Depuis l’échec de justesse de la tentative de modifier la Constitution la tentation d’une pérennisation au pouvoir à tout prix, y compris par la force semble avoir envahi et radicalisé certains esprits. En dépit de leur profession de foi et de loyauté à leur parti, quiconque s’est déclaré ou a été identifié favorable à une alternance même symbolique au sommet pour sauvegarder le statu quo ou la prédominance même réduite de leur formation a été surpris par l’hostilité et la violence politique qui leur ont été réservées. Pris entre l’enclume et le marteau politique du parti au pouvoir, les frondeurs sont confrontés au dilemme d’un divorce irréversible et d’un retour au bercail volontaire, forcé ou monnayé.
Contrairement à un nombre de pays ou l’établissement d’un état de droit a été précédé par (ou est allé de pair avec) un important développement économique dans un système de gouvernance intolérant et même répressif, dans le contexte burundais de longue expérience de régimes oppressifs, la coercition politique n’a jamais mené vers une stabilité effective durable nécessaire pour occasionner un décollage socio-économique pouvant entraîner un niveau supérieur de maturité politique et de gouvernance démocratique.
Même si le « ventriotisme » est un obstacle principal à la constitution de partis politiques forts, à plusieurs reprises dans l’histoire du pays, les barundi ont démontré que lorsque les conditions optimales de libre compétition électorale sont réunies, ils pouvaient à travers les urnes, défier les pronostics et effectuer des choix reflétant une surprenante maturité politique. Avec des nuances et sans entrer dans les mérites, on peut citer les élections ayant abouti à la victoire du Parti UPRONA lors de l’indépendance, celles de 1993 avec la victoire du Frodebu après la restoration du multipartisme, et 12 ans plus tard en 2005 avec la victoire du CNDD-FDD.
Mais à lui tout seul le ventriotisme explique peut-être nécessairement mais certes pas suffisamment le fait que l’opposition dispersée dans plus de quarante partis politiques, la société civile et les médias accusés par le pouvoir d’être biaisés et le mouvement contestataire interne au parti au pouvoir dont l’ampleur reste inconnue, sont jusqu’ici incapables de canaliser leurs forces, dans un mouvement structuré susceptible de dissuader le parti au pouvoir de respecter les règles du jeu démocratique.
Par exemple, en dépit de leur profession de foi et de loyauté à une famille politique qui ne les reconnait plus, les frondeurs sont désormais dépourvus et exclus du forum formel de leur parti et par conséquent fragilisés dans leur élan de reformer et imposer, à partir de l’intérieur, une ligne rectificatrice qui leur permettrait de sauvegarder le statu quo politique ou tout au moins, la prédominance même réduite de leur formation. Leur mouvement de contestation interne au sein du parti au pouvoir est vulnérable à cause de leur isolement relatif hérité de leur association au pouvoir. Ils peineraient à surmonter un éventuel complexe de culpabilité pour établir des ponts de communication avec une opposition et une société civile malmenées et à juste titre encore méfiantes à son égard.
En effet, dans leur sursaut de conscience tardif, les frondeurs qui semblent principalement unis par leur opposition à un éventuel troisième mandat que certains prédisent de toutes les malédictions incarnent collectivement un démarquage dont les contours politiques restent cependant à préciser par rapport à la ligne du parti qu’ils ont servi inconditionnellement jusque récemment. Ils ont du mal à s’affirmer et à s’imposer face à un noyau impitoyable qui, quoique déjà démystifié et sur la défensive, puise sa puissance dans le fond des ténèbres d’où il frappe résolument et menace de sévir en toute impunité avec les ressources de l’état.
Dans leur discours ils semblent préoccupés de se disculper et suggèrent qu’ils ont omis d’établir des ponts de transmission et de communication avec les principaux partis d’opposition et une société civile malmenés par le pouvoir qui ne cessent pas de mettre en évidence les éventuels échecs inhérentes à la fatigue politique en plus des bavures de toutes sortes généreusement commises au nom du pouvoir par ses serviteurs fidèles les mieux écoutés et protégés.
Dans leur démarche jugée de traitrise passible de peines les plus extrêmes par leurs compagnons d’hier mais encourageante et salutaire par les adversaires politiques de leur parti qui ne les reconnait plus, au lieu de poser des problèmes de fonds et proposer des solutions de gestion existentielle du pays, comme pour expliquer ou justifier les difficultés d’hier, d’aujourd’hui et de demain, certains d’entre eux s’adonnent à des rumeurs aussi vraisemblables que fantaisistes au sujet de la nationalité, l’appartenance et la composition ethnique du chef de l’état et de son entourage.
Ceci contribue à désorienter les alliés nationaux potentiels ainsi que les partenaires régionaux et internationaux qui ont du mal à identifier les interlocuteurs ayant l’assise nationale nécessaire et suffisante pour exécuter ensemble les projets de lutte contre la pauvreté. Sur le plan politique interne, ceci réduit considérablement la portée effective de recentrage autrement souhaitable de leur aventure.
Les membres déclarés et silencieux du mouvement de contestation interne dont certains ont été « radiés, chassés » (selon le langage du nouveau porte-parole du parti) sont devant un choix difficile entre d’une part, la défection et la formation d’une aile du parti du type « Nyakuri » et d’autre part, la conversion du type transhumance politique vers un parti déjà existant. Mais, dans le contexte actuel, la création d’un nouveau parti n’est pas faisable dans l’immédiat car elle requiert l’agréation par un ministère de l’intérieur acquis d’avance à la cause loyaliste. Le spectre de la dispersion et la condamnation au silence reste aussi réel que le retour au bercail volontaire, acheté ou forcé moyennant menaces, repentances, achat de conscience ou une combinaison de ces facteurs.
A défaut d’une alliance de circonstance informelle ou formelle avec l’opposition et la société civile, les frondeurs peuvent faire basculer l’équilibre des forces en faveur du changement et n’ont rien à perdre en établissant un canal de communication avec l’opposition et la société civile avec lesquelles ils se retrouvent ironiquement désormais sous le rouleau compresseur d’une même machine politique prête à tout pour garder le pouvoir.
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A propos de l’auteur
Gervais Marcel Cishahayo est un membre de la diaspora burundaise depuis les années 1970s et établi à Malte, UE. Professeur, consultant sur les questions relatives à l’éducation, la géophysique, les NTICs, la diplomatie et les relations internationales, il est l’auteur d’articles d’analyses et de contributions diverses dans les médias sur l’immigration, la sécurité et l’intégration régionale. Avocat de la bonne gouvernance démocratique bien connu des milieux politiques et académiques et n’ayant jamais adhéré officiellement à aucun parti politique depuis les années 1980s, il est l’auteur d’une thèse d’analyse de la dimension de la sécurité de la Communauté Economique des Pays des Grands Lacs (CEPGL) présentée à l’Académie Méditerranéenne d’Etudes Diplomatiques de l’Université de Malte.