A la veille des élections de 2025, l’exercice des libertés politiques reste préoccupant. Pourquoi une faible présence sur le terrain de certaines formations politiques ? Quid de l’organisation des réunions des partis politiques ? Selon les responsables des partis de l’opposition, tous les partis politiques ne jouissent pas de la même façon du droit de tenir des réunions. Toutefois, des initiatives de rapprochement entre membres et militants de différentes formations politiques s’opèrent en provinces pour assainir l’espace public.
Dossier réalisé par Iwacu, Jimbere, Yaga et Burundi Eco
« Le parti au pouvoir s’organise mais pour l’opposition, c’est une autre paire de manche », relève un analyste de la vie politique burundaise. A la veille des élections de 2025, la compétition politique semble être un ripolinage. Bien que le multipartisme soit inscrit dans la constitution et les libertés politiques consacrées par la loi sur les partis politiques, « l’exercice des libertés politiques n’est pas du tout garanti », reconnaissent presque tous les politiques interrogés.
Peur permanente et insidieuse
« La faible présence des partis politiques sur le terrain de l’animation politique résulte de la peur très profonde de la population à la base car quand elle veut participer dans des réunions autres que celles organisées par le parti au pouvoir, elle subit des sanctions communautaires », fait savoir Olivier Nkurunziza, président du parti UPRONA.
D’après lui, ces sanctions sont notamment la perte du droit de bénéficier des soins de santé (quand une personne tombe malade, il n’est pas transporté à l’hôpital), la privation d’aller acheter dans des boutiques se trouvant sur sa colline, d’aller dans un bistrot et même le droit d’aller puiser de l’eau à un robinet public.
Selon lui, il y a des responsables politiques à la base qui surveillent les gens qui participent dans d’autres réunions que celles du CNDD-FDD. Et lorsqu’ils trouvent que ces gens ont participé dans ces réunions, ils subissent ces sanctions. « Je connais moi-même des gens à qui ont été infligés de telles sanctions sociales sous prétexte qu’ils ont participé dans une réunion du parti UPRONA », rechérit M. Nkurunziza.
Le parti Codebu abonde dans le même sens. Kefa Nibizi, son président, indique que par le canal de l’exclusion et de l’intimidation faites par certains éléments du pouvoir, les libertés d’opinion et de pensée sont battues en brèche. « Aujourd’hui, il n’y a plus aucun fonctionnaire ou même aucun travailleur d’une société privée qui puisse être un militant actif d’un autre parti que celui qui est au pouvoir car s’il se remarque qu’il est militant actif d’un autre parti, il est harcelé ou intimidé. Il ne peut donc pas travailler librement »
Il ajoute qu’il y a des rapports produits qui indiquent que les fonctionnaires qui sont militants des autres formations politiques sont obligés, par intimidation de leurs chefs hiérarchiques, de contribuer pour le parti au pouvoir et ils sont contraints de le faire car ils ont peur qu’ils puissent manquer quelques avantages qui sont liés à leur service.
Selon M. Nibizi, même les commerçants vivent le même scénario. « Un détenteur d’un petit cabaret, d’une petite boutique ou un salon de coiffure, est obligé de faire semblant de contribuer au parti au pouvoir pour pouvoir continuer à exercer ses activités », épingle M. Nibizi. Cette exclusion et ce harcèlement, poursuit-il, ont démuni complètement les autres formations politiques des moyens substantiels qui pouvaient leur permettre d’être sur terrain.
Ces deux politiques sont unanimes pour confirmer que cette peur permanente prononcée de la population montre justement que l’exercice des libertés politiques n’est pas du tout garanti.
La loi du plus « fort »
Tous les présidents des partis interrogés convergent sur le fait que « tous les partis politiques ne jouissent pas de la même façon du droit de tenir des réunions ».
La liberté politique tout comme les libertés fondamentales, les libertés publiques s’exercent dans un Etat de droit, informe Patrick Nkurunziza, le président du parti Sahwanya Frodebu.
