Des morts, des effets sanitaires très négatifs, des effets sur la sexualité et couples qui se séparent… Voici quelques conséquences de la consommation des boissons à base du gingembre et d’autres jus, dénoncent les gouverneurs de provinces. Le ministère de l’Intérieur et celui du Commerce estiment qu’il faut agir pour protéger la population.
« Pour nous qui sommes sur terrain, les conséquences de ces boissons sont catastrophiques », a alerté Jean Claude Barutwanayo, gouverneur de Muyinga. Dans une réunion tenue le 22 octobre 2022, entre le ministre de l’Intérieur, celui du Commerce, les cadres du bureau burundais de normalisation (BBN), ceux du Centre national de transformation agro-alimentaire (CNTA) ainsi que quelques propriétaires des unités de transformation, les gouverneurs des provinces n’ont pas mâché les mots.
M.Barutwanayo a indiqué que plusieurs catégories de jus sont présentes sur le marché. Et leur composition n’est pas bien claire : « En lisant sur l’étiquette, on ne parvient pas à voir d’où vient la matière première. » Pour lui, quand un propriétaire d’une unité de production dit qu’il fabrique le jus de Maracoudja alors qu’il n’a même pas un hectare de matière première, c’est inquiétant : « Est-ce que ce jus est fabriqué réellement à base de Maracoudja ? Ou si quelqu’un te dit qu’il produit des quantités énormes de boisson à base de bananes et qu’on ne voit jamais cinq camions pleins de bananes entrer dans son entreprise, il ya lieu de se poser des questions. »
Le gouverneur a demandé au ministère du Commerce de faire des investigations au niveau de la SOSUMO : « Il faut qu’on établisse réellement, quelle est la quantité de sucre qui va dans les usines de fabrication des boissons, et des jus. Et par catégorie ».
M.Barutwanayo ne doute pas que ces jus soient fabriqués principalement à base du sucre. « Qu’on ne continue pas à nous mentir que c’est une boisson ou jus à base de Maracoudja, de banane, … C’est du sucre qu’on mélange avec d’autres produits. C’est une sérieuse menace pour la population. »
Les conséquences sont désastreuses
Le gouverneur a insisté sur les conséquences visibles sur terrain : « Nous voyons déjà des gens avec des jambes gonflées, des problèmes conjugaux dans les couples, etc. »
Pour lui, si on n’agit pas vite, on va se réveiller tard : « On se retrouvera avec des hommes qui ont perdu leur virilité, très affaiblis, presque morts physiquement »
Jimmy Hatungimana, le maire de la ville de Bujumbura fait le même constat : « Ces produits rendent les hommes obèses et affectent la vie conjugale. Il faut qu’on protège la vie de notre population ».
A côté des jus produits localement, il doute de la bonne qualité des jus qui inondent le Burundi en provenance de la Tanzanie. « Sont-ils certifiés ? Est-ce que le BBN fait son travail de contrôle de la qualité ? »
Une situation qui intrigue aussi le Colonel Rémy Cishahayo, gouverneur de Kayanza. « La situation est déjà grave à cause de ces jus, toutes ces boissons. Le maire de la ville de Bujumbura vient de dire que demain, les hommes vont perdre leur virilité. Non. Ça a déjà commencé. Il y a même des morts. On retrouve leurs cadavres emportés par les caniveaux, les ruisseaux. Des couples se disloquent. C’est déjà une réalité. »
D’après lui, c’est très regrettable de voir un jeune de 30 ans très affaibli suite à la consommation de ces boissons. Ce qui conduit à la dislocation de plusieurs couples.
