Dans la commune Mpanda de la province de Bubanza un cimetière situé dans une localité appelée « Kwa Regina » (Chez Régine en kirundi» est victime de vandalisme ou de profanation. Les croix métalliques, les tôles ou encore les barres de fer qui servent dans la construction des tombes sont régulièrement volées. Les habitants de la localité qualifient ces actes de barbares.
Sur la colline Gifurwe, dans le cimetière dit « Kwa Rejina », un maçon déplace des briques de construction. L’endroit est appelé « Kwa Rejina » parce que la partie qui abrite le cimetière a été achetée à une femme qui porte le prénom de Régine, dit l’administrateur de la commune Mpanda.
A l’intérieur du cimetière, des hommes sont en pleine préparation d’une tombe. Elle est déjà creusée, mais sa préparation est minutieuse. Du mortier et des briques sont déjà en place pour la construction.
En peu plus loin, une tombe ouverte. Les matériaux de construction ont été volés. Un maçon qui n’a pas voulu que son nom soit cité ne cache pas le mépris qu’il a envers les voleurs qui pillent dans les tombes. « Ce sont des brigands qui n’ont aucune valeur morale », lâche-t-il.
Les tombes n’ont pas besoin d’être gardées ou surveillées selon ce maçon. Il fait savoir que, à part ceux qu’il qualifie de vauriens, les Burundais respectent les objets funéraires. « Avant, nos parents nous disaient que, la nuit, dans un cimetière, les morts se réveillent et circulent. Tout le monde craignait les cimetières, surtout la nuit. Mais maintenant, les choses semblent avoir changé. Les pilleurs viennent la nuit et ne se gênent pas », témoigne-t-il.
Les matériaux ciblés sont surtout les plaques métalliques, les barres de fer et les croix métalliques : « C’est pour la vente bien entendu », avoue un autre maçon. Tous les maçons présents sont unanimes. Les objets funéraires volés dans le cimetière sont vendus au kilo. « Avec ces matériaux, les clients se bousculent. Mais, je peux vous rassurer qu’ils ne retournent pas aux pompes funèbres ».
« Si on ne trouve pas parmi les vivants, on se sert chez les morts »
La faim et la pauvreté seraient les causes principales de ce pillage, selon les constructeurs des tombes. L’un de ces maçons affirme que les pilleurs connaissent d’avance les tombes à vandaliser. « Ils sont souvent parmi ceux qui viennent enterrer les leurs. Ils observent et voient les matériaux utilisés. Ils reviennent après tout en sachant à l’avance ce qu’ils viennent prendre », témoigne-t-il.
Pour ce maçon, « les voleurs ont beau chercher ailleurs parmi les vivants et ils n’ont rien trouvé. Donc, dépouiller les morts est leur dernier recourt ». Et de laisser entendre que ce qu’on ne trouve pas chez les vivants, on le cherche chez les morts.
Ignobles
Nadine Nibitanga, administrateur de la commune Mpanda, qualifie ces actes d’ignobles. Elle fait savoir qu’elle a déjà lancé les recherches pour retrouver les auteurs de cette profanation. Elle affirme en outre que certaines tombes ont déjà été recouvertes. L’administrateur de la commune Mpanda est aussi d’avis que les matériaux volés sur les tombes sont destinés à la vente.
Pour la surveillance, Nadine Nibitanga informe que depuis que ces tombes ont été profanées, des patrouilles régulières ont commencé pour empêcher la réédition de ces actes. « Nous avons même entrepris des recherches dans différents marchés de matériaux de construction mais sans succès », assure-t-elle.
En ce qui concerne la prévention contre de tels vols, les maçons ont adopté le système de trouer les tôles avant de les poser. « Maintenant, en accord avec les familles, nous trouons la tôle avant de la poser sur la tombe et une tôle trouée ne sert plus à rien à ces malfaiteurs », avoue l’un d’entre eux.
Un endroit où on ne se comporte pas n’importe comment
Le prénommé Léopold, sexagénaire de la zone urbaine Cibitoke, en commune urbaine de Ntahangwa ne cache pas son indignation face à la profanation des tombes à Mpanda. Il fait savoir que dans le passé, un mort ou sa tombe étaient très respectés. Un mort était, et est jusqu’aujourd’hui chez certains, quelque chose de très respectée plus que quelqu’un qui est encore vivant, ajoute-t-il.
Il raconte que les cimetières sont des endroits où on ne se comporte pas comme on veut. « Les seules personnes qui osaient fréquenter les cimetières, et le plus souvent la nuit, étaient les sorciers. Mais, aller dans un cimetière la nuit pour arracher une croix ou ouvrir une tombe relève d’un grand courage », témoigne-t-il.
Surtout que loin d’être respecté, un cadavre fait peur. Aller jusqu’à violer une demeure d’un défunt serait pour lui la conséquence de la pauvreté qui conduit certaines gens à commettre des actes qui dépassent l’entendement humain.
Il dit qu’il serait difficile de passer la nuit dans une maison qui aurait accueilli des objets mortuaires. « D’ailleurs, nous qui avons grandi dans la foi chrétienne, un mort qui est déjà parti dans l’au-delà est supposé ne plus être dérangé », précise-t-il.
Il ajoute que le « repose en paix » que les familles mettent sur les épitaphes devrait être pris en considération. « Tel défunt a recouvré la paix, sans toutefois dire qu’il est mort signifie qu’il en a fini avec les tourments de la vie sur cette terre. Donc, le laisser tranquille là où il repose est aussi significatif ».
Et de rencherir que « Quand ma mère est morte, mon père nous disais qu’elle est au ciel et qu’elle entend toutes nos invocations, qu’elle voit tous nos faits et gestes. Ce qui explique que nous devons coûte que coûte respecter les morts ».
Il trouve inconcevable que les gens justifient une profanation des tombes par la pauvreté. « Il y a la pauvreté oui. Mais, réveiller les morts est tout autre chose ».
« Les gens sont tenaillés par la pauvreté »
Aloys Toyi, sociologua et professeur d’université, apporte une analyse faite de questionnements sous deux aspects : politique et social. Au point de vue social, la question qui se pose pour lui est de savoir comment se fait-il qu’une catégorie de gens transgresse un interdit socialement reconnu et accepté ou tout simplement commettent sans scrupule un acte socialement prohibé ?
« Faut-il penser au recours aux sciences occultes qui sont difficilement accessibles à une analyse rationnelle ou tout simplement au changement de mentalités qui fait que certaines valeurs traditionnellement admises commencent à perdre leur importance et éventuellement leur raison d’être ? », se demande-t-il.
Il poursuit son questionnement en s’interrogeant si « tout simplement notre société ne fait pas face à une situation de pauvreté accrue. Ce qui ferait que partout où il y a lieu de trouver un peu d’argent même en profanant et la démolissant des tombes pour vendre du matériau récupéré, il faut y aller »
Sa dernière hypothèse qu’il juge plus dangereuse et politique serait que les gens profanent ces tombes par racisme, c’est-à-dire profaner les tombes d’une catégorie de personnes indexées. Selon ce professeur d’université, ce geste serait un geste symbolique de la haine exprimée contre une catégorie précise de personnes.
« Personnellement, je pense que les gens sont tenaillés par la pauvreté. Ce qui fait qu’ils ne reculent plus devant quoi que ce soit pour se procurer à manger. On ne parlerait plus de profanation mais de démolition des tombes pour récupérer du matériau à vendre », conclut-il.
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