D’après lui, le Burundi n’étant pas encore un Etat de droit, un Etat démocratique, la liberté politique est certes protégée par la loi, mais, elle n’est pas encore acquise. « A l’exception du parti au pouvoir et ses alliés qui jouissent presque de la totalité des libertés, les autres partis fonctionnent difficilement surtout s’il s’agit d’un parti qui concurrence le parti au pouvoir ».
Il y a des partis comme le CNL qui ne sont pas autorisés à organiser des réunions publiques, parfois même dans leur permanence, ajoute M. Nkurunziza.
Aloys Baricako, président du Rassemblement national pour le changement (RANAC), trouve que tous les partis politiques n’ont pas les mêmes privilèges de jouir de tout ce qui est prescrit par la loi. Il donne l’exemple du parti au pouvoir qui peut organiser et tenir des réunions même avant ou après les heures reconnues par la loi.
Kefa Nibizi, président de Codebu, abonde dans le même sens en précisant que le droit de faire des réunions ou l’exercice des libertés politiques n’est pas garanti de la même façon pour tous les partis politiques burundais. « Nous avons vu que le parti au pouvoir arrive à organiser des réunions les jours et les heures du travail mais aussi jusqu’à organiser des réunions très top le matin avant la levée du soleil ».
De cette façon, avance-t-il, ce parti gagne une avance sur les autres parce qu’il a le temps libre de visiter toutes les collines, toutes les zones, toutes les communes en utilisant des moments qui sont interdits pour d’autres partis politiques.
D’après M. Nibizi, c’est la loi du plus « fort » qui prime. Il donne un exemple où le parti Codebu a tenu une réunion dans une des provinces du pays et à la fin de la réunion, les militants de son parti sont allés dans un bar autant que les militants du pouvoir le faisait mais ils ont failli être arrêtés par un groupe de policiers amené par les administratifs locaux arguant qu’ils étaient en train de faire la réunion alors qu’au même moment, les militants du parti au pouvoir en uniformes du parti, étaient dans d’autres bars.
Du côté du parti Conseil Des Patriotes (CDP), Anicet Niyonkuru, son président, martèle que tous les partis politiques ne jouissent pas des mêmes droits aux réunions. Cet ancien secrétaire exécutif du Cnared indique que le parti au pouvoir peut organiser des réunions pendant les heures de travail, même à 5h du matin. « Aucun autre parti ne peut le faire sans subir des sanctions », ajoute-t-il.
Tous les chefs des partis plaident pour que le parti CNL retrouve ces libertés de réunion tout comme les autres partis afin d’assainir le climat politique à cette période de la veille des élections.
Quant au parti CNDD-FDD, Doriane Munezero, secrétaire national chargée de l’information et de la communication au sein de ce parti, rassure que le parti est sur le terrain. Cela est prouvé par les tournées du secrétaire général du parti à l’intérieur du pays et la récente mise en place de nouveaux organes du parti conformément à la nouvelle configuration territoriale du Burundi. « Ces nouveaux organes sont d’ailleurs sur terrain », ajoute-t-elle.
Les administratifs et responsables à la base bloquent les activités des autres partis
« Concernant les libertés politiques notamment le droit aux réunions et le fonctionnement normal des partis politiques, le problème se pose surtout au niveau des collines », confirment tous les responsables des partis interrogés.
Le président du parti UPRONA témoigne que ce problème de fonctionnement des partis politiques s’observe au niveau des collines parce qu’il y a la résistance des chefs de collines, les administratifs à la base mais aussi les responsables politiques sur les collines qui empêchent d’autres partis politiques de pénétrer dans les collines sous prétexte que pour travailler, il faut que le parti dispose d’une permanence à cet endroit. « Cette résistance handicape les activités des partis politiques sur terrain », tonne M. Nkurunziza.
