C’est au lendemain de la promulgation de la loi No 1/11 du 4 juin 2013 régissant la presse au Burundi que le président de l’Alliance des Démocrates pour le Changement (ADC) a sonné le tocsin et crié aux « armes démocratiques » pour une mobilisation citoyenne contre cette loi.
Pour Léonce Ngendakumana, « cette loi que le peuple burundais doit refuser » est un coup de force contre l’Accord d’Arusha, la Loi fondamentale, le Cadre stratégique de croissance et de lutte contre la pauvreté, phase II et la Feuille de route convenue avec les Nations Unies. Le président de l’ADC-Ikibiri la qualifie de « liberticide, d’impopulaire, d’injuste, de scélérate, d’anticonstitutionnelle ». Cette loi sur la presse qui « n’augure rien de bon », subira le même sort que la loi portant statut de l’opposition politique au Burundi qui n’a jamais été appliquée, explique-t-il au cours d’une conférence de presse tenue organisée
« En promulguant cette loi, le président de la République a fait une option : répondre aux pressions d’un petit groupe au sein de son parti et isoler le Burundi du concert des Nations », fait savoir Léonce Ngendakumana. Selon lui, il y a un plan visant à prendre en otage tout le peuple burundais et à défier la ‘’Communauté internationale’’ en se constituant en un parti unique.
Cette promulgation est « une création d’un cadre légal visant à usurper sa souveraineté au peuple burundais au profit d’un petit groupe de profiteurs du pouvoir Cndd-Fdd en utilisant les représentants du peuple dans le vote des lois liberticides comme la loi sur les partis politiques, la loi portant statut de l’opposition, la loi sur les manifestations publiques, la loi sur la société civile, le loi sur la CVR et cette loi régissant la presse ».
« C’est un plan pour faire du Burundi un parti-Etat et il est fort à craindre que les lois soumises aux parlementaires pour analyse et adoption ne subisse le même traitement que cette loi sur la presse », conclut le président de l’ADC-Ikibiri.
Forsc : « Le Chef de l’Etat et le Parlement inaugurent un programme de restrictions des libertés publiques »
Selon le délégué général du Forsc, la nouvelle loi est en contradiction avec les valeurs démocratiques et la Constitution de la République. Mais aussi elle vient contredire les instruments internationaux des droits humains comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples. Vital Nshimirimana estime que la nouvelle loi sur la presse tente de réduire au maximum l’espace d’expression de la population confrontée à plusieurs défis comme la pauvreté, le chômage dont les responsables sont les agents de l’Etat. En plus, poursuit-il, en remettant en cause la liberté de la presse, le Burundi se désolidarise du concert des Nations qui défendent les droits humains.
D’après lui, en promulguant la loi, le président de la République a voulu exprimer sa solidarité avec l’ensemble du système dans lequel il appartient. Et d’ajouter : il a manqué de se mettre au-dessus de la mêlée, il a refusé les conseils venus de tous les horizons.
« On va attaquer cette loi »
Le délégué général du Forsc estime qu’en votant cette la nouvelle loi de la presse, le Chef de l’Etat et le Parlement inaugurent un programme de restrictions des libertés publiques. Comme conséquences, insiste-t-il, le Burundi va être considéré comme un pays qui combat certaines valeurs démocratiques : une presse libre, liberté d’opinion, les droits humains. En outre, continue-t-il, les citoyens auront peur de dévoiler leur identité, les journalistes pourront hésiter de livrer l’information. « D’où il y aura recrudescence des tueries, abus des droits de l’Homme, corruption, malversations économiques. Finalement, c’est un régime dictatorial qui va s’installer au Burundi », fait-il observer.
Toutefois, Vital Nshimirimana affirme que les Burundais ne vont pas accepter de se taire aussi longtemps qu’ils sont dirigés par les institutions qu’ils ont élues.
Il dit qu’on va attaquer cette loi : « D’abord par la Cour constitutionnelle. Si cette dernière refuse de dire le droit, on va saisir les juridictions internationales comme la cour de justice de la Communauté de l’Afrique de l’Est. » Avant de conclure : « Aux journalistes, je conseille de ne pas céder aux intimidations, mais de faire leur métier avec professionnalisme. »
Contacté, Pierre Bambasi, le Président du Conseil National de Communication, promets de s’exprimer sur la nouvelle loi sur la presse après avoir terminé la lecture de cette dernière.
Olucome : «Celui qui a promulgué la loi est l’ennemi de la République »
Gabriel Rufyiri, président de l’Observatoire espère que les journalistes ne vont pas appliquer cette loi. « Elle ne nous empêchera pas d’alimenter au quotidien notre site comme d’habitude », explique-t-il. Pour lui, la nouvelle loi sur la presse vient faire reculer le Burundi de trente ans en matière de démocratie. D’après lui, l’Okucome est en train de réfléchir sur des actions à mener pour désobéir à une loi qu’il qualifie d’injuste et qui va enterrer la démocratie au Burundi. M.Rufyiri rappelle que de 2005 à 2010, le Burundi est passé du 32ème pays le plus corrompu au 6ème alors que cet observatoire et les médias ne cessaient de dénoncer les cas de corruption: « Avec cette nouvelle loi, il va occuper la 1ère place parce qu’on nous empêche de travailler sur l’économie burundaise ». Le président de l’Olucome constate que celui qui a promulgué cette loi au moment où on s’entendait qu’on finance le CSLP II est un ennemi de la République : « Les bailleurs de fonds pourraient se désister. » Il promet de suivre l’évolution de la situation afin de se prononcer sur des actions à mener.
Réaction du directeur du Groupe de Presse Iwacu : « Il faut rester serein, courageux et déterminé »
« La promulgation de la loi sur la presse ne va rien changer à notre façon de travailler », martèle Antoine Kaburahe, directeur du Groupe de Presse Iwacu. Pour lui, le journal a toujours respecté la déontologie et la loi burundaise. « Nous considérons que cette loi est contraire à la Constitution burundaise et aux conventions internationales en matière des droits de l’homme ratifiées par le Burundi et qui sont d’application directe dans notre pays. Il s’agit donc d’une loi qui ne devrait même pas être respectée ni appliquée » explique Antoine Kaburahe.
Il reconnaît que « c’est un moment très difficile pour les journalistes burundais. Il faut rester serein, courageux, indépendant et déterminé. Être prêts à souffrir pour la liberté d’expression», indique-t-il.
Pour le directeur du Groupe de Presse Iwacu, cette loi décriée par les professionnels des médias burundais, la société civile, les organisations nationales et internationales, les diplomates, les partenaires et tous les amis du Burundi est une mauvaise loi, liberticide. Il regrette que le pouvoir, seul contre tous, soit passé outre tous les conseils envoyés de partout. « Ce qui est sûr, comme toutes les mauvaises loi, celle-ci passera un jour. Entretemps, nous allons continuer à exercer comme auparavant. » Mais, toujours d’après Antoine Kaburahe, cela ne signifie pas que les professionnels des médias vont rester les bras croisés. Ils vont la contester en utilisant également la loi. Des tractations entre professionnels des médias et hommes de loi sont en cours. Ainsi, un recours devant la cour constitutionnelle n’est pas exclu.