : « Je vivais de mes champs. Les blessures m’infligées ne me permettent plus de cultiver. Je suis un cadavre ambulant. »
Dans ce dossier de M. Kimararungu, son témoin principal était Gaston Gahungu, déchu de ses fonctions par l’administrateur communal de Gitega pour avoir dénoncé le « système ».

« Je vis la peur au ventre »

Après l’acquittement de Rwembe, Gaston Gahungu, 54 ans, se dit traumatisé : « Je peux être tué à tout moment. » Il estime que seul Dieu est son ange-gardien. Découragé, il ne trouve plus la nécessité d’envoyer les enfants à l’école : « Comment un magistrat qui a fait quatre ans de droit à l’Université peut-il aller jusqu’à blanchir Rwembe, un coupeur de tête sans scrupule ? »

Quid de la protection de Gaston Gahungu ?

Interrogé, Pacifique Nininahazwe, président du Forum pour la Conscience et le Développement (Focode) indique qu’il n’y a pas une protection spéciale. Seulement, précise-t-il, « nous restons en contact avec lui et chaque fois qu’il est menacé, nous alertons les organes habilités à le protéger ». Ce n’est pas suffisant bien sûr. Selon lui, le gouvernement devait assurer sa sécurité parce qu’il a osé défendre son peuple.
Même son de cloche chez Pierre Claver Mbonimpa : « C’est lui le garant de la sécurité publique. » Pour M. Mbonimpa, c’est regrettable que le gouvernement ne soit même pas à mesure de sanctionner un officier de police qui agit contre la déontologie de son métier. Il estime que si aujourd’hui, des gens continuent à être massacrés, c’est parce que leurs bourreaux savent qu’ils sont protégés. Et de s’interroger sur cette impunité : « Je ne doute pas qu’un jour, elle se retournera contre ceux qui la confectionne aujourd’hui. »

OPP2 Michel Nurweze alias accueilli en héros : lors de sa libération, OPP2 Michel Nurweze alias Rwembe est accueilli en héros par certains des membres du parti au pouvoir Cndd-Fdd. Il a eu droit à une manifestation de soutien. Un cortège d’une dizaine de véhicules et d’une vingtaine de motos ont fait le tour de la ville de Gitega avant de se diriger vers la périphérie nord de ce centre urbain à l’endroit communément appelé Ku Masanganzira où une réception était organisée dans une buvette de la place.
Me Alexis Nkurunziza : « Il a été juste et nous sommes satisfaits malgré que notre client n’ait pas été blanchi » ©Iwacu
Me Alexis Nkurunziza : « Le procès  a été juste et nous sommes satisfaits même si notre client n’a pas été blanchi » ©Iwacu

Le verdict rendu contre Rwembe

Le verdict est tombé le 12 août 2013. La plupart des charges portées contre Rwembe ont été levées notamment l’assassinat de Léandre Bukuru et les tortures infligées à Zacharie Ngenzebuhoro de la commune Butezi, province Ruyigi. Comme sanctions, OPP2 Michel Nurweze alias Rwembe est condamné à trois ans de prison et au paiement d’un million de francs burundais en guise de réparation. Pour le cas de Philibert Kimararungu, natif de la colline Songa, commune et province Gitega, le tribunal a décidé que ce dernier n’a pas été « torturé » : il s’agit de simples blessures.
Comme il venait de passer plus d’une année sous les verrous, OPP2 Michel Nurweze alias Rwembe est libéré le 13 août 2013.

« Il a été juste et nous sommes satisfaits malgré que notre client n’ait pas été blanchi »

Pour Me Alexis Nkurunziza, avocat de M. Nurweze, il n’y avait aucune preuve pour inculper l’ex-commissaire de la police à Gitega. Tous les témoins n’ont pas pu trouver des éléments de charge valides montrant que mon client est responsable de l’assassinat de Léandre Bukuru et autres. A ceux qui accusent cet ex-commissaire d’avoir mandaté des gens pour commettre ces crimes, dit-il, la réponse est simple : « En matière de la justice, la responsabilité pénale est personnelle ». Une odeur politique dans l’analyse de cette affaire ? Maître Alexis Nkurunziza répond par la négative. Cependant, lui aussi reconnaît que des crimes ont été commis et qu’il a besoin de savoir réellement ceux qui ont commis tous ces crimes dont son client était accusés. Pour lui, OPP2 Michel Nurweze alias Rwembe devait être blanchi.

Forum des lecteurs d'Iwacu

9 réactions
  1. bayingani

    C’est horrible. Quelle justice!!!! pauvre BURUNDI .
    Mais ce dont je suis sur et certain ce rwembe aragowe la je dis la verite. Muntu uriko urica mugenzawe , umwaka ubuzima utamuhaye, ngo ufise abagukingira mon frere uri ikijuju. Je te fais quelques jours tes protecteurs d’aujourd’hui ne seront pas la et toi ou seras-tu avec ta famille?
    Uragowe muntu uriko urica abantu kugirango abandi boroherwe le monde a evolue, ignorons la justice burundaise d’aujourd’hui, demain on aura la meilleure.