Au Frodebu, Patrick Nkurunziza, son président révèle la même situation. « Des fois, nous nous heurtons à la résistance de l’administration et des jeunes zélés du parti au pouvoir ».
Par ailleurs, le parti Codebu fait savoir que la politique se joue beaucoup plus à la base notamment au niveau des collines et au niveau communale. Mais Kefa Nibizi, constate qu’à ce niveau, le droit de faire des réunions ou des manifestations publiques n’est pas respecté convenablement suite au harcèlement exercé soit par des administratifs locaux soit des intimidations qui sont perpétrées par les jeunes militants du parti au pouvoir aux militants des autres formations politiques.
« Souvent les chefs de zone et de colline ne suivent pas la dynamique politique du pays », fait savoir Aloys Baricako.
A côté de ce défi majeur d’exercice des libertés politiques pour certains partis politiques, tous les chefs des partis interrogés confirment que le manque des moyens financiers et logistiques handicape également leur présence sur terrain. « Les descentes sont budgétivores, les militants sont très pauvres pour contribuer au fonctionnement des partis, pas de sponsors ni de l’Etat ni des partenaires… Seul le parti au pouvoir qui a les moyens et l’administration occupe le terrain ».
Quid du rôle du Forum des partis politiques ?
Concernant le rôle du Forum des partis politiques dans le plaidoyer de l’exercice des libertés politiques, les politiques burundais convergent pour dire que le forum réunit régulièrement les partis politiques qui donnent des avis et proposent des solutions à cet effet.
Mais Patrick Nkurunziza et Kefa Nibizi restent pessimistes. M. Nkurunziza argue que le forum des partis politiques n’est pas encore à la hauteur de jouer pleinement cette noble mission. « Il se cherche. Il s’organise encore pour se doter d’une présidence tournante et devenir un véritable centre de débats démocratiques et contradictoires. »
Quant à Kefa Nibizi, le rôle que devrait jouer le Forum des partis politiques dans le plaidoyer de l’exercice des libertés politiques devrait être crucial. « Mais tel qu’il est constitué, il ne peut pas jouer un grand rôle. » Et d’ajouter que ses activités se limitent d’abord au niveau des présidents des partis politiques, et là il n’y a pas de problème mais c’est au niveau local que beaucoup de problèmes se posent.
« Le forum n’est jamais intervenu par exemple, en lançant un cri d’alarme pour des cas de violations des droits humains et des interdictions de tenir des réunions et d’ouverture des permanences ».
Selon ce politique, le rôle du forum est très réduit. Il indique qu’il est toujours dirigé par un membre issu du parti au pouvoir alors que ces cas de musèlement des libertés politiques sont perpétrés, dans la plupart des cas par les militants du parti au pouvoir ou les administratifs issus de ce parti. « Il devient difficile pour le président de ce forum d’agir contre les siens. »
Félicien Nduwuburundi, président du Forum des partis politiques, fait savoir qu’au niveau du plaidoyer, le forum organise beaucoup d’atelier avec les administrateurs, avec les représentants du ministère de l’Intérieur sur des thèmes d’intérêt général comme les libertés, l’espace politique, les réunions et manifestations publiques, sur la cohabitation politique.
« Le forum tient des ateliers au moins deux fois le mois et des réunions des différents organes du forum. Et c’est à partir de ces différents ateliers et réunions que le forum essaie d’aider les différents partis politiques à être mobiles sur terrain et les responsables de ces partis profitent de ces rencontres pour dialoguer avec leurs militants car ces rencontres se tiennent alternativement dans différentes provinces », insiste M. Nduwuburundi avant de préciser que le forum fait également un suivi pour constater la mise en œuvre des recommandations qui ont été dégagées à travers ces différents ateliers.
