L’actuel contentieux électoral burundais comporte des risques évidents de guerre civile. Les exécutions extrajudiciaires (une expression inappropriée car, heureusement, la justice burundaise n’exécute plus les coupables de crimes graves depuis la suppression de la peine capitale), réveillent un traumatisme psychologique profond et vivace. Par contre, si les protagonistes du contentieux électoral acceptaient leur légitimité réciproque, le Burundi pourrait sortir de l’œil du cyclone. En clair, si l’ADC-Ikibiri, faisait le premier pas et reconnaissait formellement la légitimité des institutions issues du processus électoral de 2010, cette alliance politique gagnerait en crédibilité à l’égard de la communauté internationale notamment. Ses revendications seraient écoutées avec attention et respect car elles seraient légitimes. En se transformant en opposition démocratique, elle opterait définitivement pour une lutte politique non violente et exclurait toute solution armée. De ce fait, elle s’engagerait à ne jamais cautionner une quelconque rébellion ou un renversement des institutions démocratiques par coup d’Etat. Du coup, le gouvernement constitué par une coalition largement dominée par le CNDD-FDD disposerait d’un adversaire responsable et d’un partenaire déterminé à participer au nécessaire processus de dialogue, de négociation, de retour de la confiance et du respect mutuel. A présent, les protagonistes politiques burundais devraient considérer l’intérêt de la population comme la plus haute priorité. En effet, les Burundais sont vraiment fatigués par le conflit permanent. La population assiste impuissante à une folle spirale de la violence qui a pris la forme et l’allure d’une vendetta mafieuse sans fin, au cours de laquelle des clans ennemis éliminent, un à un, au compte gouttes de sang, les membres des clans supposés ennemis. Les Burundais ont payé un lourd et tragique tribut suite à la guerre. Ils ont droit, maintenant, à la paix, à la sécurité et au développement. L’argent qui étouffe la démocratie ! Si les protagonistes se décidaient à se retrouver autour d’une table pour dialoguer et pour vider le conflit électoral, ils auraient beaucoup de sujets à aborder et à débattre. Les partis politiques qui ont contesté les résultats des élections communales, et dont certains se sont d’ailleurs retirés du processus électoral, ont dénoncé beaucoup d’irrégularités qui auraient entaché les élections communales. Ils ont relevé, notamment, l’absence de procès-verbaux attestés et signés par les mandataires des partis politiques dans chaque bureau de vote, des enveloppes non dépouillées, des urnes non ouvertes et retrouvées après les élections, des intimidations verbales, l’usage fréquent de moyens de l’Etat, l’absence d’un tribunal électoral pouvant trancher rapidement les litiges, etc. A tous ces sujets importants qui devraient être abordés dans le cadre de l’amélioration de la loi électorale pour préparer les élections de 2015, il faudrait ajouter un thème très important qui n’a pas retenu l’attention de l’opinion publique, ni soulevé l’interrogation au sein des partis politiques eux-mêmes. Il s’agit du rôle de l’argent dans la conduite d’une campagne électorale et notamment dans la fabrication des outils du vote. Les partis auraient dû exiger leur participation dans le processus de lancement des appels d’offres et de sélection des entreprises qui ont gagné les marchés de fourniture du matériel électoral. En effet, et à titre d’exemple, un rapport détaillé dont disposent les bailleurs de fonds qui ont, du reste, largement contribué au financement du processus électoral burundais, indique que 18 entreprises ont soumissionné pour l’impression et la fourniture des cartes d’électeurs burundais. Parmi ces entreprises soumissionnaires, 6 étaient du Burundi, 2 du Kenya, 1 d’Afrique du Sud, 1 d’Ouganda, 4 de Grande Bretagne, 1 du Canada et 2 de Dubaï. Sans préjuger de la qualité de l’offre technique et financière de chaque entreprise, les bailleurs de fonds et les spécialistes ont relevé que la carte d’électeur livrée n’était pas conforme aux spécifications techniques contenues dans le cahier des charges publié par le PNUD. Par ailleurs, un groupement d’entreprises du Burundi proposait de produire les cartes d’électeurs pour 806.400 USD, une entreprise du Kenya pour 144.000 USD par avion et 108.000 par route, une entreprise d’Ouganda pour 978.600 USD, une entreprise d’Afrique du Sud pour 133.334,52 USD, une entreprise du Canada pour 278.587,39, une entreprise de Dubaï pour 212.750 USD par avion et 42.191 USD par voie maritime et enfin, une entreprise de Grande Bretagne pour 67.200 USD par avion et 63.000 par voie maritime. L’entreprise qui a gagné le marché des cartes d’électeurs est Picfare d’Ouganda dont le dossier technique et financier a sans doute été jugé le meilleur, selon les critères du jury d’attribution du marché. Une campagne trop chère Cependant, il n’était pas indifférent que les partis politiques burundais en compétition pour le vote des électeurs soient associés au processus de sélection des entreprises ou tout au moins soient informés sur l’état d’avancement du processus de sélection de ces entreprises. En effet, les risques de délit d’initié et de conflit d’intérêt ne pouvaient être écartés ; car le nom de l’entreprise qui a gagné le marché des cartes d’électeurs a été mentionnée, à tort ou à raison, comme intermédiaire dans la vente rocambolesque de l’avion présidentiel, le Falcon 50, en partie cadeau de la France au Burundi, d’ailleurs. La société Picfare, en tout bien et tout honneur, est également impliquée dans le processus de remboursement de l’argent que l’Ouganda doit au Burundi depuis le régime de Bagaza, et dont le solde est en train d’être payé, par tranches, sous forme de troc, en cahiers d’écoliers. Dans l’agenda du dialogue et de la négociation entre les protagonistes du conflit post-électoral burundais, devrait donc figurer le rôle de l’argent dans une campagne électorale. Selon l’adage populaire, l’argent constitue le nerf de la guerre. De toute évidence, il constitue aussi le nerf de la démocratie. Or, beaucoup d’argent, beaucoup trop d’argent a été investi dans la campagne électorale burundaise de 2010 par les partis politiques. Selon la confidence d’un parlementaire CNDD-FDD, celui-ci a utilisé 6 millions de francs au cours des élections communales pour, selon ses termes, lutter contre l’influence du FNL dans sa seule commune. Pour information, certaines communes du Burundi arrivent péniblement à constituer un budget de fonctionnement annuel de 4 millions de francs. Pour sa part, un député UPRONA avouait, dans un cercle d’amis, qu’il avait dépensé 8 millions de francs pour se faire élire dans sa circonscription. Une totale indécence ! Après avoir surmonté le conflit post-électoral, il serait urgent que les protagonistes se mettent autour de la table pour revoir notamment la loi sur le financement des partis politiques, en période électorale notamment. Car, la démocratie burundaise pourrait être dévoyée et étouffée par des lobbies qui pourraient participer à la levée de fonds illimités et d’origine douteuse afin d’exercer, en retour d’investissement, leur contrôle sur l’Etat. De puissants intérêts pourraient ainsi corrompre les partis politiques et peser lourdement sur la souveraineté du Burundi et miner ainsi la démocratie dans ce pays.