C’était ce jeudi 8 octobre. Le porte-parole de la police, Pierre Nkurikiye, s’exprimait sur l’arrestation de Banyamulenge dans la ville de Gitega, quand, à un moment donné, il tint ces propos. « L’appel que j’aimerais alors lancer aux Burundais, c’est qu’il faut redoubler de vigilance, la sécurité est une question vitale et il ne faut pas baisser la garde ou être distrait quand il faut assurer la sécurité ».
Pour Pierre Nkurikiye, il ne suffit pas de mettre en garde, il faut désigner aussi les agresseurs et c’est là que la polémique s’installe. « Tous ces étrangers que l’on observe ces derniers jours dans les villes ou ailleurs, ils sont d’ailleurs facilement identifiables, la plupart d’entre eux s’expriment en kinyarwanda. Si vous entendez quelqu’un parler kinyarwanda, il faut le signaler à l’administration ou à la police pour qu’il soit interrogé sur le mobile de son déplacement. Vous savez très bien que dans ce pays, la sécurité a toujours été perturbée par des éléments venus de l’extérieur et surtout du Rwanda».
Il estime qu’agir dans ce sens devient un acte patriotique : « Pour tout Burundais patriote, il ne faut plus être distrait. Il ne faut surtout pas que leurs forfaits soient réédités.»
Invité à s’expliquer, le porte-parole de la police ne nie pas les propos tenus et se plaint juste de la surenchère qui en a été faite : « On n’a jamais demandé à la population de faire la chasse aux Rwandais. Nous avons demandé aux citoyens d’être vigilants et attentifs à tout étranger présent à l’endroit où ils sont. D’en informer ensuite l’administration pour qu’elle enquête sur lui car il se peut que ce soit un malfaiteur.»
>>Réactions
Tatien Sibomana. « Ce qui est dangereux, c’est de stigmatiser un groupe X.»
L’un des ténors de l’Uprona non-gouvernementale nous raconte d’emblée avoir eu vent de réunions tenues à Gitega où il était demandé à la population « s’il n’y aurait pas eu un passage de Rwandais » dans une des communes de la province. « Il y a donc une similitude avec les propos du porte-parole de la Police », dit Tatien Sibomana.
Pour lui, attirer l’attention sur tout étranger vivant en situation irrégulière n’est pas une mauvaise chose en soi. « C’est le travail quotidien de la Police », affirme ce juriste. « Ce qui est dangereux, c’est de stigmatiser un groupe X », souligne M. Sibomana. Il ajoute qu’attirer uniquement l’attention sur ceux qui parlent le Kinyarwanda, « c’est insinuer autre chose ».
Selon Tatien Sibomana, cela risque d’indisposer les gens qui parlent le kinyarwanda qui peuvent être Congolais ou Rwandais alors qu’ils vivent régulièrement sur le territoire burundais. Et d’évoquer des impacts encore plus graves sur les concernés : « Des gens non instruits qui, à longueur de journées, se nourrissent de discours anti-rwandais de la part des autorités, peuvent en abuser et passer à l’acte. »
Zénon Nimubona, président du Parena. « Le porte-parole de la police devrait revoir sa copie.»
Pour le président du parti de Jean-Baptiste Bagaza, le porte-parole de la police a mal orienté la population pour les gens qui parlent le Kinyarwanda. « Les gens qui viennent de passer cinq ans au Rwanda ont naturellement acquis l’accent rwandais. Un accent qui s’acquiert facilement, contrairement à l’accent burundais chez un Rwandais qui séjourne au Burundi».
Zénon Nimubona craint que de telles affirmations ne nuisent aux rapatriés burundais en provenance du Rwanda : « Il risque de se ruer sur la population qui vient de rentrer et pour laquelle il s’était exprimé fièrement de son retour.»
Les inquiétudes du leader du Parena pour les rapatriés en provenance de Mahama ne s’arrêtent pas là : « Cela ne facilitera pas leur intégration mais plutôt leur marginalisation. Et, au vu des conditions de vie dans lesquelles vivent ces Burundais qui rentrent du Rwanda, il devrait revoir sa copie. »
Phénias Nigaba, porte-parole du Sahwanya Frodebu. « On n’est pas coupable de la langue dans laquelle on s’exprime.»
Pour M. Nigaba, on est coupable des délits qu’on a commis et non de la langue dans laquelle on s’exprime. « Heureusement, le peuple burundais est suffisamment mûr pour ne pas obéir à de telles injonctions ». Et d’ajouter que cela ne va pas manquer de détériorer les relations entre le Burundi et le Rwanda.
Kefa Nibizi, président du parti Sahwanya Frodebu-Nyakuri : « Ce qui est bon dans ce message, c’est qu’il n’a pas permis à la population de se faire justice.»
Selon Kefa Nibizi, on a affaire à une question purement technique. « Les forces de sécurité savent mieux d’où viennent les perturbateurs de l’ordre, comment les identifier et ce qu’il faut faire pour qu’elles ne commettent des forfaits». Lui voit du positif dans les propos de Pierre Nkurikiye : « Ce qui est bon dans ce message, c’est qu’il n’a pas permis à la population de se faire justice. Il a précisé qu’il faut en référer à l’administration et à la police.»
Gabriel Banzawitonde, président de l’APDR. « Ce sont des propos flous.»
Le président de l’Alliance pour la Paix, la Démocratie et la Réconciliation juge assez flous les paroles du porte-parole de la police et demande des éclaircissements. Il rappelle ensuite les grands principes : « Il est permis à tous les étrangers, dont les Rwandais, de s’installer au Burundi s’ils sont entrés légalement.»
Par ailleurs, il demande à la police à ce qu’il y ait des fouilles pour débusquer les étrangers qui vivent en situation irrégulière.
Olivier Nkurunziza. Secrétaire général de l’Uprona. « On peut se choisir un ami, mais on ne peut se choisir un voisin.»
Pour le haut-responsable de l’Uprona, les propos tenus dénotent de relations toujours tendues entre le Burundi et le Rwanda. « Le parti Uprona a toujours demandé à chaque fois qu’il y ait renouement des relations diplomatiques entre le Rwanda et le Burundi. Le Burundi a toujours accusé le Rwanda de faciliter les gens qui perturbent la sécurité dans notre pays». Et d’abonder dans le sens de Pierre Nkurikiye en évoquant les rebelles burundais attrapés au Rwanda dans le cadre de la CIRGL. « Cela montre que les gens qui perturbent l’ordre et venant du Rwanda existent encore».
Sur les propos qui font polémique, Olivier Nkurunziza relativise : « Quand la police appelle la population d’identifier les gens qui peuvent venir du Rwanda, cela est normal. Je pense seulement que ce sont des gens qui passent par des voies non identifiées. Si tu es venu par la voie légale, c’est que tu es reconnu dans le pays dans lequel tu es.»
Revenant sur les relations entre le Burundi et le Rwanda, il renouvelle l’espoir d’un rétablissement des liens : « On peut se choisir un ami, mais on ne peut se choisir un voisin, ce qui fait que nous sommes condamnés à cohabiter en paix.»