Après son constat qu’il y a un déséquilibre au niveau de l’exercice des libertés politiques et qu’il y aurait certains administratifs à la base ou membres du parti au pouvoir qui font un excès de zèle et qui dépassent les limites en s’arrogeant le droit de bloquer les activités des autres partis, le président du forum précise que bientôt il va organiser des descentes sur terrain et constater la véracité de ces lamentations de certains responsables des partis politiques.
Pascal Ntakirutimana (Iwacu)
Le CNL dans une situation confuse
Le conflit au sein du CNL est entre une dizaine de cadres de ce parti sur les 20 membres statutaires du bureau politique, soit dix députés et Agathon Rwasa que ces derniers qualifient de l’ex-président du parti.
Ils se sont suspendus successivement à la tête du parti et en fonction du membre de l’organe du parti.
Dans une émission publique du 6 octobre 2023, Martin Niteretse, ministre de l’Intérieur, du Développement Communautaire et de la Sécurité publique a déclaré que les statuts du parti CNL reconnus légalement sont ceux du 16 janvier 2019. Or, les organes du parti reconnus par ces statuts ne s’entendent pas et apparemment s’asseoir ensemble n’est pas pour demain.
Par ailleurs, il avait suspendu les activités du CNL sur toute l’étendue nationale en juin dernier.
Un leadership qui laisse à désirer
Martin Niteretse reconnaît un leadership défaillant au sein des bureaux politiques de certains partis politiques de l’opposition.
Quant aux tensions internes qui perdurent au niveau du parti CNL, le ministre Niteretse rappelle que le nœud du problème réside au niveau de la représentation dudit parti.
« Nous les avons contactés pour une réconciliation éventuelle entre les deux parties, mais en vain », précise-t-il avant d’aviser que les autres partis sont sur le terrain et organisent des réunions et des rassemblements sans encombre.
D’ailleurs, au début de cette année, le ministre de l’Intérieur a instruit les gouverneurs de laisser les partis politiques exercer librement sur l’ensemble du territoire dans le strict respect de la loi.
Les représentants des partis politiques ou leurs délégués ont le droit d’organiser librement des réunions ou des rassemblements politiques.
Pour lui, les chefs des partis politiques ne demandent pas d’autorisation. Ils informent uniquement les administratifs. « Normalement, il ne s’agit pas d’une demande d’autorisation, mais une communication adressée aux administratifs à titre informatif. La correspondance adressée aux gouverneurs venait répondre aux plaintes des partis politiques sur un probable verrouillage de l’espace politique », éclaire M. Niteretse.
Les activités du parti à l’arrêt
Selon Térence Manirambona, un des 11 cadres du parti suspendus par Agathon Rwasa, depuis que le ministère en charge des partis politiques a pris la décision de suspendre les activités du CNL sur toute l’étendue nationale, la situation est complexe. « On ne tient plus des réunions », dit-il.
Malgré cela, Agathon Rwasa, lui a signalé que cette suspension des activités du parti CNL n’a qu’une durée de six mois et que celle-ci a expiré au 1er décembre 2023. C’était lors d’une conférence de presse du dimanche 3 décembre 2023.
« Nous n’avons pas cessé pendant toute la période de six mois que viennent de durer lesdites sanctions de montrer clairement comment ces sanctions étaient irrégulières, abusives, injustes et arbitraires. Nous avons chaque fois demandé leur annulation, mais l’autorité ministérielle s’est restée dans un silence inédit », regrette Agathon Rwasa avant de citer l’alinéa 2 de la loi régissant les partis politiques au Burundi stipulant que la mesure de suspension et de fermeture des locaux ne peut pas excéder six mois.
Ce qui a surpris M. Manirambona. « Normalement, c’est la personne qui a pris la décision qui a les prérogatives de la lever », fait-il remarquer.
S’exprimant sur les ondes de la radio Isanganiro, M. Niteretse a quant à lui souligné qu’il n’a pas adressé de correspondance au parti CNL pour une reprise éventuelle des activités. La décision de suspendre les activités du CNL a été prise pour favoriser le dialogue et la réconciliation entre les parties en conflits, selon toujours M. Niteretse.