Il est convaincu, que ces jus sont simplement fabriqués à partir du sucre. « Pire encore, ces usines de production ne paient pas d’impôts. Ce qui signifie qu’on perd doublement : des personnes et de l’argent. Donc, on va y mettre de la rigueur. »
BBN indexé
D’après Colonel Rémy Cishahayo, les administratifs sont quelque part bloqués pour contrôler ces unités de transformation : « C’est difficile de fermer ou de suspendre les activités d’une usine, une entreprise qui dispose des autorisations et des documents signés par BBN. »
Il a d’ailleurs signalé que certaines de ces usines n’ont pas d’adresse physique connue. « Elles se trouvent dans des maisons d’habitation. D’un côté, on trouve une chambre pour les enfants, une autre pour le couple, et l’usine là-dedans. Et ce qui est très surprenant, elles ont des autorisations de BBN. »
Il a interpellé le bureau burundais de normalisation : « Quels sont vos critères pour donner des autorisations ? Est-ce que vous n’effectuez pas une visite du site avant de donner votre accord ? Peut-être qu’il y a des arrangements pour avoir ces autorisations. »
Pour lui, c’est vraiment une question à prendre au sérieux. « Quand on parle de la sécurité, cela ne renvoie pas seulement aux bombes, aux balles, mais aussi à la santé de la population. »
Le gouverneur a indiqué que ces unités de transformation ne sont pas nombreuses à Kayanza, mais à Bujumbura, elles se comptent en milliers : « Dans le quartier Carama, il y a plus de 1000 unités de transformation. Elles sont très cachées. Et les consommateurs meurent à petit feu, s’affaiblissent. »
Il a promis son coup de main aux autorités municipales pour changer la donne : « Il y a des quartiers difficilement accessibles comme Gituro, à Kamenge. Quand un policier s’y hasarde, il y a risque d’être désarmé. Les gens de ces endroits ont une certaine solidarité négative. »
Mais, il a prévenu : « Le pays est en train de se développer. On ne peut pas continuer à marcher sur place. Pour avoir de l’omelette, on doit casser des œufs »
BBN tente de se défendre
« Pour notre pays, 700 usines de transformation sont très nombreuses. Sans mentir, beaucoup n’ont pas les moyens techniques de faire ce travail de transformation. Elles ne font pas un travail professionnel », a reconnu Séverin Sindayikengera, directeur général de BBN. En collaboration avec CNTA, il a signalé qu’on a déjà commencé à former quelques-unes pour leur montrer comment faire ce métier dans les normes. « Il y a un sérieux problème de matière première. C’est pourquoi des gens utilisent du sucre pour compenser.
Insistant sur les difficultés de BBN pour accomplir ses missions, il a évoqué l’insuffisance du personnel : « Je ne vois pas comment un seul service de certification peut suffire pour tout le pays alors qu’il n’a que cinq employés. C’est impossible. »
D’après lui, il y a aussi un besoin de modernisation et de redynamisation de ce bureau : « Nous avons peu de personnel sur les frontières et sans matériel : un à Mabanda, deux à Kobero, un à Kayanza, un affecté récemment à Gitega, un autre à Rumonge et deux seulement au port de Bujumbura et à l’aéroport. » C’est insuffisant.
Pour ce qui est des jus ou boissons en provenance des autres pays comme la Tanzanie, M.Sindayikengera a avoué que, mis à part le sel, BBN vérifie seulement l’attestation de conformité. Selon lui, le contrôle qualité revient à la société générale de surveillance qui a un contrat avec l’Etat.
Dénis Nshimirimana, secrétaire général de la Chambre fédérale du commerce et de l’industrie du Burundi (CFCIB) a essayé lui aussi de défendre BBN. « A l’état actuel, BBN n’est pas capable d’accomplir ses missions. Excellence ministre de la Sécurité publique, si la police et l’administration ne se mettent pas à l’œuvre, BBN manque cruellement de personnel. »
Il a d’ailleurs signalé que même les étiquettes de BBN peuvent être imitées : « Il faut qu’on trouve une machine qui peut lire ces étiquettes électroniquement. Comme ça, on saura si elles sont authentiques ou traficotées. »
Nous avons essayé d’avoir les avis des propriétaires des unités de transformation, en vain.
L’ultimatum fixé
Jeudi 27 octobre 2022 a été fixée comme la date butoir pour les propriétaires des unités de transformation qui ne sont pas en ordre. Martin Ninteretse, ministre de l’Intérieur est aussi revenu sur les méfaits de ces boissons, et jus.
« Deux personnes sont déjà mortes à Rumonge et à Nyanza-lac du fait qu’ils ont consommé des produits ne remplissant pas la qualité », a fait remarquer le ministre Niteretse.
Tout comme les gouverneurs, il a fait savoir que les producteurs transforment des boissons qui ont des effets négatifs sur la santé et les mettent sur le marché sans consulter le BBN, dont une de ses missions est le contrôle de la qualité.
