Dans la province de Kirundo, les violences économiques basées sur le genre s’ajoutent à d’autres types de violences que subissent les femmes de cette localité. Certains hommes le font après qu’ils aient pris un verre de trop. D’autres le font pour asseoir leur esprit de domination. Les femmes, ne sachant pas par où passer pour dénoncer ces abus, se résignent et acceptent de vivre une vie d’enfer dans le foyer.
A Nyagisozi, une colline de la commune Busoni en province de Kirundo, deux femmes sont assises devant des paniers remplis d’avocats. La première avoue qu’elle n’a aucun problème quant à la gestion des biens de leur ménage. Tout ce qu’elle tire de son petit commerce d’avocats profite à la famille. Elle s’en réjouit tout en reconnaissant que des cas de maltraitance des femmes existent dans son entourage.
A côté d’elle, tout en écoutant le récit, une autre femme murmure avec une voix timide que les violences économiques font partie de son lot quotidien depuis que ses enfants ne vivent plus avec elle. Son mari l’a empêchée d’élever des chèvres et l’a obligée de les chasser de la maison. « Depuis mon enfance, j’élevais des chèvres chez mes parents. Après mon mariage, je les ai ramenées avec moi pour qu’elles puissent nous aider. Mais, mon mari ne l’a jamais accepté », raconte-t-elle.
Elle fait savoir que son mari ne supportait pas de voir les chèvres se multipliaient alors qu’elles appartiennent à sa femme. Chaque fois qu’il rentrait, sous l’effet de l’alcool, la femme raconte qu’il chassait le bétail hors de la maison. « J’ai passé plus d’une nuit dehors avec mes chèvres. Ce sont mes enfants qui le calmaient. Mais, maintenant qu’ils ne sont plus avec moi, élever quoi que ce soit m’est interdit », avoue-t-elle.
Elle regrette avec tristesse que les familles qui gardent ses chèvres profitent du fumier. « Maintenant, je n’arrive plus à avoir avec quoi enfumer mes champs. Le fumier que mes chèvres me donnaient nous aidait beaucoup. Mais, malheureusement, ce sont les autres qui en profitent aujourd’hui », ajoute-t-elle.
D’après elle, les voisins et les autorités locales ont tout fait pour ramener son mari à la raison. Mais en vain.
Privation de toute liberté dans le ménage
Séraphine Nyirabarame fait savoir quant à elle que les violences physiques lui privaient même le droit à la parole. Elle a fini par fuir le ménage. Par rapport aux biens du ménage, son mari lui disait, après plusieurs coups qu’il lui assénés, que la femme n’a pas de parole. « Il me frappait presque tous les jours jusqu’à ce que je décide de partir et d’organiser ma vie autrement », raconte-t-elle.
Après des années de séparation, la femme fait savoir qu’elle a pu s’organiser et qu’elle s’est achetée une petite maison. Quand son mari l’a rejointe pour recommencer la vie ensemble, Mme Nyirabarame a obligé son mari de se faire dépister au VIH-sida pour question de sécurité. Ce que le mari a mal accueilli puisqu’il a décidé de repartir.
Séraphine Nyirabarame trouve regrettable que ce sont toujours les enfants qui subissent les conséquences. « J’élève seule les enfants dans une pauvreté sans nom. Je dois tout faire pour subvenir à leur besoin. Mais, la pauvreté ne me facilite pas la tâche », se désole-t-elle.
Rose Uwimbabazi, une autre victime de violences, raconte avec une grande tristesse que les mauvais traitements que lui fait subir son mari n’ont pas de qualificatif. Déjà, son mari a une deuxième femme. Tout ce qu’elle ramène à la maison est vendu par cette dernière. Depuis qu’elle a refusé de signer pour que les biens familiaux, y compris la maison, reviennent à son mari, le calvaire a commencé.
Elle précise que son mari l’a, à plusieurs reprises, obligée de signer pour la vente de la maison, mais qu’elle a toujours refusé. Le souci de Rose est la protection des enfants même si son mari ne s’en préoccupe pas. « Chaque centime que je gagne, il me le dérobe pour aller partager avec sa deuxième femme », fait-elle savoir.
L’inaction des autorités locales
Théodosie Ndaruzaniye accuse les autorités locales de ne pas être sévères au niveau des sanctions appliquées aux hommes fautifs. En charge de ses quatre enfants, elle décrit sa vie comme une vie d’une divorcée. Son mari, après 7 ans d’absence, est revenu du Rwanda. Il a dilapidé tous les biens qu’elle avait rassemblés. Tout ce qu’elle ramenait de son petit commerce finissait entre les mains de son mari qui le dépensait dans la consommation du vin de banane. Les projets prioritaires de son mari consistent à boire seulement, souligne-t-elle.
Les autorités locales ont fait comparaître son mari. Mais, selon Théodosie, il leur a signifié qu’il a le droit de faire tout ce qu’il veut dans son foyer. « Depuis, j’ai décidé de partir loin de lui pour pouvoir élever mes enfants. J’ai loué une maison dans laquelle je vis avec mes enfants. Je les éduque en les envoyant à l’école et en prenant en charge tout le nécessaire pour leur scolarité », raconte-t-elle.