L’origine du conflit
M. Manirambona informe que les conflits au sein du CNL datent de novembre 2022. Les 11 cadres du CNL accusent Agathon Rwasa qu’en cette date, il a tenu une réunion pour la mobilisation de fonds destinés à la construction de la permanence nationale.
« C’est dans cette réunion qu’il a annoncé l’existence d’un complot visant à le destituer à la tête du parti voire à l’exterminer », notifie-t-il avant de signaler qu’Agathon Rwasa a inventé un stratagème consistant à se victimiser pour simuler qu’on veut l’éliminer. Or, continue-t-il, c’était un moyen pour se couvrir des fautes qu’il avait commises.
Et d’indiquer : « Ces fautes sont, les manquements graves, absence des réunions statutaires des organes, le détournement de fonds, considéré le parti comme une société unipersonnelle, la violation des statuts et du règlement d’ordre intérieur du parti, … ».
Avec cela, informe M. Manirambona, les membres du bureau politique ont adressé des messages à Agathon Rwasa jusqu’à faire recours aux amis et connaissances pour lui demander de tenir une réunion et voir comment redresser la situation, mais en vain. Ce qui a occasionné sa destitution à la présidence du parti CNL.
La réconciliation n’est pas pour demain
Agathon Rwasa invite ceux qu’il appelle dissidents de revenir à la raison. Pourtant, Terence Manirambona témoigne qu’Agathon Rwasa reste toujours campé sur sa position et ne veut pas collaborer.
Il souligne également que c’est déjà tard. Cela au cas où Agathon Rwasa reviendrait sur sa position et qu’il accepte de se réconcilier avec ses concurrents.
Et de déplorer : « Les militants des deux côtés se rentrent dedans. Nous avons recensé 12 provinces où des cas de violences se sont passés, soit dans la province de Ruyigi, dans la province de Muyinga, dans la province de Gitega, dans la province de Bubanza, dans la province de Cankuzo, dans la province de Bujumbura… Cela sans oublier les messages haineux qui circulent sur les réseaux via les comptes anonymes ».
Pour M. Manirambona, la solution pour sortir de la crise est la tenue du congrès par les organes de 2019 reconnus par la loi pour statuer sur les questions internes du parti.
Le ministre de l’Intérieur dresse un bilan positif sur la situation politique du pays à la veille des élections de 2025. Il donne des signaux de la réussite des élections en perspective en se référant à la décentralisation des élections législatives et sénatoriales ainsi qu’au nouveau découpage administratif.
Pour ce qui est du financement des partis politiques, le ministre de l’Intérieur confirme que la volonté est là, mais que le budget fait défaut. « Le budget général de l’Etat est toujours déficitaire », dit-il. Et d’affirmer : « Le gouvernement finance indirectement les partis politiques à travers le maintien de la paix et la sécurité ».
Benjamin Kuriyo et Mélance Maniragaba (Burundi Eco)
Des initiatives de développement pour désamorcer les tensions
En province Ngozi précisément en commune Gashikanwa 28 jeunes, femmes et filles issues du Cndd-Fdd, du Cnl et de l’Uprona se sont mises en ensemble depuis 2022 autour de la devise « divergence d’opinion, union pour plus produire ». Elles cultivent des pommes de terre sur la colline Kivumu et le maïs sur la colline Musumba de la même commune.
Ces membres de différentes formations politiques se rencontrent pendant les week-ends, cotisent 5000 BIF pour se procurer des intrants agricoles. Pascasie Mukangabire, présidente de cette union, affirme que l’appel du président Evariste Ndayishimiye invitant à produire plus pour que chaque bouche ait à manger et chaque poche de l’argent a été la grande motivation pour réveiller ces jeunes femmes.
