Le Conseil national de sécurité demande la des sanctions contre les médias et la société civile. Les relations entre les deux acteurs non étatiques et le gouvernement sont au plus mal. Pourtant, de l’avis des spécialistes en la matière estiment aucune loi n’a été violée. Par ailleurs, les professionnels des médias s’interrogent sur le silence du CNC. Iwacu revient sur cette affaire. <doc2044|left>11 novembre 2011. Le Conseil National de la Sécurité (CNS) demande au gouvernement burundais, « d’instruire les instances habilités afin que des mesures de redressement ou des sanctions soient rapidement prises à l’encontre de certains médias ; de certains membres de la société civile et/ou de certains responsables de ces derniers ayant violé la loi dans l’exercice de leur métier ». Selon le communiqué lu par le ministre de la Défense, le général Pontine Gaciyubwenge, c’est l’affaire de Gatumba qui a été le détonateur: « (…), malgré la retenue observée durant les 30 premiers jours, certains médias ne se sont pas abstenus de diffuser des commentaires tendancieux relatifs au massacre de Gatumba allant jusqu’à faire parler un prévenu, alors qu’on est toujours dans la phase pré-juridictionnelle en violations flagrantes des dispositions pertinentes du code pénal et du code de procédure pénal .» Une goutte qui a fait déborder le vase dans la mesure où ce communiqué sort au moment où des journalistes et responsables des radios privées Bonesha Fm, Isanganiro et Radio Publique Africaine (RPA) sont convoqués en cascade devant le parquet : plus de 8 convocations, rien que pour le seul mois de novembre. Ces médias sont généralement poursuivis pour des reportages sur le massacre de Gatumba. <doc2045|left>« Nous sommes intéressés par la recherche de la vérité » Pour Innocent Muhozi, président de l’Observatoire de la Presse Burundaise (OPB), à la lecture de la constitution et de la loi sur la presse, il n’y a pas de faute qui impliquerait qu’on demande des sanctions envers les médias : « Si on pense qu’il y a faute parce que certains avaient demandé qu’on ne parle pas de Gatumba, c’est une grosse erreur d’interprétation. » Innocent Muhozi estime que la volonté de certaines institutions ne peut pas être au dessus de la loi : « Si c’est cela qui se fait, on est rentré dans autre chose. » Le président de l’OPB rappelle que les journalistes sont seulement intéressés par la recherche de la vérité sur Gatumba. Il espère que le CNS est, lui aussi, intéressé par la vérité : « Il n’y a pas de raison qu’il y ait confusion ou animosité quelconque entre nous. » Innocent Muhozi demande qu’on n’invente pas des fautes qui n’ont pas eu lieu parce que quelqu’un veut orienter les choses à sa façon ou à son rythme. Y aurait-il une volonté de fermer certains médias ? Pour le président de l’OPB, même quand on est puissant, il y a des choses qu’on ne peut pas se permettre, surtout si elles sont contraires à la loi : « Nous pensons que cela n’est pas dans l’option du gouvernement ; car cela serait sortir de la logique de démocratie pour rentrer dans la logique de la loi du plus fort. » Si le Conseil national de sécurité est convaincu qu’il y a eu faute, poursuit Muhozi, qu’il les montre à tout le public. Mais de son point de vue, il n’y a pas eu de faute : « Les médias ont fait leur travail. Ils ont rempli leurs obligations. » Le N°1 de l’OPB demande à ce conseil d’être neutre : « Nous voulons qu’il soit un conseil crédible et sa crédibilité résiderait à ce que dans ses décisions, dans ses démarches, il se réfère à la loi plutôt qu’à autre chose. » « Les journalistes ont le droit de rechercher les faits et les publier » Me Gérard Ntahe, consultant et professeur de droit de la presse reconnaît que la loi interdit de révéler le secret de l’instruction pré-juridictionnelle. Mais, il nuance en expliquant les vrais détenteurs de ce secret ne sont pas les journalistes, même s’l leur est interdit de faire état du contenu du dossier en instruction devant l’OPJ ou l’officier du ministère public : « Il est interdit de publier ces documents ou d’en faire état en disant tel officier du ministère public a convoqué telle personne et tel