Ces derniers jours, de jeunes militants du parti au pouvoir sont pointés du doigt pour des exactions commises dans diverses localités du pays. Ils semblent vouloir se substituer aux forces de sécurité.
<doc4769|left>« Les Imbonerakure commettent différents forfaits au vu et a su de tout le monde», affirme G.A, un habitant de la commune Gihanga. Ils ont tabassé, ce mardi, plusieurs personnes à Gihanga, les accusant d’exploiter « illégalement » les parcelles de la SRDI (Société Régionale de Développement de l’Imbo). Une femme enceinte a failli faire une fausse couche à cause des coups reçus. D’aucuns se demandent pourquoi ces jeunes se mêlent dans les affaires de la SRDI.
Cassien Hatungimana du village 3 à Gihanga a été torturé par les membres de la ligue des jeunes du parti présidentiel. D’après lui, l’officier de la police judiciaire dans cette localité a émis un mandat d’arrêt mais Guillaume Magorwa, commandant de la brigade Gihanga a refusé que les suspects soient arrêtés.
Eloge Niyonzima, correspondant de la Radio Publique Africaine (RPA) a été battu très violemment. Ses agresseurs sont des jeunes militants du parti au pouvoir. Pourtant, ils sont libres depuis le 1er juillet alors qu’ils sont accusés de tentative d’assassinat. Eloge Niyonzima affirme être toujours menacé et il dit que certains des témoins oculaires ont été intimidés.
Un chef collinaire dans un cachot
Egalement en province de Muyinga, des sources racontent que Dominique Ndabahinyuye, chef de colline Kwibuye et son adjoint Thaddée Bigirimana, ont chacun un groupe d’Imbonerakure qu’ils encadrent. Dans la nuit de ce dimanche, vers 20 heures, poursuivent-elles, les deux groupes se sont rentrés dedans quand ils se rencontraient lors des patrouilles qu’ils effectuent tous les jours. Suite à cela, les deux responsables collinaires ont été convoqués et ont comparu devant l’officier du ministère public. Dominique Ndabahinyuye est pour le moment gardé dans le cachot de la police judiciaire à Muyinga.
D’autres cas d’exactions des Imbonerakure sont également signalés dans la province de Ngozi où des gens ont été passés à tabac au chef-lieu de cette province au cours de cette semaine. De même au chef lieu de Bubanza où un certain Jules Boma, représentant du parti UPD-Zigamibanga dans la province été battu. Il a passé plus de deux semaines à l’hôpital de Bubanza.
<doc4766|right>« Que le président de la République intervienne »
François Bizimana, ex député à l’Assemblée de la Communauté des États d’Afrique de l’Est, est sans équivoque : « Qu’il s’agisse des Imbonerakure ou pas, le président de la République doit sortir de son silence et arrêter ce cafouillage.» Pour M. Bizimana, s’il s’avère que ce sont eux qui perturbent l’ordre public, le président du parti Pascal Nyabenda devrait agir, interroger les statuts du parti et les rappeler à l’ordre.
Pour l’ex député à l’EAC, l’intervention du président Nkurunziza en tant que président du Conseil des sages, organe suprême du CNDD-FDD, chef du gouvernement, sera d’une grande importance : « Le numéro un des Burundais a le devoir de sécuriser tout le territoire national, ses habitants et leurs biens. Des sanctions sévères doivent être données aux perturbateurs l’ordre public. » Mobiliser ainsi les membres de son gouvernement, les parlementaires comme on l’a fait lorsque la criminalité avait atteint son paroxysme dans Bujumbura-rural.
Des jeunes manipulés par des politiques, ce n’est pas nouveau
Pour le président de l’APRODH, Pierre Claver Mbonimpa, il faut à tout prix éviter les activités, comme les rondes, qui font de la jeunesse une source d’insécurité : « Les Imbonerakure se substituent parfois aux forces de l’ordre, à l’instar des gardiens de la paix, il n’y a pas si longtemps. » Il conseille aux partis politiques d’encadrer leurs jeunes dans des activités réellement politiques et non de les utiliser pour protéger le parti ou intimider ses opposants : « Un parti qui n’a pas une jeunesse patriote mais agressive et terroriste fait du mal au pays au lieu de le bâtir. »
Me Armel Niyongere, président de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT) estime que la situation est préoccupante. D’autant plus que ce n’est pas la première fois que des jeunes sont manipulés par des partis politiques : « Dans le passé, cela a entraîné des conflits terribles. » Selon lui, des informations selon lesquelles les Imbonerakure sont souvent armés d’armes blanches et d’armes à feu et torturent impunément des citoyens, leur parviennent. Le président de l’ACAT demande aux autorités judiciaires, administratives et policières de prendre des mesures urgentes pour arrêter ces actes d’intimidation en traitant les Imbonerakure comme les autres citoyens.