Sur la chaîne, houe à la main, corbeilles remplies de fertilisants ou pompes pleines de pesticides, ces jeunes œuvrent ensemble tout en se taquinant sur les chances de leurs partis respectifs à remporter les prochaines élections. Des discussions souvent ponctuées de quelques chansons religieux, une ambiance qui relaxe les esprits, selon toujours Pascasie Mukangabire, présidente de l’union des jeunes de Gashikanwa.
Cette initiative, poursuit-elle, a convaincu le PAEEJ qui leur a accordé un prêt de 8 millions, une somme qu’elles sont déterminées à rembourser rapidement car avec les champs de pomme de terre sur 1,5 ha à Kivumu et du maïs sur un ha à Musumba, elles comptent dépasser 12 millions de Fbu après les récoltes selon leur prévision.
Une preuve d’un haut degré de tolérance politique
Jacqueline Bireha, la maman d’une des jeunes filles membres de cette union, se félicite des progrès socioéconomiques que sa fille connaît depuis son adhésion à cette initiative de ressembler les forces vives pour la production commune : « Avant cette union, chaque groupe que ça soit du Cndd-Fdd, Cnl ou autres se distinguait par des propos discriminatoires, des agressions physiques. Actuellement, nos enfants sont plus apaisés et reconnaissent la valeur et le choix des autres. »
Même appréciation affichée par les habitants de la vallée de Vyegwa en commune Ngozi et Mwumba. Les jeunes du Cndd-Fdd, Cnl, Uprona et Frodebu et autres ont défriché des hectares pour cultiver différentes cultures et y pratiquer l’élevage des porcs, vaches et autres. C’est un exemple unique qui témoigne d’un degré élevé de tolérance politique qui règne actuellement sans oublier les retombées économiques qui s’en suivent.
En communes Nyamurenza et Kiremba, les esprits qui se chamaillaient à l’époque des meetings sont les guides de la production agricole. Les jeunes du Cnl, ceux du Cndd-Fdd respectent le choix de tout un chacun.
Les témoignages de Kiremba, commune d’origine d’Agathon Rwasa, leader du Cnl, et ceux des Imbonerakure, jeunes du parti Cndd-Fdd, affichent le changement total. Des réunions de chaque parti politique se tiennent juste après les travaux en commun.
Œuvrer ensemble, une pratique qui réussit
Un ouf de soulagement chez les parents qui reconnaissent la valeur ajoutée et le progrès significatif que vivent ces jeunes dévoués pour le respect mutuel et les travaux de développement.
Même son de cloche chez certains membres de différents partis politiques interrogés en province Rumonge. Ils disent vivre dans l’harmonie à l’approche des prochaines élections. Éric Bizindavyi, habitant la colline Mutambara et membre du Cndd-Fdd, affirme que la méfiance s’est estompée entre les jeunes issus de différents partis politiques : « Cela est en partie dû au fait que nous nous rencontrons souvent dans des associations et coopératives d’agriculture et d’élevage. »
Propos corroborés par Samuel Nihangaje du Cnl qui soutient que la cohabitation entre eux et les jeunes Imbonerakure s’est beaucoup améliorée depuis 2015 : « Nous sommes appelés au même titre à participer dans les travaux de développement et lorsque des aides ou crédits sont octroyés, nous en bénéficions tous. »
Toutefois, tempère-t-il, il reste un domaine où ils ne sont jamais associés : celui des rondes nocturnes pour aider la police et l’administration à assurer la sécurité : « Ce domaine semble dédié exclusivement aux seuls Imbonerakure, ce qui devrait changer pour rassurer tout le monde. »
Un appel à rester uni
Une proposition soutenue par Éric Bizindavyi : « Nous approchons la période électorale et comme nous le savons tous, c’est souvent une période délicate en termes de sécurité et donc toutes les forces devraient être associées pour éviter des suspicions. »
Contacté, Augustin Minani, administrateur communal de Rumonge, affirme que du côté de l’administration, ils collaborent avec tout le monde sans considération de l’appartenance politique des individus : « C’est l’une des raisons qui explique sans doute le calme observé dans notre commune contrairement à ce qui s’est passé dans les années antérieures. »
Sensibiliser les jeunes issus de différentes formations politiques, poursuit-il, à œuvrer ensemble à travers des associations et différentes coopératives, est devenu une priorité pour l’administration : « Cette pratique s’est avérée payante dans le renforcement du vivre-ensemble entre ces jeunes malgré leur différence partisane. »
Et d’appeler tous les habitants de Rumonge, membres ou pas des partis politiques à rester unis et préserver la cohésion et la sécurité de leur commune.