Selon lui, les transformateurs ne respectent pas des procédés techniques. Il n’a pas hésité à donner des exemples : « Ils mélangent de l’eau, du piment, d’une poudre d’origine douteuse et de la levure pour fabriquer des boissons soi-disant jus à base de gingembre. Et des gens meurent et d’autres s’affaiblissent à cause de ces mauvais breuvages. »
D’après lui, la plupart de ceux qui fabriquent du vin de banane ne détiennent pas des plantations de bananeraies. « Ils ne s’approvisionnent pas de bananes sur le marché. Ils mélangent du sucre dans leur composition, ce qui aggrave la santé des Burundais ».
Il a aussi dénoncé des cas des producteurs qui corrompent des agents de l’Etat afin qu’ils autorisent leurs unités de transformation à travailler au Burundi.
D’après M.Ninteretse, ils implantent leurs entreprises dans les quartiers résidentiels et installent les équipements dans une pièce d’une maison. « Les tenanciers n’acceptent pas que les bureaux chargés de contrôler la qualité accompagnent leurs unités de transformation. »
Selon lui, leurs produits ne remplissent pas les normes internationales. « Ce qui fait qu’ils ne peuvent pas être écoulés en dehors du Burundi pour apporter des devises. »
Ainsi, il a recommandé à ceux qui utilisent des documents qui n’ont pas de références ministérielles de se conformer à la loi avant le 28 octobre de cette année. « Le non-respect des mesures va entraîner la fermeture de l’entreprise ».
Un message relayé aussi par Mme Marie-Chantal Nijimbere, ministre du commerce. « On ne peut pas négocier sur la santé de la population. On doit avancer », a-t-elle tranché. Pour elle, la loi est là. « Il faut tout simplement la respecter ». Elle a ainsi demandé au BBN, CNTA de faire leur travail d’encadrement de ces unités afin qu’elles puissent aller de l’avant et produire des produits non nuisibles à la santé de la population.
Eclairage/ « En soi, le gingembre n’est pas mauvais… »
D’après César Niyonsenga, nutritionniste, le gingembre est une plante qui a plusieurs vertus. Il suffit, selon lui, de savoir comment le consommer pour profiter de tous ses avantages.
« Originaire de l’Inde et de la Chine, au fil des siècles, le Gingembre s’est vite imposé comme ingrédient incontournable de la cuisine asiatique. Il est considéré comme véritable anti-oxydant grâce aux nutriments qu’on y trouve : des minéraux et oligo-éléments essentiels à l’organisme comme le manganèse, le magnésium, le calcium, le sodium, ou encore le fer », explique César Niyonsenga.
D’après lui, le gingembre contient aussi les vitamines du groupe C et du groupe B, des huiles essentielles très utiles à l’organisme, des protéines et des glucides.
Outre ses vertus nourrissantes et la douce saveur qu’il donne à nos plats, M. Niyonsenga ajoute que le gingembre offre d’incroyables bienfaits pour l’organisme, notamment sur la fonction cardiovasculaires (bon pour la circulation sanguine). « C’est aussi une plante aphrodisiaque. C’est une plante énergisante et c’est en cela qu’elle stimule la sexualité », explique-t-il.
Pour la digestion, il stimule la sécrétion de la bile pour permettre une digestion rapide. C’est aussi un anti-inflammatoire (combattre contre les douleurs musculaires et articulaires, soulager les courbatures post-entraînement) et antiémétique (lutter contre les nausées et vomissements). Bref, se résume-t-il, à l’état naturel, le Gingembre est un aliment ‘’miracle’’.
Ce nutritionniste n’est pas convaincu que ces jus, ces boissons sont fabriquées à base du gingembre. Au cas où la matière première serait le gingembre, il faut alors voir, selon lui, la quantité consommée. Car, explique-t-il, la quantité exigée est de 15 à 20 grammes frais quotidien. « Quand on dépasse cette quantité, il y a apparition des brûlures, maux d’estomac, gaz et ballonnement, diarrhée, nausées, etc. »
Pour lui, le gingembre devrait être consommé à l’état naturel : « Plus on transforme un aliment, plus il va perdre ses propriétés nutritives notamment les nutriments. »
Revenant sur ces unités de transformation, César Niyonsenga trouve que BBN ne fait pas son travail convenablement. « Il devait apporter son expertise, sa technicité et faire le suivi de tout ce qu’on fabrique. Ces usines devraient compter des nutritionnistes dans leur personnel pour veiller à ce que les produits ne soient pas nuisibles à la santé. »
Pour lui, la décision du gouvernement de fermer ces usines vient à point nommé. « Sûrement que la majorité de ces jus, ces boissons ne sont pas certifiées. C’est le moment alors de redresser la situation. »