Pas de complaisance !
Face à ces exactions des Imbonerakure, la ligue Iteka interpelle le pouvoir pour qu’il assure pleinement son rôle de monopole de la violence physique sur toute l’étendue du territoire, en réprimant tous les infracteurs, sans ambages. « Le parti au pouvoir doit rayer de ses rangs ceux qui se comportent en milice et les traduire en justice sans délai. Sinon, les dérives telles qu’observées au Rwanda, en côte D’Ivoire, au Sierra Léone, etc., risquent de se produire au Burundi », prévient Rémy Ntaco, directeur exécutif de la ligue Iteka. Il invite donc le pouvoir en place à ne pas afficher un mutisme éloquent qui a toutes les allures d’une complaisance.
Léonce Ngendakumana n’y va pas par quatre chemins : « Si les forces de l’ordre sont incapables d’assurer la sécurité de la population jusqu’à faire appel aux Imbonerakure, tous les jeunes burundais devront alors prendre les armes et garder le pays ensemble. » Le président du Frodebu et président en exercice de l’ADC-Ikibiri indique que, si le pouvoir ne peut pas arrêter ces Imbonerakure, ils verront comment le faire eux-mêmes. Sinon, c’est une milice qui serait en train d’être mise en place pour fausser les élections de 2015.
Manipulable car n’ayant plus de perspective
Pour Paul Nkunzimana, sociologue, « le phénomène des Imbonerakure » traduit l’incapacité de l’Etat à trouver des réponses sur le plan sécuritaire et politique : « Ceci explique sa propre crise puisque n’ayant pas les possibilités de faire jouer aux institutions leur propre rôle. » Ainsi, indique-t-il, intervient l’organisation de la jeunesse pour suppléer le parti institutionnel aggravant du même coup la crise des institutions : « Une jeunesse est par ailleurs facilement manipulable quand elle est désœuvrée, déscolarisée, car n’a plus de perspectives. »
En outre, le climat politique et les relations entre partenaires institutionnels sont malsains. Cette crise, selon Paul Nkunzimana, a débuté lors des élections de 2010, avec l’exil de certains dirigeants politiques. Les exécutions extra judiciaires, l’insécurité grandissante, la crise sociale avec l’accroissement de la misère et du chômage, n’ont fait qu’aggraver une situation déjà précaire.
Le sociologue estime que la question fondamentale est de savoir comment résoudre les questions sociales, économiques, démocratiques et des masses. Pour lui, il faut d’abord assurer la survie de la population. Au lieu de privatiser, nationaliser pour que la population puisse accéder aux services publics, stopper la hausse des prix, des impôts et taxes. Mais aussi réprimer tous les crimes de tous genre, car la jeunesse ne peut en aucun cas remplacer les forces de sécurité.
<doc4768|right>« La responsabilité pénale est individuelle et non collective »
Pour le porte-parole de la police, Elie Bizindavyi, la police nationale s’en prend seulement aux fautifs. Imbonerakure ou pas. Et les coupables, poursuit-il, sont punis individuellement. D’après lui, ce ne sont pas tous les jeunes Imbonerakure qui commettent ces exactions.
Pour des cas d’insécurité qui s’observent à travers le pays, le porte-parole souligne que la police est capable d’assurer la sécurité du pays et qu’elle n’est pas du tout débordée. Il exhorte, en outre, la population à dénoncer les personnes qui possèdent illégalement des armes et qui perturbent la sécurité du pays. Car, poursuit-il, seules les forces de l’ordre ont l’autorisation de porter des armes. Aux accusations de complicité entre les Imbonerakure et quelques éléments de la police, Elie Bizindavyi rejette ces allégations. Cependant, il tranquillise : «Les forces de l’ordre sont prêtes à sauvegarder la sécurité contre tout fauteur de trouble.»