La Haute Cour de justice est chargée de juger le président de la république, ses deux vice président et les président des deux chambres du parlement. Par son refus de la création de la Haute Cour de justice, la ministre se pose en protectrice de ceux qui l’ont nommée. Elle crée ainsi une caste « d’intouchables » et sème le doute sur la politique de tolérance zéro du Président Nkurunziza.
Le 9 juin 2011, Mme Marie Ancilla Ntakaburimvo a jeté un pavé dans la mare lors de la présentation de la politique sectorielle du ministère de la justice. Aucune place à la Haute Cour de justice, au motif que des gens pourraient en profiter « pour ramener le pays à la déstabilisation sociopolitique du pays ». Par ce bouclier, la garde des sceaux montre que les plus hautes autorités de ce pays sont loin d’être au-dessus de tout soupçon. « Autrement, pourquoi ne seraient-ils pas justiciables ? » s’interroge un magistrat sous couvert d’anonymat.
Une magistrature imprévisible
La Haute Cour est composée de la Cour Constitutionnelle et de la Cour Suprême. Pour justifier l’absence de cette Haute Cour de justice, la ministre explique que des gens « qui pourraient en profiter pour ramener le pays à la déstabilisation sociopolitique du pays. » Ce qui laisse penser à deux hypothèses : soit la ministre trouve les magistrats des deux Cours très indépendants, soit elle les soupçonne d’être favorables à l’opposition et à la société civile qui épinglent régulièrement des cas de corruption, de détournement, de violation des droits de l’homme et autres actes de mauvaise gouvernance. Dans les deux la confiance n’est pas de mise.
La tolérance zéro en question
Dans son discours d’investiture le 26 août 2010, le Président Pierre Nkurunziza s’est engagé à la tolérance zéro pour tous les corrupteurs et corrompus. Mais l’absence de la Haute Cour de justice dans le document de politique sectorielle du ministère de la justice ne peut que faire douter de la bonne foi du chef de l’Etat. Et pour cause !
Le chef de d’Etat est le magistrat suprême. Mais c’est encore lui qui préside les réunions du conseil des ministres où tous les documents de politique sectorielle sont analysés et adoptés. Et tant que le Président n’aura pas encore désavoué sa ministre de la justice, force sera de dire que lui non plus ne veut pas de la Haute Cour de justice. Car, comme le dit l’adage, qui ne dit mot consent.
« On ne légifère pas en fonction des opportunismes ! »
Selon le constitutionaliste Pascal Rwankara, l’inexistence de la Haute Cour de justice est un vide juridique qui pose un grand problème constitutionnel. En effet, souligne-t-il, la haute trahison et les crimes et délits ne peuvent pas être exclus dans le chef des personnalités concernées : « Cette Haute Cour serait donc un garde fou pour éviter toute possibilité d’échapper à la justice, sinon se pose le problème de l’inégalité des citoyens devant la loi. » Car, indique le constitutionnaliste, on ne peut pas exclure, dans l’absolu, que ces personnalités concernées par la Haute Cour ne peuvent pas commettre, si pas des crimes, tout au moins des délits.
Pour le professeur Rwankara donc, l’explication donnée par la ministre de la justice est critiquable : « D’abord, on ne légifère pas en fonction des opportunismes, mais pour que la Constitution soit respectée », remarque-t-il. Ainsi donc, explique-t-il, on ne peut pas juridiquement justifier l’absence d’un organe prévu par la Constitution sous le prétexte que les institutions risquent d’être déstabilisées. Pour M. Rwanakara, ce sont des suppositions qui ne sont actuellement corroborées par aucune preuve. Même si craintes seraient fondées, poursuit-il, encore faudrait-il préciser que les personnalités concernées n’ont rien à se reprocher. En fin de compte, fait remarquer le constitutionaliste, le fait de ne pas mettre sur pieds cette institution et de l’édifier risque plutôt de produire un effet contraire.