Fondé pour accueillir les enfants handicapés pour leur permettre d’accéder à la rééducation, à la réadaptation et à l’éducation, ce centre est freiné dans son élan par manque des moyens financiers et du personnel qualifié et suffisant.
Dans la salle de kinésithérapie, des cris de petits enfants qui pleurent suite à l’étirement de leurs membres par les rééducateurs. Dans la cour intérieur, des garçons et filles font des navettes. C’est une cour de récréation pas ordinaire : quelques balançoires, petites barres fixes et des anneaux sans doute pour faire la rééducation. A côté, quelques enfants de huit à quatorze ans prennent joyeusement d’assaut un visiteur improvisé dans la cour intérieure. Ils l’entourent et veulent qu’il les touche tous en même temps. « A l’apparence, ils sont normaux, mais la plupart d’entre eux ne peuvent même pas faire pipi sans l’aide de quelqu’un. Ils ont une déficience mentale, » confie Frère Jean de Dieu Ngiye, directeur de l’Institut Médico-pédagogique de Mutwenzi . Fondé le 2 février 1983 par la Congrégation des Frères de Notre Dame de la Miséricorde, l’institut accueille les enfants handicapés mentaux et polyhandicapés. Communément appelé Kwakinoro, le centre a aujourd’hui 75 enfants en traitement dont 53 qui sont à l’internat.
Par manque du personnel qualifié, les enfants dépendants totalement ou partiellement doivent être accompagnés par un parent, un frère ou un employé. Dans ce cas, le centre doit prendre en charge deux personnes à la fois. Comme nous l’a confié le directeur de ce centre, la ration est insuffisante et moins variée alors que les enfants ont besoin d’une alimentation équilibrée pour leur croissance. Le gouvernement subventionne seulement chaque année 900 000Fbu pour payer l’eau et l’électricité. « Cela ne peut pas suffire même pour payer la facture du moment que les prix sont montés », explique-t-il. Ce responsable, qui se sent ici plus utile que jamais, explique que le personnel qualifié est insuffisant. Etant directeur et kinésithérapeute de formation, il fait savoir que le centre compte en tout 10 rééducateurs et 15 encadreuses.
Encore plus, parmi ces rééducateurs beaucoup ont été formés sur le tas par Handicap international Belgique et Médecins sans vacances Belgique. Ce frère de la Congrégation de Notre Dame de la Miséricorde regrette énormément de ne pas pouvoir accueillir tous les enfants qui ont besoin des services de ce centre. Certes, la capacité d’accueil a énormément augmenté mais il indique que la prise en charge de ces enfants demande beaucoup de moyens. « Sauf quelques aides non ponctuelles des âmes charitables et le PAM (Programme Alimentaire Mondiale) qui nous donnent 40% de nos besoins en nourriture , c’est notre congrégation qui assure à elle seule le fonctionnement du centre.
Inertie et discrimination
Au moment de son fondement, le centre avait pour objectif de permettre à ces enfants la rééducation, la réadaptation et l’éducation afin de développer et d’optimiser autant que possible leur autonomie et l’intégration socio-professionnelle. Mais comme le confirme Frère Jean de Dieu Ngiye, ces souhaits sont restés lettre morte, ils n’ont pas été soutenus. « Même si ces enfants ont eu des notions préscolaires grâce à des efforts des rééducateurs et encadreurs du centre, il est difficile de les imaginer dans les écoles ordinaires. C’est-à-dire que le gros de l’effectif de ces patients ne profitent pas au projet d’éducation inclusive prôné par le gouvernement.» Il informe aussi que suite à leur handicap particulier, les écoles publiques et privées n’acceptent pas de les accueillir. « Nous avions pensé à construire des salles de classes propres à eux, mais nous avons toujours vécu avec des moyens très limités. Et même s’il y avait une école qui accepterait de prendre quelques uns, cela nécessiterait un véhicule de déplacement et une assistance continuelle des agents spécialisés qui ne les quittent pas d’une semelle. Alors qui payera leurs salaires au moment où le centre vit grâce à des aides non ponctuelles ? », se demande Frère Ngiye. Après plusieurs séances de rééducation et de réadaptation physiques ou mentale bien sûr qui coutent les yeux de la tête au centre selon les affirmations du directeur, ces enfants sont laissés pour compte. Cette marginalisation de la société à l’égard des handicapés évoquée par ce responsable touche beaucoup parmi ces enfants.
Jean-Paul Nzosabimana est l’incarnation parfaite de cette injustice sociale. Ce jeune homme de 28 ans est né à Kibumbu sur la colline Ngara dans la province de Mwaro. Il a été amené dans ce centre en 1991 par sa famille pour suivre la psychomotricité fine. Depuis, sa famille ne souhaite pas qu’il retourne dans sa maison parentale. Aujourd’hui, il affirme avoir retrouvé ses capacités physiques et intellectuelles pour vivre comme les autres. « Mon frère m’a dit que je risque d’être tué si je continue à demander quoi que ce soit sur les biens de mes parents défunts. Dois-je rester ici jusqu’à ma mort alors que je suis capable maintenant de faire ma vie ?», s’interroge-t-il. Jean de Dieu est conscient qu’il a un handicap mais affirme qu’il ne l’empêchera pas de vivre comme les autres personnes normales. « Je ne souhaite pas aller faire la manche sur les places publiques. Je ne veux pas rester infiniment à la charge de la société, que les hommes de bonne foi m’aident à récupérer mes droits ! », lance-t-il. Tout ce que Jean- Paul demande, c’est de retrouver ses repères et de commencer sa propre vie. Et de plaider pour ses bienfaiteurs : « Le centre a tout fait pour moi. Je ne veux pas être toujours une charge pour lui. Le peu de moyens dont il dispose doit aider les autres plus nécessiteux. »