Théodosie explique que l’impunité est la principale cause de tous les mauvais agissements des hommes de sa localité. « Les conseils de famille se réunissaient pour trancher. Les autorités intervenaient aussi. Mais, après une ou deux semaines, le mal revenait au galop », témoigne-t-elle.
Les autorités devraient, selon elle, revoir les sanctions contre ces comportements. « Les autorités peuvent mettre au cachot un homme. Mais, au bout d’une journée, il est relâché. Donc les hommes ici se disent que quoi qu’il arrive, un cachot d’un jour ou deux ne leur feront pas de mal », déplore-t-elle.
Certains hommes compatissent
Le prénommé Elias reconnaît les mauvais agissements de certains hommes de la localité de Nyagisozi en commune Busoni. Il présente l’ivresse comme cause principale. « Un homme peut vendre une chèvre et décider de se racler la gorge avec une bouteille de vin de banane. Une fois arrivé à la maison, ne sachant pas quoi dire à la femme qui ne retrouve pas la totalité de l’argent, il la gifle », précise-t-il.
Il souligne aussi qu’il y a des hommes qui n’achètent pas un pagne à leur conjointe après la vente des produits que la femme a cherchés. Pour Roger Kayiranga, les biens de la famille appartiennent à l’homme comme à la femme.
Cet enseignant de la localité explique que la femme a le droit d’utiliser les biens du ménage pour l’intérêt de la famille. Il estime que le dialogue est primordial pour la bonne gestion. Selon Roger, les ménages sont multiformes. Mais, il reconnaît que plusieurs d’entre eux connaissent des mésententes.
Les causes de la mauvaise gestion sont multiples. Il cite d’abord l’éducation, ensuite la pauvreté et puis l’égoïsme qui pousse les hommes à se sentir comme les mieux placés pour la gestion des biens du ménage.
Un combat sans merci
Lors de notre passage, dans le bureau de l’administrateur communal de Busoni, une femme tenant un enfant dans ses bras est assise devant l’administrateur Richard Ngabonziza. Une convocation lui est délivrée et l’administrateur lui donne rendez-vous avec son mari. L’administrateur intime l’ordre à la femme de se rassurer que la convocation arrive chez le destinataire.
L’administrateur Ngabonziza affirme lui aussi que les violences économiques qui s’observent dans plusieurs localités de sa commune proviennent en grande partie des hommes qui cherchent à se remarier. Et de préciser que les hommes qui dilapident les biens de leur famille le font pour nourrir une deuxième femme.
En tant qu’autorité, il fait savoir que des réunions se tiennent régulièrement pour faire comprendre à la population en général, et aux hommes mariés en particulier, que la recherche d’un deuxième bureau est illégale. « Nous avons l’habitude de rappeler aux hommes légalement mariés que la famille ce sont deux personnes, l’homme avec sa femme légitime. Pas avec des concubines », fait-il savoir.
Il précise que l’administration communale travaille en étroite collaboration avec les associations féminines qui militent contre les violences faites aux femmes. Elles organisent souvent des séances de sensibilisation dans les zones qui composent la commune. De son côté, il s’est donné la mission de lutter sans relâche contre le concubinage qui est la cause de tous les maux qui salissent sa commune.
Un pas est déjà franchi
Lucie Ntiranyibagira qui représente le Réseau des femmes actrices de paix et de dialogue dans la commune Kirundo se réjouit du pas qui est déjà franchi dans la lutte contre les violences basées sur le genre. L’association s’est fixée l’objectif de combattre les violences dont les violences économiques.
Elle fait savoir que l’association a accueilli à maintes reprises des femmes qui subissent ce genre de violence. Lucie raconte que même dans le cercle des fonctionnaires, des cas de femmes qui n’ont pas droit à leur salaire se font remarquer dans la commune.
Après écoute, l’association organise une séance d’échange et de conseil avec les conjoints. Mais, pour les cas extrêmes, l’association renvoie l’affaire devant les autorités ou les juridictions compétentes.
Dans un intervalle d’un mois, Lucie fait savoir que l’association peut accueillir entre 4 et 6 cas de plainte du moins les cas des femmes qui approchent l’association. « Des cas isolés existent, mais je parle de ceux que l’association enregistre ».
Sans la femme, l’homme n’est rien
Eric Nduwayezu, chef de cabinet du gouverneur de la province de Kirundo assure que les mesures prises pour lutter contre les violences économiques faites aux femmes ont déjà commencé à donner des fruits.
Cet administratif se base sur le pas franchi depuis que les violences qui allaient jusqu’aux meurtres ont commencé à se manifester dans les communes Ntega et Busoni. Il assure que les effectifs de ces violences ont considérablement diminué. « Avant, la fréquence pouvait aller jusqu’à quatre meurtres dans une seule année. Mais maintenant, une année peut passer avec un seul ou aucun cas de meurtre », rassure-t-il.
Il fait savoir que le mot d’ordre reste que sans la femme, l’homme n’est rien. Ce qui fait que l’étroite collaboration est toujours de mise. Il fait savoir que la progression économique n’est effective et totale que s’il y a une bonne collaboration entre époux et épouse.
L’amélioration de la situation à Kirundo est due, selon lui, à des efforts conjugués qui ont été déployés au niveau de la province.
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