jour pour lui demander ceci ou cela et a répondu ceci ou cela. » Me Ntahe constate plutôt que ce sont les gens de la justice qui participent à l’instruction qui ne doivent pas violer le secret et non les journalistes. Selon cet avocat, les journalistes peuvent être poursuivis pour complicité s’ils aident les gens qui sont tenus au secret de dévoiler le contenu : «Ils peuvent être poursuivis au titre de complicité. » En tant que journalistes, poursuit Me Ntahe, ils ont parfaitement le droit et même l’obligation de rechercher les faits et de les publier : « C’est leur travail. On ne pouvait pas les poursuivre pour avoir terminé leurs propres investigations et de les avoir publiées. » Toutefois, averti Me Ntahe, si en enquêtant il faut endosser à des gens innocents des crimes ou des méfaits quelconques, ils peuvent être poursuivis pour imputation dommageable ou propagation de fausses nouvelles mais non pour avoir violé le secret d’instruction. <doc2046|left>« L’image du Burundi se ternit davantage » Le délégué général du Forsc est direct : « Le gouvernement veut nous faire taire devant des situations délicates et préoccupantes comme l’affaire Gatumba, Université du Burundi, et autres. » D’après lui, que ce climat remonte aux élections de 2010 avec le retrait de la coalition ADC-Ikibiri dans la compétition. Pacifique Nininahazwe remarque que depuis cette période, le parti CNDD-FDD, seul aux affaires, développe une tendance à harceler l’opposition, les médias et la société civile : « Il veut tout mettre en œuvre pour tout contrôler et occuper toute la scène politique. » Pour M. Nininahazwe, le pouvoir est aujourd’hui gêné par la situation politique dégradante et veut contrôler toute l’information sur Gatumba. Des questions économiques aussi : « Le pouvoir craint que la population ne se soulève à travers les médias face aux difficiles conditions de vie. » Et pour le Délégué général du Forsc, empêcher les médias et la société civile de s’exprimer n’est pas la meilleure solution. Ce climat, lâche Pacifique Nininahazwe, lui rappelle le mois de novembre 2009 où des organisations de la société civile ont été sommées de fermer. Leur tort était d’avoir organisé une campagne de recherche de la vérité sur l’assassinat d’Ernest Manirumva qui impliquait de hauts gradés des services de sécurité. « Que le pouvoir tire les leçons de cette époque !», conseille-t-il. Concernant le communiqué du Conseil national de sécurité, Pacifique Nininahazwe déplore l’absence d’une mise en garde à l’endroit du SNR auteur d’ rapport incriminant l’opposition avant les délais donnés d’un mois par le président de la République. « Pourquoi dans ce rapport du CNS, on ne trouve pas d’encouragements à l’égard des médias et de la société civile pour la retenue dont ils ont fait preuve ? Pourquoi n’évoque-t-il pas la séquestration des déplacés de Karehe (Kayanza) ? », s’insurge M.Nininahazwe avant de proposer une voie de sortie : « Le pouvoir doit privilégier la voie du dialogue. Le Burundi était jusqu’ici reconnu comme pays favorable à la liberté d’expression. Cependant, si celle-ci est mise à mal, cela va affecter d’autres domaines, notamment celui des finances alors que nous en avons tant besoin. » « On ne va pas fléchir » Pour Pierre Claver Mbonimpa, président de l’Aprodh, en s’attaquant à ceux qui les dénoncent, certains « responsables » politiques veulent se protéger : « Nous n’avons pas été surpris par cette attitude de museler la presse et les organisations de la société civile. » Le président de l’Aprodh essaie de « comprendre » les raisons de cet acharnement. « Cela ne plaît pas d’être dénoncé surtout quand on est fautif », fait-il remarquer avant de demander aux auteurs des forfaits d’assumer : « Ce n’est plus un secret, des crimes qui sont commis dans ce pays sont sous la responsabilité des autorités policières. » Au sujet du communiqué du CNS, M. Mbonimpa exclut toute idée de céder ou de fléchir: « Nous nous sommes assignés de défendre les sans-voix. ». C’est dire que « malgré les menaces, sous l’orage et sous la pluie, nous n’allons pas lâcher le peuple parce qu’elle nous accuserait de l’avoir abandonné. »