Jean Bosco Ndayiragije et David Ndereyimana (Jimbere)
Dr. Guillaume Ndayikengurutse : « Il est très difficile de faire une lecture nette de l’état des lieux des libertés politiques. »
Comment jugez-vous l’état actuel des libertés politiques au Burundi ?
Il est très difficile, aujourd’hui, de faire une lecture nette de l’état des lieux des libertés politiques. Cela est dû essentiellement au fait que les partis politiques ont pris l’habitude de s’engager dans la dynamique électorale, quelques jours avant les élections.
Si les partis politiques avaient pris au sérieux cette dynamique électorale dès le départ, pour se préparer longtemps avant, certainement qu’on aurait une lecture beaucoup plus claire de l’état des lieux des libertés politiques, mais actuellement, c’est très difficile de le déterminer parce qu’il n’y a que peu de partis politiques qui veulent s’engager sur le terrain.
Justement, sur la question de l’exercice des libertés politiques, les activités du parti CNL ont été suspendues par le ministère de l’Intérieur. Cependant, Agathon Rwasa, le président de ce parti, a annoncé récemment la reprise prochaine des activités malgré la suspension. Quelle est votre analyse sur cette situation ?
Pour moi, je suggérerais que la reprise de telles activités soit le fruit d’un consensus entre le ministère de l’Intérieur et ce parti. Parce que si tel n’est pas le cas, cela peut engendrer des conséquences encore plus graves sur le processus démocratique et le pluralisme politique au Burundi.
Dans une telle situation, qu’est-ce qui doit être fait ?
C’est toujours souhaitable que dans de telles situations, l’autorité en charge de la gestion des partis politiques et le parti concerné soient en accord sur les différentes activités à mener.
Dernièrement, il s’observe des dissensions au sein du CNL, certains membres allant jusqu’à renier l’autorité du président actuel, Agathon Rwasa. Est-ce que ce « chaos », n’avantage-t-il pas le parti au pouvoir ?
C’est clair que c’est le second parti politique le plus important, au regard de la présence des députés au parlement. Mais cette logique où nous devons toujours chercher les causes d’un problème interne d’un parti politique ailleurs, surtout au sein du parti au pouvoir, n’est pas pertinente. Cela a pu être le cas par le passé, mais il est toujours important de se poser la question de savoir si tel est le cas aujourd’hui.
Autrement dit, nous ne pouvons pas accuser le parti au pouvoir d’être derrière ce qui se passe au CNL ?
Il y a des problèmes internes aux partis politiques qui sont directement liés aux acteurs membres. Ces problèmes ne doivent pas nécessairement provenir du parti au pouvoir. Cela dit, comme il s’agit d’une compétition, un CNL affaibli est une victoire pour tous les partis politiques qui sont en concurrence avec lui.
Il existe une trentaine de partis politiques au Burundi. Est-ce un signe de liberté politique favorable au pays ou ces partis n’existent que dans les documents du ministère de l’Intérieur ?
D’un côté, c’est un signe de vitalité démocratique. Mais, de l’autre côté, cela démontre un déficit idéologique au sein des différents partis politiques parce qu’il est très difficile que tous ces acteurs, membres de ces partis politiques, aient des idées originales à proposer à la population.
Propos recueillis par Audry Carmel Igiraneza (Yaga)