  2. " akamaramagambo, mukunda"

     » Akaryamwenda karawishura……… »

  3. Kabaza

    Quand ils ont pris les armes ces dd, tout hutu croyait que le sauveur est venu.
    Mais voila que ces meme hutus sont menaces et tues comme des mouches. Les histoires des hutus et des tutsis sont terminees,maintenant ils rivalisent dans les pillages, les tueries,tous les malheurs que le burundi n’a pas connu. Igihe bari mwishamba bica abana,abakecuru, barisha amazirantoke abantu. Uwabaye imbwa ntaba inka. ce sont les memes tueurs d’hier qui ont change de place (de la brousse en ville). Ngo urutoki rwamenyereye gukomba rwama ruhese.
    C’est pas encore terminer.
    De la tete du pays jusqu’au simple chef de la colline, c’est le desordre et la terreur. Le burundi merite mieux que cela. Ntamvura idahita!

  4. Giga

    Chers Elyse/Renovat,

    Vous venez d’informer gratuitement les bourreaux de Leandre Bukuru pourqu’ils poursuivent la sale besogne conte la veuve. J’espere tout simplement que vos qualificatifs (…pays frontaliers, camp de refugies, centre pour orphelinat… i au fait il y en a combien avec camps de refugies) ne correspondent pas a la realite. Sinon, je vous propose de songer a retirer cet article ou penser a avertir cette maman et ses enfants de changer d’addresse. Hakagira ico baba, vous y auriez contribue moralement.

    • Nshinyabigoye

      Ce journaliste vient d’achever et d’assaumer cette veuve, toute verite n’est pas bonne a dire et mon conseil est celui-ci: Vous auriez pu livrer cette information seulement si la veuve aurait trouver un refuge sur. Nous vous demandons de s’engager.

  5. PatricK

    Mana dusenga!Aho abo ba Rwembe n’aba chefs babo barajaho bakirindisha ngo niko bizohora!!?Barahumba,c’est juste une question de temps.Kandi ndaba si kera.

  6. GASHURI

    .Un article professionnel écrit par un vrai professionnel. Merci à Iwacu et continuez de nous informer même si le pouvoir ne le voie pas d’un bon œil. Concernant le procès de RWEMBE, le ridicule ne tue pas. On a accusé pendant des années les pouvoirs précédents d’être mono-ethniques et dictatoriaux. Au moins ces pouvoirs-là qui se sont succédés à la tête du Burundi depuis NTARE RUSHATSI CAMBARANTAMA étaient compétents, visionnaires et ont laissé des progrès visibles, palpables à tous les niveaux. Les systèmes éducatif et sanitaire étaient meilleurs. Les infrastructures aussi. Ces pouvoirs-là, disons-le, Tutsi, ont été remplacés par une dictature Hutu incompétente, médiocre et sans aucune vision nationale. Le cas de RWEMBE est un exemple parmi tant d’autres de ce que ce pouvoir Hutu issu du CNDD-FDD est capable en termes d’atrocités et de répression de tous ceux qui ne le comprennent pas et parlent un autre langage que le leur en l’occurrence les militants et autres responsables Hutu du FNL. Le jour où ce pouvoir s’attaquera aux minorités ethniques Tutsi comme il le fait pour les Hutus du FNL, ce jour-là, il devra commencer à compter le temps qui lui reste avant la débandade.

  7. Inès

    Yemwe yemwe, mugabo harya bamenye ko Imana Rurema ariyo yonyene izohora. Amarira n’amaborogo y’abo banyagihugu Imana yo irayumva naho umukuu w’igihugu asa n’uwutayumva.

  8. vios

    Je sinibaza k0 aba bategetsi badutwara batiyumvira kazoza k’abana bariko baravyara,…Amabi nkaya yagirizwa rwembe ntawupfa atayarishe c’est une question de temps.Ico nobabwira nuko ata justice ikibaho muri iki gihugu nukwimenya.
    Mu myaka iheze yari alibi: hutu tutsi,ubu naho n’ibiki????
    Ce pays a ete pris en otage depuis son independance par des incapables qui pour acceder au pouvoir doivent faire beaucoup de cadavres dans une impunite totale,la haine accumulee depuis des annees detruira ce pays tot ou tard,Ivyaba ba DD vyovyo nimwitegure iyindi ngwano irabona kuko ntibageza kurekura ubutegetsi kuko barazi neza ko atambabazi ihari ku mabi bakoze surtout que ubu ibikogwa vyose bimenyekana kandi bikabikwa alors que leurs predecesseurs agissaient a hui clos (akamizwe n’ingoma)
    Rwembe nabo bagukingira vous payerez un jour de tous les malheurs mwakoreye abarundi benewanyu ngaho igitega c’est une verite.

    Ciao

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