Le rapport de Kafando soumis au Conseil de sécurité a créé la surprise. Il salue une nouvelle « dynamique » et Bujumbura jubile. L’opposition ne décolère pas.
Longtemps sur le banc des accusés depuis la crise de 2015, le gouvernement burundais semble avoir convaincu l’émissaire de Guterres. En effet, c’est un vrai plaidoyer en faveur de Bujumbura que M. Kafando a présenté au Conseil de sécurité jeudi 9 août 2018.
La révision de la Constitution, la déclaration du président Nkurunziza de ne pas briguer un autre mandat en 2020 ? « Ce sont deux actes majeurs qui offrent une opportunité à saisir pour avancer dans le règlement de la situation Burundaise. » L’émissaire du secrétaire général des Nations unies va plus loin en évoquant une « nouvelle dynamique » qui permettra d’œuvrer à la création d’un nouvel environnement politique.
Mieux, Michel Kafando estime que la feuille de route de Kayanza contestée par l’opposition est plutôt un document consensuel et mérite des encouragements. « Voilà une initiative que le gouvernement devrait retenir dans la perspective du dialogue inter-burundais pour assurer la meilleure participation possible de toutes les parties prenantes. »
Quid de la question sécuritaire qui a toujours fait débat. Pour rappel, Bujumbura clame que la paix et la sécurité sont une réalité. Ses opposants peignent un tableau plutôt sombre. Le Burkinabè a tranché : Depuis le référendum constitutionnel, mises à part les quelques contestations de l’opposition, la situation demeure calme.
Et concernant la crise humanitaire avec ses centaines de milliers de réfugiés en exil ? Là aussi il ne tarit pas d’éloge sur le pouvoir en place qui, avec la Tanzanie et le HCR ont permis, depuis septembre 2017, le rapatriement volontaire de quelques 35 mille réfugiés Burundais. « Ces efforts doivent se poursuivre.»
Sur le plan diplomatique, là aussi le rapport de l’émissaire de Guterres met chapeau bas pour le pouvoir en place. « Plusieurs délégations de haut niveau des pays et d’organisations internationales ont visité le Burundi ces derniers temps. » Ici Kafando cite entre autres, des délégations de l’Union des Parlementaires Africains, de l’Association des Ombudsmans et Médiateurs Africains, du Forum des Parlementaires de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs, et de l’Union Interparlementaire de l’Organisation Internationale de la Francophonie.
« Des visites qui traduisent la volonté de Bujumbura d’améliorer ses relations avec la communauté internationale. » Un membre de l’opposition dira avec humour qu’il avait l’impression d’écouter Albert Shingiro, le représentant du Burundi à l’ONU, tant il encense Bujumbura.
Enfin, last not least, l’émissaire onusien remet en question les sanctions prises par l’Union européenne. « Les restrictions financières ne sont pas toujours la meilleure solution. » Il encourage le Burundi et l’Union européenne à la reprise de leur coopération.
Un revirement à 180 degré
La question que nombreux observateurs se posent après-coup : pourquoi un tel revirement ? Pour rappel, à la veille de la révision de la Constitution, le secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Guterres, muni du rapport de son émissaire, avait décrié une modification de la Constitution risquant d’exacerber les tensions avec l’opposition. Selon lui plusieurs changements proposés à la Constitution ont été mis en cause par l’opposition « comme des tentatives pour le parti au pouvoir de consolider son emprise, pouvant créer des troubles.»
Disons-le, le rapport actuel de Michel Kafando évoque la fin de la crise burundaise. Selon lui, le Conseil de sécurité devrait inviter les protagonistes de la crise burundaise pour qu’ils participent de bonne foi au cinquième round « pour un règlement définitif de la question. »
Ce rapport présenté au Conseil de sécurité signerait donc une nouvelle approche. Comme si l’émissaire de l’ONU avait pris acte de la situation qui prévaut au Burundi.
Au Conseil de sécurité certaines voix comme la France et les Etats-Unis se sont élevées, comme pour mettre un bémol au tableau idyllique brossé par M. Kafando. Ils ont invité le Burundi à l’amélioration de la situation des droits de l’Homme, élargir l’espace civique, assurer la liberté de la presse et à veiller à la bonne gouvernance.
Interrogé, l’ancien président de la République, Domitien Ndayizeye parle d’un rapport circonstanciel. Selon lui, avec ce rapport, un examen de conscience est lancé à l’endroit des Burundais, à savoir s’ils doivent vraiment attendre quelque chose de la communauté internationale sans poser des actions à l’intérieur. Pour Domitien Ndayizeye, l’absence de guerre n’est pas une preuve de paix. « A voir l’absence des libertés, le verrouillage de l’espace politique, les malversations économiques et autres, je pense que les germes d’une crise sont toujours là. »
La Cnidh parle d’un tableau réaliste dressé par l’émissaire de Guiterres. D’après le président de la Cnidh, Jean Baptiste Baribonekeza les déclarations antérieures étaient manipulées. Et les différentes organisations s’en servaient pour justifier des mesures contre le Burundi.
Une chose est sûre, le langage de certains membres de la communauté internationale a changé. Il traduirait une certaine lassitude, selon certains analystes. Une partie de la communauté internationale pense donc que Bujumbura a fait sa part avec l’annonce du président Nkurunziza de ne pas se présenter aux prochaines élections. Bujumbura pourrait capitaliser sur cette analyse favorable et prendre cette opportunité pour prendre des décisions susceptibles de faire avancer le dégel.
Et l’opposition ? Et ceux qui ont été contraints à l’exil ? Ils doivent désormais composer avec cette nouvelle donne. Pour eux, il va falloir trouver une stratégie et d’autres arguments pour convaincre ou… se plier aux contraintes du temps.